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idées politiques des cabinets? c'est ce que nous allons expliquer encore plus clairement.

§ V. NÉGOCIATIONS DE LA HAYE ET DE GERTRUYDENBERG.

Le langage de l'Archiduc était commandé par sa situation. Il était prétendant, et membre de la maison de Hapsbourg, menacée de perdre la moitié de ses possessions. Elle était constante dans son système et dans sa poursuite, depuis quarante ans. Mais l'Angleterre et la Hollande, ayant des intérêts tout différents, avaient désiré et accepté le démembrement de cette succession d'Espagne, que l'Autriche prétendait recueillir en entier. En apparence, ce fut la cession de l'Empereur Léopold à l'Archiduc Charles qui changea la face des choses. Toutefois, le concert de trois hommes, éminents par leur habileté, et tous trois animés, en secret, d'un même sentiment d'hostilité profonde envers Louis XIV et la France, eut une influence décisive sur l'esprit nouveau de la coalition. J'ai nommé le prince Eugène, Marlborough et le grand pensionnaire Heinsius. Le premier avait été blessé au vif par Louis XIV; le second était un des chefs du parti whig en Angleterre l'intérêt de son parti le poussait à la guerre, et une haine particulière contre la France l'y portait naturellement. Heinsius poursuivait la réparation de l'humiliation imposée aux Hollandais dans une guerre précédente. Ce triumvirat était la coalition elle-même; car Eugène et Marlborough étaient hommes d'état autant qu'hommes de guerre ; ils avaient la confiance absolue et les pleins pouvoirs des

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souverains dont ils dirigeaient les armées et la politique.

La fortune de la France et du grand règne se soutint pendant deux ans; mais les revers commencèrent vers la fin de la campagne de 1704. L'attaque et la défense avaient pris le caractère d'une lutte sanglante. Tout le monde connaît les épisodes de cette grande guerre de la succession, et je ne veux pas les retracer. Le destin des combats, qui avait été si longtemps favorable à la France, sembla nous abandonner tout à coup. En 1705, advint le désastre d'Hochstett, à la suite duquel on fut obligé d'évacuer l'Allemagne. La défaite de Ramillies, en 1706, nous expulsa des PaysBas, et la déroute de Turin nous chassa de l'Italie. Alors, la guerre fut portée sur les frontières de la vieille France. Toulon fut assiégé, Lille fut prise, et nous perdîmes encore la bataille d'Oudenarde. L'épuisement du pays était extrême, et, la disette ajoutant encore à ces calamités, l'honneur et la grandeur du règne de Louis XIV semblèrent compromis.

Abattu par les malheurs de la France, le Roi demanda noblement la paix à des ennemis auxquels ils l'avait dictée pendant un demi-siècle. La coalition, éblouie par la prospérité, abusa de la victoire. M. de Torcy et le président Rouillé vinrent à La Haye, en 1709, et reçurent la notification d'un projet en quarante articles, contenant les conditions que les alliés entendaient imposer à la France, à titre de Préliminaires. Ces propositions étaient signées de Heinsius, de Marlborough et du prince Eugène: si la France les acceptait, on accordait une suspension d'armes; mais si la paix n'était pas faite, dans deux mois, les hosti

lités devaient recommencer. En cet espace de deux mois, la France devait reconnaître l'Archiduc Charles, en qualité de Roi d'Espagne, des Indes, de Naples et de Sicile, et généralement de tous les états compris sous le nom de monarchie espagnole et le duc d'Anjou, Philippe V, devait immédiatement sortir d'Espagne, évacuer la Sicile, etc. La France devait remettre à l'empereur, Strasbourg, Brisach, Landau, et l'Alsace, qu'elle posséderait désormais dans le sens littéral du traité de Westphalie, c'est-à-dire, qu'elle se contenterait du droit de préfecture sur les dix villes impériales: elle devait céder, aux Provinces-Unies, Cassel, Lille, Tournai, Condé, et autres places de la Flandre (1).

