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la gravité de l'acte, que pour peu, il se fût arrêté à la pensée de la justice. Enfin la honte de la chaîne, le contact des autres détenus, l'affectent grandement.

On remarquera que les mots dont il se sert dans son mémoire ont une signification particulière pour lui, ce qui est un des caractères des monomanes.

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La forme de folie qu'il simulait, la manie instinctive avec hallucination, lui était la plus facile à imiter, car il en trouvait le modèle en lui-même. Sans l'étrange conviction que les médecins voulaient le protéger à tout prix, il aurait continué à feindre, même avec nous. Privés de ce secours inattendu nous courions le danger de le juger maniaque quand il ne l'était point, ou simulateur lorsqu'il ne simulait plus.

Voilà une preuve nouvelle et éloquente du peu de valeur qu'ont les expertises fondées exclusivement sur les facultés psychiques et de l'utilité de la nouvelle école psychiatrique expérimentale (1).

Après la lecture de ce mémoire, qui peut encore douter qu'il n'y ait des cas où la folie prête aux intelligences vulgaires un levain qui les soulève au-dessus du commun?

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Synthèse. Le caractère plus manifeste et le plus général de ces poètes, éclos de la folie, est, précisément, le grand effort de l'intelligence qui contraste avec les conditions de leur vie antérieure.

Chez beaucoup, il est vrai, l'effort se réduit à un pétillement continuel d'épigrammes, de paronomasies, d'assonances, de ce qu'on appelle, enfin, traits d'esprits, calembours, mais que, vraiment, il n'est pas étonnant de trouver si abondamment dans les maisons d'aliénés, car, le plus souvent, ils sont la négation du bon sens et de la logique.

(1) En voir l'exposé dans mes: Klinische Beiträg zur Psychiatrie, p. 12, 18, 80. O. Wigand, Leipzig, 1869.

Cette tendance, ou tout au moins, la tendance aux allitérations, aux rimes, se rencontre dans presque tous leurs travaux, même en prose.

Pourtant il n'est pas rare de trouver parmi eux des philosophes improvisés, qui, dans leurs énoncés, renouvellent les systèmes des positivistes, d'Épicure, de Comte; on voit, du moins, étinceler dans ces cerveaux éclairés par la folie, les points plus saillants, d'où ces systèmes ont dû prendre naissance; et cela parce que ils ont moins de misonéisme et plus d'originalité que les gens normaux.

Leur caractère plus frappant, l'originalité qui va jusqu'au délire, est due au débordement de l'imagination qui n'est plus retenue par le frein de la logique et du bon sens. Il est naturel que, plus l'esprit est orné et endommagé, moins il aura de mesure. Nous rappelons ici les prétendues métamorphoses et le vagabondage de l'âme de P... de Sienne, les écrits de M... de Pesaro, qui dans sa manie de gréciser avait inventé une langue nouvelle, dans laquelle le gravier s'appellait lithiase, la mer equor, les convictions agonies, le monde un vase.

L'association plus rapide des idées, l'imagination plus vive, leur permettent, souvent, de résoudre des problèmes, dont des intelligences plus cultivées, mais normales, n'ont pu trouver la solution.

Un autre caractère particulier aux fous, et qu'on retrouve aussi dans les écrits des criminels, c'est un penchant marqué à parler d'eux-mêmes ou de leurs camarades, à s'autobiographier, se laissant complètement entraîner par le torrent de l'ambition et de l'amour; seulement, chez les fous, les expressions sont moins artificieuses que chez les criminels. Ceux-ci ont plus de cohérence, mais une force. créatrice plus faible et moins d'originalité (1).

(1) Voir mon Homme Criminel. Paris, 1887.

Ce qui appartient plus encore au fou, c'est: l'usage des assonnances qui souvent remplacent le raisonnement: l'emploi de paroles spéciales, qu'ils interprètent à leur façon: et l'importance exagérée attribuée aux choses les plus frivoles.

« C'est le travail des fous d'épuiser leurs cervelles
Sur des riens fatigants, sur quelques bagatelles

disait Hécart dans la préface de son Gualana, qui du reste, n'est que l'ouvrage d'un mattoïde.

Un grand nombre d'entre eux, moindre cependant que chez les mattoïdes, joignent le dessin à la poésie, comme si les mots ne suffisaient pas séparément à l'épanchement de leurs idées (1).

Le style est heurté; mais il abonde en phrases vigoureuses et sculpturales, tellement que souvent il égale et parfois même surpasse les produits de l'art plus calme et plus raffiné.

