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Dès son enfance, il était tourmenté par l'esprit d'aventures, si bien qu'à huit ans, il abandonna la maison paternelle. Un prêtre le conduisit jusqu'à Oropesa, où il entra au service d'un français, en qualité de berger. Ce métier, au bout d'une année environ, lui pesa: il était grand, fort, il se fit soldat.

La vie que Jean Ciudad menait à l'armée ne saurait se décrire les chefs donnaient l'exemple et volaient autant que les soldats. L'un d'eux confia une partie de son butin à Jean qui l'égara ou se l'appropria. Jean fut condamné à mort et déjà, il était sur le point d'être pendu quand un supérieur vint à passer qui lui fit grâce, mais le chassa de l'armée. Jean retourna alors à Oropesa et reprit son ancien état. Mais vers 1528 il s'enrôla de nouveau et partit sous les ordres du comte d'Oropesa. La guerre terminée, il revint en Espagne à Montemor-o-Novo, pour y revoir ses parents mais, frappé d'amnésie, il oublia le nom de son père. Il quitta alors le pays et s'en alla à Ayamonte dans l'Andalousie, où il reprit encore son métier de berger. C'est là qu'il lui semblat avoir été appelé, et puis avoir rêvé de se dévouer aux pauvres, pour l'amour de Dieu.

C'était alors le beau temps des pirates Berbères qui se jetaient sur les pays mal protégés et en capturaient les habitants qu'ils vendaient à Fez, à Alger et à Tunis.

Deux ordres religieux étaient spécialement chargés de recueillir les aumônes destinées à racheter et à délivrer les catholiques qui étaient vendus sur les marchés.

Jean Ciudad parait avoir eu l'intention de se consacrer à cette œuvre sainte; il s'embarqua pour Ceuta et là, se fit domestique d'une famille portugaise, exilée et ruinée, qu'il nourrit, dit-on, en exerçant le métier d'ouvrier. Cette existence le fatiguait: il quitta ses maîtres et partit pour Gibraltar; arrivé là, il y établit un petit commerce d'objets de piété.

La vente de ces objets lui rapporta quelque peu. Alors, il abandonna Gibraltar et s'établit à Grenade, où il ouvrit une boutique. Il avait alors 43 ans et allait subir cette commotion mentale qui devait déterminer sa vocation.

Le 20 janvier 1539, après avoir entendu un sermon prêché par Jean d'Avila, il fut pris d'un accès de dévotion.

Il confessa ses péchés à haute voix, se roula dans la poussière, s'arracha les poils de la barbe, déchira ses vêtements, courut à travers les rues de Grenade, implorant la miséricorde de Dieu, suivi d'enfants qui criaient: «Au fou!». Il entra dans sa bibliothèque, détruisit tous les livres profanes qu'il possédait, distribua gratuitement tous les livres sacrés, donna à ceux qui les acceptèrent ses meubles, ses habits, et resta en chemise, se frappant la poitrine et demandant à tous de prier pour lui.

La foule le suivit en rumeur jusqu'à la cathédrale, où, demi-nu, il recommença ses vociférations et ses éclats de désespoir.

Le prédicateur, Jean d'Avila, prévenu de la conversion que sa parole avait provoquée, écouta la confession du pauvre homme, le consola et lui donna des conseils qui paraissent avoir produit peu d'effet car Ciudad, le quittant, finit par se rouler dans du fumier, en proclamant à haute voix ses péchés.

On lui jetait des pierres, de la boue, on le sifflait, le peuple se moquait de lui et le maltraitait. Quelqu'un en eut pitié et le conduisit à l'Hospice Royal dans le quartier des fous.

L'on soumit Jean Ciudad au traitement « à la mode >>: il fut lié, afin qu'il ne pût point se soustraire aux coups de fouet, avec lesquels on essayait de délivrer le malade de l'esprit méchant auquel il était en proie.

Cet accès maniaque semble avoir été très violent. On peut dire, en fait de maladies mentales, que, plus les aliénations. sont extrêmes, plus elles cessent facilement.

On prétend qu'au milieu des coups de fouet qui lui étaient infligés, il fit un vou, celui de soigner les pauvres fous et de les traiter comme il convient ».

Quand l'exacerbation nerveuse se fut calmée, il s'employa auprès des malades, puis obtint la liberté avec un certificat constatant qu'il n'était plus fou. Jean Ciudad avait fait vœu d'aller en pélerinage à la Madone de Guadeloupe. Il partit pieds nus, sans un sou, en hiver.

Le long de la route, à travers les forêts et les landes, il ramassait les branches sèches et en faisait un fagot qu'il donnait, à son arrivée dans un endroit habité, en échange d'un peu de nourriture et d'un abri pour la nuit.

