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Une curieuse conformité d'instinct se rencontra chez deux artistes, l'un de Turin, l'autre de Reggio. Ils avaient le même penchant à la sodomie qu'ils fondaient dans l'idée délirante de se croire Dieux, maîtres du monde qu'ils avaient créé et émis par l'anus. L'un d'eux, qui pourtant jouissait d'un vrai sens artistique, se représenta en pleine érection, nu parmi des femmes, excrétant des mondes, entouré de tous les symboles du pouvoir. C'est la répétition et l'explication du Dieu Ithyphallus des Égyptiens (1).

12. Criminalité et folie morale. Il est important de noter, ici, que dans le plus grand nombre de ces artistes, aux autres délires s'ajoutent la folie morale et un penchant très marqué à la sodomie. — Le peintre du tableau Il délire! (2) était un pédéraste.

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L'auteur du merveilleux modèle de l'hospice de Reggio, dont j'ai parlé, n'a jamais été dessinateur, ni sculpteur, ni ingénieur: c'était un fou, voleur par surcroît, avec des tendances contre nature. Quand le caprice le prenait, il se sauvait de l'hospice; vagabondait quelques jours avec le peu d'argent qu'il possédait et volait; aussitôt l'argent fini: emprisonné, il déclarait ce qu'il était, c'est-à-dire un fou, se faisait absoudre et reconduire à l'hospice, sauf à répéter son coup quelque mois après.

Le docteur Tamburini me disait qu'il avait aussi été frappé de la coïncidence du penchant artistique et de la folie morale chez ces malades.

13. Inutilité. Un caractère commun à beaucoup de travaux d'aliénés, c'est leur complète inutilité, et ici je rappelle encore les vers de Hécart:

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(1) Voir la Planche VII. (2) Voir à la page 307.

<< C'est le travail des fous d'épuiser leurs cervelles
Sur des riens fatigants, sur quelques bagatelles (1)

Une gênevoise, M..., atteinte de monomanie de la persécution, consomma des années à travailler des écailles d'œufs et des citrons, travaux qui, bien que très beaux, ne pouvaient être utiles à sa renommée, car elle les tenait jalousement cachés. Moi-même, à qui pourtant elle était très affectionnée, je n'ai pu les voir qu'après sa mort.

Il y a ici, comme dans les artistes de génie, l'amour du beau pour le beau; seulement, le but est renversé.

Parfois ce sont des travaux très utiles, mais sans aucun avantage pour leurs auteurs et sans rapport avec l'état qu'ils exercent.

Ainsi un capitaine, devenu fou, me présenta le modèle d'un lit pour les furieux, lequel, je crois, serait très utile dans la pratique. · - Deux aliénés exécutèrent ensemble, avec des os de bœuf, des boites d'allumettes ornées de basreliefs bien gracieux, et ils n'ont point voulu les céder pour de l'argent.

Il y a pourtant quelques exceptions. -Un meurtrier, suicide, mélancolique, voyant que les couverts en métal lui étaient défendus, se façonna avec des os, restes de son diner, une cuiller, une fourchette et un couteau qui lui servaient très-bien. Un sommelier, mégalomane, de Collegno, inventa des liqueurs excellentes avec les restes les plus divers des aliments. Un maniaque criminel, avec de petits morceaux de bois joints entre eux, se construisit une clef. — Je ne mets pas dans ce nombre ceux qui s'apprêtèrent de vraies cuirasses en fer et en pierre, travaux en relation avec leur délire de persécution et qui nécessitèrent un labeur disproportionné aux avantages donnés.

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(1) HÉCART. Ouvrage cité.

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Le professeur Virgilio me fournit ce curieux portrait d'un aliéné au moment de l'accès: les yeux roulants, les cheveux roides, les bras tendus, et entre ses pieds comme épigraphe les mots : « Il délire!». - C'est l'œuvre d'un pédéraste alcoolique.

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Je crois que, difficilement, un peintre sain pourrait saisir la physionomie du délire avec tant d'évidence. Je rappelle ici la tendance si souvent remarquée parmi les poètes des asiles d'aliénés de décrire la folie, qui est aussi le thème

favori des grands poètes malades, le Tasse, Lenau, Barbara, Musset, etc.

Le premier travail de Mancini, après sa guérison, eut pour sujet une femme qui vend un tableau fait par un fou; Gill à l'hospice de Sainte Anne peignit un maniaque furieux d'une vérité poignante. (Magnan).

15. Absurdité. - Naturellement un des caractères les plus saillants de l'art dans les fous est l'absurdité, soit dans les figures, soit dans le coloris. Ce caractère est particulièrement notable chez les maniaques, grâce à l'association d'idées exagérées, qui supprime les passages intermédiaires, propres à expliquer et à complèter la pensée de l'auteur. Un peintre exécuta une Noce de Cana, avec toutes les figures bien posées, mais, à la place du Christ, il mit un gros bouquet de fleurs.

Les paralytiques prêtent aux objets des proportions extravagantes des poules grandes comme des chevaux, des cerises grosses comme des melons; ils prétendent perfectionner le dessin et n'aboutissent qu'à une exécution enfantine. Un d'eux croyait rivaliser avec Vernet et il dessinait les chevaux avec quatre traits et une queue (1). Un autre faisait les figures au rebours.

Des aliénés déments, amnésiques, laissent de côté les points les plus saillants de leur pensée, comme Mac.... qui peignit exactement un général assis; mais oublia le siège. (Frigerio).

16. Imitation. Plusieurs ont du succès dans les imitations, tandis que dans le reste ils ne produisent rien; par exemple, ils copient la façade de l'hospice, des têtes d'animaux, avec l'exactitude raffinée du détail qui caractérise l'art primitif. Dans ce genre j'ai souvent vu réussir les

1) SIMON. Ouvrage cité.

crétins et les idiots, ces derniers dessinant tout-à-fait comme l'homme primitif.

17. Uniformité. — Beaucoup répètent continuellement la même idée. Ainsi un fou dessinait toujours une abeille rongeant la tête d'une fourmi; - un autre, qui se croyait fusillé, ne peignait que des armes à feu; - un autre encore ne s'occupait que d'arabesques.

18. Résumé. Ces caractères expliquent les perfections partielles qu'on rencontre chez les déments, car la répétition du même mouvement le rend toujours plus parfait. D'autres fois, comme nous avons vu pour les poètes et les littérateurs improvisés par la folie, c'est la ténacité et l'énergie des hallucinations qui fait devenir peintre qui ne l'était pas. Brière nous montre Blake se figurant vivants et présents les personnages déjà morts, les anges, etc. - Un étrange poète maniaque, John Clare, qui croyait voir la bataille navale du Nil, la mort de Nelson, et était persuadé d'avoir assisté au supplice de Charles Ier, les dépeignait en effet avec une fidélité si parfaite, une si admirable exactitude, qu'il est probable qu'il n'eût pu le faire aussi bien lorsqu'il possédait toute sa raison, d'autant plus qu'il était sans culture (1).

Ce fait nous explique aussi la présence d'un grand nombre de peintres et de poètes parmi les fous. On reproduit. bien ce que l'on voit bien. Il faut remarquer, aussi, que l'imagination trouve un plus grand champ d'action là où la raison a moins de pouvoir; car la raison, en réprimant les illusions, enlève à l'homme normal une vraie source d'inspirations artistiques et littéraires.

C'est pour cela même que, à son tour, l'art peut engendrer des maladies mentales. - Vasari raconte que Spinelli,

(1) DELEPIERRE. Ouvrage cité.

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