Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Dans une autre lettre à un ministre étranger siégeant à Utrecht, lord Bolingbroke exprime sa résolution en termes précieux :

« Soyons fermes sur ce point, y est-il dit; tout homme peut faire » une cession volontaire de son droit, et ceux qui sont garants d'un >> accord peuvent justement soutenir les prétentions de celui en fa» veur duquel la résignation volontaire aura été faite. Sur le premier » plan, l'intérêt de la maison de Bourbon s'accordera avec l'intérêt » général de l'Europe; sur l'autre, nous n'avons que la vie d'un en» fant de deux ans pour toute sûreté (4). »

Plusieurs dépêches furent encore échangées à ce sujet entre les ministres d'Angleterre et de France; elles nous sont conservées dans la correspondance de lord Bolingbroke; elles attestent la sincérité des deux cabinets et la difficulté de la solution. Dans l'état où se trouvait alors la famille royale de France, Louis XIV hésitait à éloigner définitivement de la succession au trône de France son petit-fils, Philippe V. Il désirait lui réserver la faculté d'opter entre les deux couronnes, le cas échéant. L'Angleterre voulait au contraire que le choix fût immédiat et irrévocable. C'est sur ce point qu'ont porté les conférences, pendant plus de deux mois. Les choses étaient à ce degré lorsque la Reine d'Angleterre proposa un expédient qui ne fut pas accepté. C'était, que Philippe V abandonnât l'Espagne et les Indes au duc de Savoie, lequel, en échange, abandonnerait à Philippe V ses États héréditaires, avec le Montferrat et le Mantouan. La Sicile, Naples et les États de Savoie auraient ainsi formé une Royauté qui serait restée, à l'exception de la Sicile, au pouvoir de Philippe V, dans le cas où la succession de

(1) Correspond., etc., t. II, pag. 237 et suiv.

[ocr errors]

France lui serait échue; et les Etats de Savoie auraient été, en ce cas, regardés comme provinces de France; la monarchie espagnole aurait été définitivement acquise à la maison de Savoie (1), et si la France eût perdu quelque sécurité de voisinage, du côté des Pyrénées, elle en eût été dédommagée par la sécurité de sa barrière des Alpes. Ces propositions étaient faites au mois de mai. Louis XIV engageait le Roi d'Espagne à y souscrire; une correspondance aussi noble que touchante, et qui est connue, s'ouvrit à ce sujet entre l'aïeul et son petit-fils. Mais Philippe V se prononça pour l'Espagne, qui depuis dix ans, dit-il, versait son sang pour lui sur les champs de bataille, et il préféra renoncer nettement à ses droits sur la couronne de France (2). Philippe V ajoutait qu'il agissait, en cela même, comme un bon Français. Il disait vrai.

Aussitôt que la nouvelle en fut arrivée à Londres, la Reine s'empressa de la faire connaître au parlement, et voici ce que nous lisons dans le discours qu'elle y prononça le 17 juin 1712:

« Le principal motif pour lequel on a commencé cette guerre a été >> l'appréhension que l'Espagne et les Indes-Occidentales ne fussent » unies à la France; et le but que je me suis proposé, dès le com» mencement de ce traité, a été de prévenir effectivement cette » union.

>> Les exemples du passé et les dernières négociations ont suffi» samment fait voir combien il était difficile de trouver les moyens >> d'accomplir cet ouvrage. Je n'ai pas voulu me contenter de ceux » qui sont spéculatifs ou qui dépendent seulement des traités; j'ai >> insisté sur le solide et d'avoir en main le pouvoir d'exécuter ce » dont on serait convenu.

(1) Voy. la corresp. de lord Bolingbroke, tom. II, pag. 284 et suiv (2) Voy. la même corresp., ibid. pag. 355 et suiv.

»Je puis vous dire donc à présent que la France en est enfin ve»nue à offrir que le duc d'Anjou renoncera à jamais, tant pour lui » que pour ses descendants, à toute sorte de prétentions sur la cou» ronne de France, et, afin que cet article important ne coure au» cun risque, l'exécution doit accompagner la promesse.

> En même temps, il sera déclaré que le droit de succéder à la > couronne de France, immédiatement après la mort du présent Dauphin et de ses fils, appartiendra au duc de Berry et à ses fils, » sera dévolu ensuite au duc d'Orléans et à ses fils, et de même au » reste de la maison de Bourbon.

D

D

» Pour ce qui regarde l'Espagne et les Indes, la succession à ces États, après le duc d'Anjou et ses descendants, doit descendre à » tel prince dont il sera convenu par le traité, en excluant à jamais » le reste de la maison de Bourbon...

>> Cette proposition est d'une telle nature qu'elle s'exécute d'elle» même. C'est l'intérêt de l'Espagne de la soutenir; et, en France, » les personnes à qui cette succession doit appartenir seront assez » prêtes à soutenir leurs droits, et assez puissantes pour en venir à Dbout.

