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de Charles - Quint, l'avait poussé à imposer à sa fille de Bavière (1) une renonciation qui avait révolté l'Espagne et son Roi. Persistant dans cette intention, il refusa d'accéder au partage du 25 mars 1700 lequel réalisait au profit de sa race la séparation des couronnes que le testament de Charles II avait, depuis, opérée au profit de la maison de France. Son obstination compromettait les succès de la coalition. D'habiles conseillers le décidèrent à se désister de ses idées. En effet, la coalition qui s'attaquait dans Louis XIV au souverain qu'elle accusait de vouloir réunir les deux couronnes, était inconséquente à soutenir Léopold, lequel se proposait aussi d'accomplir une réunion qui menaçait, au même degré, l'équilibre européen.

Le désistement de l'Empereur étant obtenu, il y eut plus d'intime union entre les ennemis confédérés de Louis XIV. Ils formèrent, le 16 mai 1703, une nouvelle alliance offensive et défensive, par laquelle ils reconnaissaient un fils de l'Empereur pour Roi d'Espagne sous le nom de Charles III. Léopold, en effet, céda la monarchie espagnole à son fils cadet, l'Archiduc Charles, celui-là même auquel le traité de partage du 25 mars 1700 destinait la couronne d'Espagne. Cet acte de cession est du 12 septembre 1703, postérieur de plus d'un an, par conséquent, aux décla-rations de guerre des coalisés. En voici la traduction : « Léopold, empereur des Romains, toujours auguste, etc., savoir >> faisons que :

» Par la mort de très-haut et très-puissant prince Charles II, roi >> des Espagnes et des Indes, notre frère et neveu, tous les États et >> royaumes de sa domination nous étant dévolus par droit hérédi

(1) Voy. pag. 27, supra.

>> taire, nous avons sérieusement réfléchi à la difficulté qu'il y avait » pour un seul et même prince de gouverner des royaumes si éloi» gnés en même temps que nos États héréditaires, principalement » en ce temps et comme l'exigent le bien de nos peuples et le salut » commun de l'Europe. Outre cela, nous avons considéré que, les >> affaires de l'Espagne étant telles qu'elles exigent la présence continuelle de son Roi, non-seulement nous étions empêché de nous >> y porter en personne, mais qu'encore notre cher fils premier-né, le >> roi des Romains et de Hongrie, Joseph, auquel notre succession » est dévolue de plein droit après nous, ne peut, en ce moment, » se rendre en Espagne, ni s'éloigner de nos États d'Autriche, ni de » l'Empire romain... Connaissant bien les éminentes qualités de no>>tre cher fils le sérénissime archiduc Charles... et sachant que les >> vœux non-seulement de tous nos sujets des Espagnes, mais encore » de toute l'Europe, l'appellent à la couronne espagnole...

>> Par ces motifs et d'autres encore, au nom de la très-sainte et » indivisible Trinité, du consentement exprès de notre fils premier» né, Joseph, roi des Romains, nous avons cédé et assigné, nous » cédons et assignons, par les présentes, en la meilleure forme du >> droit, à notre second fils le sérénissime Archiduc Charles et à sa » postérité à naître de mariage légitime, à l'exclusion des légitimés, » la totalité de la monarchie espagnole... telle que l'a possédée le » défunt Roi Charles II, et que nous aurions pu ou dû la posséder >> nous-même; sauf et réservé sur ce royaume le droit et ordre de » succession établi pour notre maison... et les droits de l'Empire (4).»

Cet acte avait ce caractère singulier d'être, dans ses motifs et ses réserves, une sorte de protestation contre les actes publics de deux puissances coalisées qui, d'accord en cela avec les monarques espagnols, avaient toujours posé en principe l'incompatibilité de la couronne d'Espagne avec une autre, française ou autrichienne. Le dispositif de l'acte avait une importance décisive, à ce moment, en ce qu'il conférait un titre apparent de royauté à un prince que les coalisés, et Louis XIV lui-même, avaient précédemment agréé pour roi d'Espagne; et par les résultats qu'il offrait en perspective, il faisait disparaître les scrupules des cabi

(1) Voy. le texte entier, dans Dumont, loc. cit., pag. 133 et suiv.

nets relativement à l'équilibre européen. La monarchie espagnole demeurait disjointe et séparée, dans la balance. Il ne s'agissait plus que du choix du monarque et l'on pouvait se prononcer pour le prétendant autrichien, ou pour le titulaire français, au gré des préférences personnelles.

Ainsi pouvait se présenter la question sur le papier, ou aux yeux des esprits frivoles; mais, au fond de cette tentative d'établir en Espagne l'Archiduc Charles sur le trône de Charles II, il y avait une grave entreprise contre le droit des gens et la souveraineté de la nation espagnole, représentée, exprimée par l'acte solennel de son dernier Roi. La coalition avait, sans doute, un juste motif de guerroyer pour obtenir le maintien de la royauté espagnole à l'état d'isolement; mais elle outre-passait son droit, en s'ingérant dans l'élection d'un Roi d'Espagne, et en l'imposant par la violence des armes à une nation dont le droit de souyeraineté était aussi digne de respect que le droit de prohibition des autres États de l'Europe relativement au cumul des couronnes.

