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La théorie de la sélection elle-même n'appartient pas à Darwin exclusivement. Les espèces actuelles, - disait déjà Lucrèce, n'ont pu subsister que grâce à leur ruse, à leur force, à leur vitesse; les autres ont succombé (1) ». - Et Plutarque, remarquant que les chevaux qui avaient été poursuivis par les loups étaient plus rapides que les autres, en donnait cette raison: «que, les plus lents de la bande ayant été atteints et dévorés par les carnassiers, les plus agiles seuls avaient survécu ».

La loi d'attraction de Newton était déjà tracée dans les ouvrages du XVIe siècle et particulièrement dans ceux de Copernic et de Kepler: elle fut presque complétée par Hoock.

Il en est ainsi du magnétisme, de la chimie et même de l'anthropologie criminelle, etc., etc. Donc, ce n'est pas la civilisation qui produit les génies et les découvertes, mais elle en aide l'éclosion, ou, mieux, en détermine l'acceptation.

On peut donc admettre que toutes les époques et tous les pays peuvent avoir des génies; mais, comme dans la lutte pour l'existence, la plus grande partie des êtres ne naît que pour devenir de suite la proie de l'autre, ainsi, beaucoup de génies, s'ils ne trouvent pas le moment favorable, restent ou ignorés, ou méconnus.

S'il y a des civilisations qui aident au développement du génie, il y en a aussi qui lui sont nuisibles. - Dans les régions de l'Italie, par exemple, où la civilisation est plus ancienne, et où elle s'est renouvelée, et plus fortement à chaque reprise, si la trempe du peuple est plus ouverte, la formation du génie y est plus rare en général, là où la culture publique date de plus loin on est plus répugnant aux nouveautés. Au contraire dans les pays où la civilisation est récente et où la barbarie a dominé plus longtemps, comme en Russie, les idées nouvelles sont acceptées avec la plus grande faveur.

(1) LUCRECE. De rerum natura.

Lorsque le retour d'une même observation rend moins. apre et favorise l'acceptation des vérités nouvelles, les génies utiles et même nécessaires sont acceptés, acclamés, élevés sur les autels.

Le public qui aperçoit la coïncidence entre une civilisation donnée et la manifestation du génie, croit l'une en rapport avec l'autre, confond l'influence légère qui détermine l'éclosion du poussin, avec la fécondation qui remonte, au contraire, à la race, aux météores, à la nutrition, etc.

C'est ce qui arrive aussi de nos jours. L'hypnotisme est là pour prouver combien de fois, même sous nos yeux, une notion scientifique se renouvela, et comment on prit toujours pour nouvelle une même découverte. Chaque âge n'est pas également mûr pour les inventions qui n'avaient point, ou qui avaient trop peu de précédents, et alors elle est incapable de s'apercevoir de son inaptitude à les adopter. En Italie, pendant une vingtaine d'années, les meilleures autorités prirent pour un fou celui qui avait découvert la pellagrozéïne: à présent encore le monde académique, composé toujours de médiocrités intelligentes, rit de l'anthropologie criminelle, raille l'hypnotisme, se moque de l'homéopatie : peut-être même que mes amis et moi, qui rions du spiritisme, nous sommes, grâce au misonéisme qui couve en tous, dans l'erreur, et, comme les hypnotisés, nous sommes dans l'impossibilité de nous en apercevoir.

TROISIÈME PARTIE

Le génie dans les fous

CHAPITRE PREMIER

207

EXEMPLES DE FOUS DE GÉNIE LITTÉRAIRE, POÉTIQUE, HUMORISTIQUE, etc. Les journaux

des hospices d'aliénés. - Résumé. visme.

Passion. Ata

Le lien que nous avons démontré exister entre le génie et la folie est confirmé par la surexcitation de l'intelligence et par la vraie génialité temporaire, qu'on observe, bien de fois, chez les fous.

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Il semble, écrit Ch. Nodier, que les rayons, si divergents et si éparpillés, de l'intelligence malade, se resserrent tout coup en faisceau, comme ceux du soleil, dans une lentille, et prêtent alors aux discours du pauvre aliéné, tant d'éclat, qu'il est permis de douter qu'il ait jamais été plus savant, plus clair et plus persuasif, dans l'entière jouissance de sa raison. (CH. NODIER, Les Bas bleus; 1846, p. 217).

La folie, écrivait Gautier (1), « qui creuse de si énormes lacunes, ne suspend pas toujours toutes les facultés. La quantité est souvent fort bien observée dans des poésies d'une démence complète. Domenico Theotocopuli, le peintre grec dont on admire dans les églises d'Espagne, des chefsd'œuvre était fou. Nous avons vu en Angleterre des combats de lions et d'étalons en fureur, exécutés par un aliéné, sur une planche avec une pointe de fer rougie au feu, et qui avaient l'air d'une esquisse de Géricault frottée au bitume ».

Sous l'influence de la folie « un paysan ignorant fera des vers latins; un autre parlera tout à coup un idiome qu'il n'avait jamais appris, et ne pourra plus en dire un mot dès qu'il sera guéri; une femme chantera des hymnes et des poésies latines qu'elle n'avait jamais connues; un enfant blessé à la tête fera des syllogismes en langue allemande et ne pourra plus proférer une seule expression de cette langue dès qu'il ne sera plus malade (2) ».

Winslow connut un gentilhomme, incapable dans l'état normal de faire une simple addition, et qui, dans les accès de manie, devenait un mathématicien excellent. Ainsi une femme, poète à l'asile des aliénés, redevenait, à sa guérison, une ménagére paisible et prosaïque.

Un monomaniaque de Bicêtre se plaignait, avec ces beaux vers, de sa détention:

« Ah! le poète de Florence

N'avait pas, dans son chant sacré
Rêvè l'abime de souffrance

De tes murs, Bicêtre exécré (3) ».

(1) THE OHPILE GAUTIER. Voyage en Italie. Paris, Charpentier, 1880.

(2) TRELAT. Recherches historiques sur la folie, p. 81. Paris, J.-B. Baillière, 1839.

(3 MOREAU. Psychologie morbide. Paris, 1859.

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