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qu'ils laissèrent, les suivit de près, lui-même, et mourut le 8 mars, âgé de cinq ans. Il ne restait donc de toute cette lignée, que le duc d'Anjou, depuis Louis XV, prince alors âgé de deux ans seulement, et qui fut aussi en grand danger. De sorte que Phi– lippe V, Roi d'Espagne, second fils de Monseigneur, et oncle du nouveau Dauphin, n'était séparé du trône, où l'appelait le droit du sang, que par un prince en bas âge et d'une santé chancelante. Cette situation critique de la branche régnante de Bourbon fit naître de sérieuses réflexions dans les cabinets étrangers, et le ministère anglais dut y porter une sollicitude d'autant plus vive, que l'opposition en tirait argument pour l'accuser d'imprévoyance.

Ce fut alors seulement que des instructions additionnelles furent données par le cabinet anglais, au sujet des moyens à prendre pour éviter une réunion ou cumul de couronnes qui, de nouveau, se présentait comme possible. C'est alors seulement que l'on songea aux renonciations, et voici ce que lord Bolingbroke manda aux ministres d'Utrecht :

«J'ai reçu hier matin une lettre de M. de Torcy, datée de jeudi » dernier (1), par laquelle il m'annonce la nouvelle de la mort du » troisième Dauphin décédé cette année, avec l'assurance que le » Roi persiste dans la résolution de concourir avec nous, par d'effi» caces mesures, à prévenir la réunion des deux couronnes. M. Har>> ley doit communiquer à vos Seigneuries le meilleur moyen qui ait >> paru convenable à la Reine pour obtenir ce résultat. La mort de » ces princes ne laisse qu'un enfant de deux ans entre Philippe V et

(1) La lettre de M. de Torcy est datée du 10 mars et se trouve dans la correspondance de lord Bolingbroke, tom. II, pag. 204.

» la couronne de France, et nous impose la nécessité de nous occu» per tout d'abord de cette question importante (1). »

Et, en effet, M. Harley reçut les instructions additionnelles qui suivent :

« L'article en vertu duquel des mesures efficaces doivent être pri» ses pour prévenir l'union des deux couronnes d'Espagne et de » France sur la même tête, a rapport à un point de la plus grande » difficulté et de la plus haute importance. On ne peut indiquer au» cun expédient qui ne donne lieu à quelques objections; mais, ou>> tre ce qui est mentionné dans la dernière dépêche de MM. les plé» nipotentiaires, du 26 février, Sa Majesté pense que l'on pourrait >> proposer que le droit de succession à la couronne d'Espagne fût » expressément fixé dans le traité; que le cas où Philippe V ou ses >> enfants seraient appelés de droit à la couronne de France fût assimilé, sous tous les rapports, au cas de l'extinction de la branche espagnole de Bourbon; que le plus prochain successeur à la cou>> ronne fût indiqué pour ce cas, et que, si cela était praticable, les » États d'Espagne eux-mêmes donnassent leur adhésion à cet arran»gement. »

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Et, dans une seconde instruction additionnelle, il est dit :

«En outre de ce qui a été mentionné, on pense qu'il est conve>>nable d'ajouter ce qui suit, relativement à la nouvelle de la mort » du Dauphin et au cas possible où la même personne aurait droit » aux deux couronnes de France et d'Espagne, que la succession à » la couronne de France devra passer, après M. le Dauphin et ses » enfants, au duc d'Orléans et à ses descendants, et ainsi de suite >> au reste de la famille de Bourbon, à l'exclusion de Philippe V et » de ses héritiers.

» Philippe V ferait donc une renonciation formelle, pour lui-même » et pour ses descendants, à tous ses droits à la couronne de France, » et les cortès ou États d'Espagne donneraient leur adhésion à ce » que, à l'exclusion des autres branches de la maison de Bourbon, » ils consentent que la couronne d'Espagne passe, en cas d'extinc» tion de la famille de Philippe V (comme on l'avait vu pour la bran

(1) Voy. Corresp. de lord Bolingbroke, tom. II, pag. 199.

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» che espagnole d'Autriche), à telle autre famille qu'il leur plaira de » choisir. Le désir de la Reine serait que le choix tombât sur la mai» son de Savoie, » etc. (1).

Voilà les premières idées qui furent émises, par l'Angleterre, en présence d'un danger imminent, sur l'expédient à choisir pour éviter la réunion des couronnes. L'idée fondamentale était celle-ci : détruire tout lien de successibilité entre les deux branches, espagnole et française, de la maison de Bourbon. Il est à remarquer que le ministère anglais évitait de s'ingérer directement dans le règlement intérieur du droit de succession au trône d'Espagne. La renonciation devait émaner de Philippe V, législateur souverain, et cette loi nouvelle de succession devait obtenir la sanction du pays d'Espagne représenté par ses cortès. La souveraineté de l'Espagne était donc respectée, et c'était un second retour sur les pratiques adoptées jusqu'à ce jour.