La lutte ne pouvait manquer d'être irritante et passionnée, car l'attentat était du côté de la coalition, et le droit évident du côté de Philippe V. La nation espagnole défendait son Roi avec un dévouement patriotique et d'autant plus ardent que la coalition semblait ne faire nul état de l'Espagne, en cette affaire. Le clergé espagnol se prononça pour la France, et un archevêque de Saragosse publia le mandement suivant :

« Le Roi Philippe III avait pouvoir et autorité pour faire ce qu'il a » fait, ou il n'avait pas ce pouvoir. Je dis la même chose des États du >> royaume qui ont concouru à cet acte de renonciation. S'ils n'a>> vaient pas ce pouvoir, la renonciation est nulle et de toute nullité,

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» comme ayant été approuvée, ordonnée, acceptée par personnes >> qui n'avaient nulle autorité en ce point. Si, au contraire, le Roi >> avait ce pouvoir, ce qui est le plus favorable à l'Archiduc Char» les (1); s'il a pu établir une chose contraire à toutes les lois du » royaume qui parlent de succession, contraire à l'ordre régulier et » à l'ancienne et particulière essence du droit du sang et d'hérédité, >> droit provenant de ses glorieux ancêtres les Rois de Castille et de » Léon, et en vigueur en ce royaume, depuis les temps les plus re>> culés; qui pourra nier qu'un autre Roi d'Espagne, comme fut >> Charles II, notre souverain, n'ait eu également le pouvoir de ré» voquer, en faveur de la convenance et de l'utilité publiques, une >> disposition exorbitante, irrégulière, contraire aux lois nationales, » pour rétablir la succession dans son ordre naturel et son ancien >> état, conformément aux lois du royaume, observées et gardées >> pendant toute la suite des temps?

>> Si donc notre Roi Charles II n'a fait autre chose, par son testa» ment, que déclarer qu'il ne convenait pas à l'utilité publique de » son royaume que la renonciation de sa sœur donnât l'exclusion à >> ses descendants; si ce testament n'a été fait qu'après une délibé– >> ration, et conseil pris du saint siége apostolique; si, en outre, >> Charles II a ordonné à tous ses sujets de recevoir pour son successeur » Philippe V, et de lui jurer fidélité; si le royaume tout entier, obéis» sant à son Roi et seigneur, comme il y était obligé, a accepté, regu » et juré ce successeur dans toutes les cités : qui peut douter de la » validité de cet acte, fait avec le même pouvoir et avec plus de » solennité que la renonciation, de cet acte bien plus conforme aux >> lois de la succession et au droit du sang? Nos lois n'excluent point >> de la couronne les maisons étrangères; l'Autriche y a été admise >> sans que l'honneur du trône en ait souffert. Le Roi Charles II, » comme souverain législateur, a levé l'empêchement que son père >> avait mis par la renonciation; l'utilité du royaume le demandait, et » le droit du sang ne permettait pas qu'on souffrit plus longtemps » l'injustice faite à Marie-Thérèse, aïeule de notre Philippe V, en >> excluant ses descendants, quand les lois du royaume ne les ex>> cluaient pas (2). »

(1) Le droit de l'Archiduc provenait non pas de Marguerite, femme de l'Empereur Léopold, qui n'avait eu de son premier mariage qu'une fille, mariée à l'Électeur de Bavière, et de laquelle il ne restait plus de postérité; mais de Marie-Anne d'Autriche, fille de Philippe III et mère de l'Empereur Léopold. Voy. sup., pag. 26.

(2) Ce curieux document a été publié pour la première fois en France, par M. Laboulaye, loc. cit., pag. 499.

pu

Ainsi disaient les Espagnols, et, au point de vue de leur droit public interne, comme du droit des gens de l'Europe civilisée, ils avaient raison. Charles II avait faire ce qu'avaient fait Philippe III et Philippe IV, et par les mêmes motifs. Or, comme l'Archiduc Charles (ou Charles III, ainsi que l'appelaient les coalisés) ne tirait son droit que de la renonciation imposée à Anne d'Autriche par Philippe III, dans son contrat de mariage et dans son testament (1), il ne pouvait contester, in jure, le droit corrélatif qu'avait eu Charles II, de faire un acte semblable en sens inverse. Philippe III et Philippe IV avaient agi comme législateurs souverains, en introduisant une exception dans le droit commun de l'État; Charles II agissait au même titre et avec le même droit, lorsqu'il soulevait cette même exception qui n'avait plus de raison d'être.

Mais, au point de vue du droit public européen, les lettres patentes par lesquelles Louis XIV conservait au duc d'Anjou le droit de succéder en France, et l'occu

(1) Le testament de Philippe III était ainsi conçu : « Et puisqu'il a plu à Dieu de me donner deux filles, dont l'aînée, l'Infante dame Anne, par de justes considérations du bien public de ces royaumes et de la chrétienté, a été donnée en mariage au roi très-chrétien de France, sous les conventions et conditions qu'on peut voir dans les articles du contrat de mariage et de la renonciation; c'est pourquoi, à l'instance des mémes royaumes, une loi fut faite, suivant lesdits articles stipulés dans le contrat de mariage, auxquels ladite S. Infante a consenti.... Ainsi, confirmant, consentant et approuvant les choses susdites et la dite loi, je commande et déclare qu'on doit conserver en tout et partout les dites conditions du contrat de mariage... Car ainsi est convenable pour le bien de ces royaumes et de la chrétienté... Par où par conséquent l'Infante dame Marie resteroit dans l'état présent comme une fille ainée et unique, laquelle je déclare et commande devoir succéder en ces royaumes el états, elle et toute sa postérité légitime, après l'extinction des princes D. Philippe, D. Charles et D. Ferdinand et de leurs descendants. » Dumont, loc. cit., pag. 25.

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