>> La France et l'Espagne sont maintenant plus divisées que ja» mais, et ainsi, par l'assistance de Dieu, il se trouvera une balance » de pouvoir réellement établie en Europe, de manière à n'être su» jette qu'à ces accidents imprévus desquels il est impossible d'af» franchir entièrement les affaires humaines (1). »

En effet, on ne pouvait faire mieux que de séparer immédiatement tout lien de cosuccessibilité entre les deux branches espagnole et française de la maison de Bourbon. La chambre des communes donna son adhésion à la communication de la Reine; mais une opposition violente se manifesta dans la chambre des pairs. Les pairs opposants exprimèrent, dans leurs protestations, l'opinion que la renonciation de Philippe V était nulle, qu'elle n'obligeait pas ses enfants; que leur droit de naissance était inviolable, selon la constitution fondamentale du royaume de France; que personne en

(1) Voy. Acles et mémoires, etc., tom. II, pag. 27 et suiv.

х

France ne s'y croirait obligé; qu'on ne peut raisonnablement se promettre que les deux couronnes de France et d'Espagne resteront séparées dans les branches de la maison de Bourbon; que le projet du ministère n'aurait d'autre résultat que d'unir ensemble les monarchies de France et d'Espagne, et d'établir la monarchie universelle dans la maison de Bourbon (1).

On n'avait parlé jusque-là que de la renonciation de Philippe V; mais comme on soulevait l'objection d'une nullité radicale, on crut y remédier, en obtenant une nouvelle garantie, par la renonciation des ducs d'Orléans et de Berry aux droits qui pouvaient leur échoir sur la couronne d'Espagne, soit du chef d'Anne d'Autriche, soit du chef de Marie-Thérèse. Plusieurs motifs décidèrent le cabinet anglais à demander ces renonciations. D'abord, les ducs d'Orléans et de Berry, en admettant l'efficacité de la renonciation de Philippe V, n'étaient séparés du trône que par un enfant de deux ans et valétudinaire. En second lieu, la renonciation du duc de Berry et du duc d'Orléans à leur droit de succession sur la monarchie espagnole était l'équipollent de la renonciation de Philippe V à son droit de succession sur la monarchie française. Le désir de donner à un contrat unilatéral de renonciation la force d'un contrat synallagmatique, par le complément d'une renonciation équivalente, était le motif de la demande que fit lord Bolingbroke à M. de Torcy, dans cette lettre, datée du jour même de la séance royale, en Angleterre :

(1) Voy. ibid., pag. 35 et suiv.

« La Reine, Monsieur, m'a commandé de vous faire savoir que, » quoique votre dernier mémoire n'ait pas répondu, selon son at>>tente, aux demandes que je vous ai faites, Sa Majesté n'a pas » laissé de se rendre aujourd'hui au parlement, et de lui faire tou»tes les déclarations nécessaires pour rendre cette nation unanime»ment portée à la paix, et pour ôter à ceux qui en ont l'inclination le pouvoir de plus traverser la conclusion de notre grand » ouvrage.

» Le commencement et le cours de cette négociation ont été établis » sur la bonne foi de part et d'autre ; la Reine se repose entièrement » sur celle du Roi; elle croit lui en avoir donné des preuves, elle est » prête à lui en donner de nouvelles; mais il y a certains cas où, » entre les parents les plus proches, entre les amis les plus intimes, >> la prudence demande qu'on prenne les précautions les plus exactes.

» L'expédient pour prévenir la réunion des deux monarchies de » France et d'Espagne est le point capital de notre négociation, et Sa a Majesté se départirait plutôt de tous ceux dont nous sommes conve»nus que de laisser celui-ci dans l'incertitude...

D

» Sur ce fondement, la Reine espère que Sa Majesté très-chrétienne > ne trouvera rien d'offensant dans les demandes... contenues dans » le mémoire ci-joint (4). »

Le mémoire contenait des articles proposés par la Reine, pour une suspension d'armes, entre les armées anglaise et française, qui étaient en présence, dans les Pays-Bas. Fatiguée des retards qu'éprouvait la négociation générale, l'Angleterre avait résolu de traiter séparément de la paix. Elle proposait donc un armistice de deux mois, pendant lequel on tâcherait au moins de conclure l'article qui regarde la séparation des deux monarchies. Le Roi Philippe V renoncerait, dans cet espace de temps, et dans toutes les formes, pour lui et pour ses descendants, à la couronne de France. Cette renonciation serait acceptée par le Roi très-chrétien et ratifiée de la manière la plus solennelle par les États du royaume

de France. La succession à la couronne devait être ad

(1) Corresp. de lord Bolingbroke, tom. II, pag. 364 et suiv.

[ocr errors]
« AnteriorContinuar »