On dit qu'arrivé à la Madone de Guadeloupe, il eut une vision qui exerça sur lui une influence décisive. La Vierge lui apparut et lui tendit l'enfant Jésus, nu, avec des vêtements pour le couvrir. C'était lui indiquer qu'il devait avoir pitié des faibles, recueillir les délaissés et vêtir les pauvres. Du moins il le comprit ainsi. C'est de ce moment que date sa mission. Il la remplissait avec d'autant plus de zèle qu'il croyait l'avoir reçue de la Madone qu'il adorait. Vêtu d'un habit blanc qu'un geronimite lui avait donné, la besace sur l'épaule et le bourdon à la main, il retourna à Oropesa et s'en alla loger à l'hospice des pauvres.

La misère des pauvres, auprès desquels il vivait, le toucha: il sortit de la ville, mendia pour eux et leur donna l'argent qu'il avait recueilli.

Flus tard, il se fait marchand de fagots sur la place publique et donne aux pauvres et aux malades tout ce qu'il gagne: il dort, par charité, dans les étables.

In jour, ayant vu sur une place cette enseigne : « Maison à louer pour les pauvres », il conçut la pensée d'en faire un asile; il se fit donner de l'argent par des personnes riches, et acheta des nattes, des couvertures et des utensiles; il recueillit et logea 46 pauvres estropiés et malades. Pour les nourrir il parcourait les rues, aux heures des repas

pour recevoir des riches les restes de leurs tables, criant: << Faites du bien, frères, car cela profitera à vous-mêmes ».

L'exemple de Jean de Dieu provoqua l'émulation; des hommes s'offrirent à lui pour l'aider: il les instruisit dans leurs nouvelles fonctions, et il devint ainsi le directeur d'un groupe qui, en se multipliant, devait former sa grande Congrégation.

Les ressources mises à sa disposition lui permirent de traiter comme il convient » les malades.

Un fait digne d'attention, c'est que Jean fut un réformateur en ce qui concerne le traitement des malades, puisqu'il ne mit plus qu'un seul malade par lit; le premier, il eut l'idée de diviser les malades par catégories; il fut en somme le créateur de l'hospice moderne; le premier, il fonda les workhouses en ouvrant dans son hospice une maison où les pauvres sans toit et les voyageurs sans argent pouvaient dormir.

Ce fut à cette époque qu'il adopta le nom de Jean de Dieu.

Tant de bienfaits ne restèrent point ignorés; le nom de Jean de Dieu, père des pauvres, s'était répandu en Espagne. Il en profita, fit un voyage jusqu'à Grenade et revint avec des aumônes grandioses.

Les fatigues, plus encore que l'âge, l'avaient épuisé. Il se traitait avec une austérité exagérée; il voyageait toujours à pied, sans souliers, sans chapeau, sans linge, couvert seulement d'un vêtement de toile, il jeûnait très-souvent, s'imposait les fatigues les plus pénibles, se jetait au travers des incendies pour sauver les malades, se précipitait au milieu des inondations pour sauver les enfants: il s'était enfin donné à tant d'excès de fatigues qu'il en mourut.

Jean de Dieu sentant approcher la mort, fit appeler Antoine Martin son premier disciple, et lui recommanda de continuer l'œuvre commencée, puis il quitta son lit et se mit à prier. Il mourut à genoux.

On lui fit de splendides funérailles des malades touchaient sa bière, espérant guérir; le linceul qui le couvrait fut déchiré en morceaux et l'on fit une relique de chaque lambeau (1).

Il fut sanctifié le 21 septembre 1630 par Urbain VIII et il est aujourd'hui Saint Jean de Dieu.

Il est curieux de remarquer que tous ces saints, Lazzaretti, Loyola, ont commencé par être des écervelés ou des criminels.

Prosper Enfantin. -Bien qu'il fût ingénieur, administrateur des chemins de fer, tout ce qu'on peut imaginer de plus mathématique, Prosper Enfantin, en 1850, se croyait être et était en réalité le chef d'une religion nouvelle un peu différente du Saint-simonisme; très beau de visage, d'un front vaste, d'un cœur excellent, il était profondément convaincu de son infaillibilité, dans l'industrie comme en philosophie, en peinture comme en cuisine. Il avait, comme il les appelait lui-même, dans le langage propre aux monomanes, les idées circonférentielles, dans les quelles chaque fait nouveau trouvait aussitôt sa solution légitime préétablie; sa religion nouvelle devait faire de la femme l'égale de l'homme, rendre poétique le travail des finances et de l'industrie; il représentait le Père, et attendait toujours d'avoir trouvé la Mère, la femme libre, l'Eve qui devait être une femme raisonnante comme l'homme, qui, connaissant les besoins et les aptitudes des femmes, ferait la confession de son sexe sans restriction, de manière à fournir les éléments pour une déclaration des droits et des devoirs de la femme. Mais ce Phoenix ne fut point trouvé; car Mme de Staël et Mme Sand, vers lesquelles lui-même et ses disciples se tournèrent, se moquèrent d'eux: ils le cherchèrent en Orient, à Constantinople, et trouvèrent... un cachot. Mais il n'en perdit

(1) MAXIME DU CAMP. Ouvr. cité.

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