Passion. - Ceci, non plus que le penchant à la versification chez des individus qui, avant de tomber en démence, ignoraient la prosodie, ne doit point émerveiller. La poésie, comme l'a bien dit Byron et comme il l'a démontré par son exemple personnel, est l'expression de la passion excitée, et elle croît en vigueur et en efficacité, en raison même de l'excitation.

Que le rhythme bien plus que la prose, donne issue à l'excitation psychique anormale et la serve mieux, nous pouvons le déduire de la veine poétique des ivrognes et des affirmations spontanées de poètes aliénés :

« Je vous écris en vers n'en soyez pas choqué,

En prose je ne sais exprimer ma pensée »,

(1) Nous parlerons des autres causes, comme de l'influence du rhythme et du chant, à propos de la musique, dans le chapitre suivant.

écrivait à Arboux un criminel maniaque, expliquant très bien cette tendance (1).

Et un lypémane de Pesaro donnait cette explication de quelques uns de ses vers: « La poésie est une émanation spontanée de l'âme la poésie est le cri de l'âme transpercée par la douleur (2) ».

Atavisme. Vico avait déjà deviné et plus tard Buckle a expliqué admirablement, comment chez les peuples primitifs les penseurs ou les savants étaient tous poètes. De fait, les premières histoires ont été fixées et transmises en vers par les bardes de la Gaule ou par les Toolkolos du Thibet: et de même dans l'Amérique (3), le Dekkan (4), l'Afrique (5) et dans l'Océanie (6).

Ellis écrit que, lorsque des contestations sur les ancêtres s'élevaient parmi les habitants de la Polynésie, ils se servaient des anciennes ballades, transmises par tradition, comme de documents historiques (6).

De même que dans les Indes, dans l'Europe du moyen âge, les sciences étaient exposées en vers. - Montucla parle d'un traité de mathématiques du treizième siècle écrit en vers. Un anglais traduisit aussi en vers les Institutes de Justinien et un polonais traita, dans le même langage, de la science du blason.

L'histoire proprement dite, bien qu'en prose, n'était pas pour cela moins fabuleuse, moins remplie de sottises fantastiques, et moins riche de paronomasies que la poésie. -Troyes dérivait de Troie; — Nuremberg de Néron; les Sarrasins de Sara; - Mahomet était un cardinal; - Naples

(1) Les prisons de Paris. 1881.

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(2) Diario del Manicomio di Pesaro. 1879.

(3) PRESCOTT. Hist. of Peru, 1.

(4) WILK. Hist. of the South Ind, p. 20.

(5) MUNGO-PARK. Travels. 1.

(6) ELLIS. Polynésie. 1, p. 45.

était née sur des œufs; les enfants nés après certaines victoires des Turcs n'avaient que 22 ou 23 dents au lieu de 32. Turpin, qui était le Macaulay de son temps, racontait dans son histoire que les murs de Pampelune tombèrent, par la seule vertu des prières des soldats de Charlemagne; Ferrautte avait vingt coudées de hauteur, et un visage d'une coudée de long.

Somme toute, c'étaient les mêmes fables que celles des veillées de nos chaumières, dont on ne peut recueillir autre chose que l'uniforme imbécillité humaine, d'autant plus fantastique qu'elle est plus ignorante; enfantillages stériles qui font perdre bien du temps aux philologues qui s'en occupent.

Et dans la prose on retrouve, aussi, l'influence atavistique. MM. Tanzi et Riva (1), à propos de quelques écrits de monomanes, disaient :

« Aux démonomanes d'il y a cent ans, représentants tardifs du mysticisme du moyen-âge, qui nous donnent le vieux modèle de la paranoia, se substituent à présent les paranoïques modernes, nouveaux alchimistes qui, avec leurs délires pseudo-scientifiques, leurs phrases vides, renouvellent le style et les pensées de Trithème, d'Agrippa, de Paracelse et autres écrivains du quinzième siècle, adeptes extravagants, mais érudits et vénérés, des sciences occultes et de la magie.

« La paranoia accompagne l'humanité dans sa marche à travers les siècles, suit avec quelque retard ses vicissitudes, mais n'en reste souvent séparée que par une faible distance.

> Comme exemple de cette dernière espèce peut servir le fragment suivant d'une autobiographie bien longue, écrite par un paranoïque. Il accompagne l'exposé très exact et piquant de ses aventures par des considérations délirantes de

cette nature:

(1) La Paranoia. Reggio, 1886.

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