L'article 6 de ces fameux Préliminaires était ainsi

conçu:

« La monarchie d'Espagne demeurera, dans son entier, dans la >> maison d'Autriche, sans qu'aucune de ses parties puisse en être » jamais démembrée, ni ladite monarchie, en tout ou en partie, » être unie à celle de France, ni qu'un seul et même Roi, ni un prince t » de la maison de France en devienne le souverain, de quelque manière » que ce soit : par testament, actes, succession, conventions matrimo»niales, dons, ventes, contrats et autres voies, quelles qu'elles puis» sent être, ni que le prince qui régnera en France, ni un prince de la » maison de France, puisse jamais régner en Espagne, ni acqué>> rir, dans l'étendue de ladite monarchie, aucunes villes fortes, pla» ces ou pays, dans aucune partie d'icelle, principalement dans les » Pays-Bas, en vertu d'aucuns dons, ventes, échanges, conventions » matrimoniales, hérédités, appels, succession par testament ou ab » intestat, en quelque sorte et manière que ce puisse être, tant >> pour lui que pour les princes ses enfants et frères, leurs héritiers et » descendants. >>

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L'objet et la politique de la coalition n'était donc plus ce qu'il était en 1701; alors elle ne voulait, pour

(1) Voy. le texte entier, dans Dumont, loc. cit., pag. 234.

l'empereur d'Autriche, que satisfactionem æquam et rationi convenientem, le maintien de la séparation des deux monarchies de France et d'Espagne, et ne regna Galliæ et Hispanic unquam sub idem imperium venirent; le 28 mai 1709, à La Haye, elle demandait la totalité de la monarchie espagnole pour l'Autriche, et l'exclusion de tous les princes de la maison de France de la couronne d'Espagne, quand même ils n'y seraient pas appelés par succession, mais par mariage. Ce dernier cas était une nouveauté remarquable et imprévue, un raffinement singulier, dans l'exclusion. C'était une prévoyance qui n'avait point encore apparu, ni dans les mariages espagnols des rois de France, ni dans les testaments des Rois d'Espagne, ni dans les renonciations des Reines Anne et Marie-Thérèse. Dans ces derniers actes, les princes de France étaient exclus à titre d'héritiers, mais non pas à titre d'époux d'une Infante, héritière du trône; on n'avait pas voulu qu'un successible direct de la couronne de France pût jamais prétendre à la couronne d'Espagne, en qualité de successible des deux Reines; c'est le sens et la lettre des actes. Mais on n'avait pas inclus dans l'incapacité le cas où ce prince viendrait à la couronne, à un autre titre que celui d'héritier des deux Infantes: le cas, par exemple, où il épouserait une princesse espagnole, et prétendrait s'asseoir à côté d'elle, sur le trône, en renonçant à sa patrie. Les mots conventions matrimoniales ne se rencontrent pas dans la renonciation si exubérante de Marie-Thérèse. C'était un cas particulier, auquel la clause ne pouvait être applicable, si l'on se reporte à la pensée et au but de la renonciation; c'était un cas excepté, à peu près sem

blable à celui pour lequel avait disposé Charles II, dans son testament, en choisissant un fils cadet de France, non héritier de la couronne, et appelé à faire souche séparée en Espagne.

Pour exclure un Bourbon montant sur le trône d'Espagne en qualité, non d'héritier des deux Reines, mais en qualité d'époux d'une Infante, il fallait prohiber autre chose que le cumul des couronnes, il fallait exclure la race entière, sans autre raison politique qu'une méfiance dérisoire, et, à vrai dire, en haine du sang et du nom

On voudrait faire entendre que l'exclusion de la famille n'avait pour objet que d'éviter la possibilité même du cumul, par le moyen le plus décisif et le plus péremptoire par le moyen qui devait couper, à sa racine, le fil de toute jonction possible, et empêcher que le cas d'une réunion pût jamais se présenter, même par la seule imagination, en écartant ainsi du tròne espagnol tout prince que le hasard, le plus imprévu et le plus éloigné, pourrait appeler un jour, mero jure, à la couronne de France.

En aucun temps, et en aucun pays civilisé, les rapports des États n'ont été gouvernés par des lois mathématiquement absurdes. On fait des règles pour le présent et le probable, et non pour un futur contingent imaginaire. L'exclusion des héritiers présomptifs et probables était, certes, une garantie suffisante; aller plus loin c'était folie. Ce n'est point ainsi qu'on l'entendait dans le traité de partage du 25 mars 4700, lorsqu'on se bornait à exclure le Roi des Romains et le Dauphin de France; ce n'est point ainsi qu'on l'entendait avec la branche aînée d'Au

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