On ne demandait point, alors, de renonciation au duc d'Orléans, ni à la branche de Condé. Quant à la renonciation de Philippe V, M. de Torcy répondit, avec une grande bonne foi, aux propositions qu'on vient de lire, par un mémoire remis à l'abbé Gautier.

« La France, dit-il, ne peut jamais consentir à devenir province » de l'Espagne, et l'Espagne pensera de même à l'égard de la France. >> Il est donc question de prendre des mesures solides pour empêcher >> l'union des deux monarchies; mais on s'écarterait absolument du >> but qu'on se propose... si l'on contrevenait aux lois fondamenta>>les du royaume. Suivant ces lois, le prince le plus proche de la >> couronne en est héritier nécessaire... il succède, non comme héri>> tier, mais comme le monarque du royaume... par le seul droit de » sa naissance. Il n'est redevable de la couronne ni au testament de >> son prédécesseur, ni à aucun édit, ni à aucun décret, ni enfin à » la libéralité de personne, mais à la loi. Cette loi est regardée

(1) Voy. le texte, aux pièces justificatives, no 9.

» comme l'ouvrage de celui qui a établi toutes les monarchies, et » nous sommes persuadés, en France, que Dieu seul la peut abolir.

» Nulle renonciation ne peut donc la détruire, et si le Roi d'Espa

» gne donnait la sienne, pour le bien de la paix et par obéissance » pour le Roi son grand-père, on se tromperait en la recevant comme » un expédient suffisant pour prévenir le mal qu'on se propose d'é» viter (4). »

Après cette exposition du droit public interne de l'ancienne monarchie française, M. de Torcy ajoute que le plus sûr expédient serait de s'en tenir au testament du Roi Charles II, d'après lequel, le cas échéant de la réunion héréditaire des deux monarchies, le Roi d'Espagne doit opter, entre la couronne de France et celle d'Espagne, et cette dernière couronne doit passer, par voie de substitution, soit à une autre branche collatérale de Bourbon, soit à la maison d'Autriche, avec la même charge de séparation.

M. de Torcy nous apprend, en outre, que, depuis l'avénement de Philippe V au trône, ce prince avait fait enregistrer dans les conseils d'Espagne une déclaration portant que les descendants de la reine Anne d'Autriche devaient succéder au trône d'Espagne, à défaut des descendants de Marie-Thérèse, comme étant relevés de la renonciation de leur aïeule, au même titre que ceuxci, par le testament de Charles II. Les descendants d'Anne d'Autriche, exclus d'abord par la renonciation de leur aïeule, convertie en loi de l'État, comme on l'a vu plus haut, avaient donc été relevés de l'exclusion par le testament de Charles II, converti également en

(1) Voy. la corresp. de Bolingbroke, tom. II, pag. 222. il s'agit est du 22 mars.

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loi de l'État, et par un décret de Philippe V approuvé par les cortès. Le même pouvoir souverain avait modifié, dans tous les cas, en vertu de son droit national, la loi de succession au trône. Nous reviendrons sur ce point important. Ainsi, continue M. de Torcy, M. le duc d'Orléans succéderait à Philippe V, au défaut de M. le duc de Berry, après l'option éventuelle de chacun de ces princes pour la couronne de France; cette disposition pouvait assurer la séparation perpétuelle des deux monarchies.

Lord Bolingbroke se hâta de répondre à M. de Torcy que l'expédient proposé ne convenait pas à la Reine, et, en effet, disait-il, en supposant que le cas pút arriver où celui qui serait en possession de la couronne d'Espagne aurait le droit de succéder à la couronne de France, qui pouvait assurer que ce prince ne se servirait pas de sa puissance pour conserver l'une et pour acquérir l'autre, plutôt que de montrer une modération généreuse que Bolingbroke qualifie de sans exemple?

« Nous voulons bien croire, ajoute lord Bolingbroke, que vous êtes » persuadés, en France, que Dieu seul peut abolir la loi sur laquelle >> le droit de votre succession est fondé; mais vous nous permettrez » d'être persuadés, dans la Grande-Bretagne, qu'un prince peut se » départir de son droit par une cession volontaire, et que celui en » faveur de qui cette renonciation se fait peut être justement sou» tenu dans ses prétentions par les puissances qui deviennent ga»rantes du traité (1). »

M. de Torcy avait placé la question sur le terrain du droit public français; le ministre anglais la plaça plus à propos sur le terrain du droit public européen.

(1) Correspond. de L. Bolingbroke, tom. II, pag. 22.

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