Imágenes de páginas
PDF
EPUB

CHAPITRE III

FORMES FRUSTES DE NÉVROSES ET D'ALIENATIONS DANS LE GÉNIE. Chorée Épilepsie. — Mélancolie. - Manie des grandeurs. - Folie du doute. Alcoolisme. Hallucinations. Folie

[blocks in formation]

Nous sommes déjà en mesure de nous expliquer, par les considérations précedentes, la fréquence chez les hommes de génie, même non aliénés, de ces formes de névrose ou d'aliénation qui en langage tecnique s'appelleraient des formes frustes: et qui renferment les embryons et comme les ébauches de ces maladies.

Epilepsie.

Chorée. Plusieurs hommes de génie sont, ainsi que les fous, sujets à des tics étranges, à des mouvements choréiques. Lenau et Montesquieu laissaient sur les carreaux de leur chambre l'empreinte de leurs pieds convulsivement agités pendant la composition; Buffon, Santeuil, Crébillon, Lombardini s'abandonnaient aux plus étranges contorsions du visage (1). Chateaubriand a été longtemps sujet à des mouvements convulsifs du bras. Napoléon souffrait d'une convulsion habituelle de l'épaule droite et des lèvres. «Ma colère, disait-il un jour, après une altercation avec Lowe, doit avoir été bien ter

(1) REVEILLE-PARISE. Physiologie et hygiène des hommes livres aux tracaux de l'esprit. Paris, 1856.

rible car j'ai senti la vibration de mes mollets, ce que, de longtemps, ne m'était pas arrivé ».

Pierre le Grand souffrait d'un tic convulsif qui lui décomposait horriblement le visage et le régard.

Le visage de Carducci, à de certains moments, écrit Mantegazza, est un véritable ouragan; des éclairs jaillissent des yeux, un tremblement agite ses muscles (1).

Ampère ne pouvait exprimer ses pensées qu'en se promenant, le corps tout entier agité d'un mouvement continuel (2).

Socrate dansait et sautait souvent dans la rue sans raison et comme par boutade.

On sait que Jules César, Dostoïewsky, Pétrarque, Molière, Flaubert, Charles V, Saint Paul, Haëndel, ont tous été sujets à des accès d'épilepsie.

Deux fois sur les champs de bataille l'absence épileptique faillit avoir sur la destinée de César une fâcheuse influence. Une autre fois, le Sénat lui ayant décerné des honneurs extraordinaires et s'étant porté à sa rencontre accompagné des consuls et des préteurs, César qui, en ce moment, était assis à la tribune aux harangues, ne se leva pas et reçut les senateurs comme s'ils eussent été de simples particuliers. Ceux-ci s'étant retirés en témoignant un vif mécontentement, César comme frappé par une réflexion subite, retourne aussitôt chez lui, se dépouille de ses vêtements, et découvrant son cou il s'écrie qu'il est prêt à tendre la gorge à quiconque voudrait la lui couper. Il s'excusa de son manque d'égards envers le Sénat sur la maladie à laquelle il était sujet; il disait que ceux qui en sont atteints sont incapables de parler debout, en public; qu'ils ne tardent pas à ressentir de secousses dans les

(1) MANTEGAZZA. Fisionomia e mimica. 1881. (2) ARAGO, II. 82.

membres, à éprouver des vertiges et enfin à perdre complètement connaissance (f).

Des convulsions empêchaient parfois Molière, pendant quinze jours de suite, de se livrer au travail. Mahomet eut ses visions après un accès épileptique: «Un ange m'apparait souvent sous la forme humaine; il me parle. Souvent j'entends comme des bruits de chats, de lapins, de cloches: alors je souffre beaucoup ». Après ces apparitions, il était accablé de tristesse et il hurlait comme un jeune chameau. Pierre le Grand et le fils qu'il eut de Cathérine étaient épileptiques.

Il faut se rappeler ici que la création artistique presente l'intermittence, l'instantanéité et, assez souvent, les absences et les amnésies qui caractérisent l'épilepsie.

Paganini, Moreau, Schiller, Alfieri, souffraient de convulsions. Paganini était même sujet à la catalepsie (2). Pascal eu!, jusqu'à l'âge de 24 ans, des convulsions qui duraient pendant des journées entières.

Haendel eut des accès de colère furieuse (iracundia epilettica).

Newton et Swift étaient sujets à des vertiges qui, comme on le sait, ont des rapports si étroits avec l'épilepsie.

Richelieu, dans un accès, se crut changé en cheval. II hennissait et sautait autour d'un billard. Revenu à luimême, il avait tout oublié: ce qui dénote évidemment que c'était là un accès épileptique (3).

Mausdley remarque que les épileptiques se disent souvent patriarches, prophètes. Il pense, qu'en prenant leurs propres hallucinations, pour des révélations divines, les épileptiques ont grandement contribué à la fondation des croyances religieuses.

(1) PLUTARQUE. Vie, etc.
2) RADESTOCK. Ouvrage cité.

(3) MOREAU. Ouvrage cité, p. 523.

Anne Lee, la fondatrice des Skakes était épileptique: elle vit Jésus Christ venir à elle en corps et en âme. La vision, qui transforma Saint Paul de persécuteur en apôtre, semble avoir été du même ordre.

Les Sciamans de la Sibérie, médecins qui prétendent avoir des rapports avec les esprits, opèrent dans un état d'exaltation convulsive et choisissent de préférence leurs élèves parmi les enfants épileptiques (1).

Mélancolie. ---On sait que la mélancolie est une tendance commune à la plupart des penseurs et qui depend de leur grande hypéresthésie. C'est désormais proverbial que « sentir la douleur plus fortement que les autres hommes constitue la couronne d'épines du génie ». Aristote avait dit que les hommes de génie sont tous d'un naturel mélancolique et c'est ce qu'affirme après lui Jürgen-Meyer.

Goethe, l'impassible Goethe, avoue que «mon caractère va de l'extrême joie et l'extrême mélancolie »; ailleurs que << tout accroissement du savoir est un accroissement de tristesse», et, d'après la remarque de Hagen, il ne se rappelait pas avoir passé dans toute sa vie plus de quatre semaines agréables.

« Je ne suis pas fait pour jouir », écrivait Flaubert (2). Giusti était atteint d'une hypocondrie qui allait jusqu'au délire: souvent il se crut hydrophobe, il se disait malade des intestins et de vers, et maintes fois, il répétait ces paroles: « Ce qui en moi semble un sourire n'est que

tristesse ».

Corradi a démontré (3) que tous les malheurs de Léopardi, ainsi que sa philosophie, doivent leur origine à une sensibilité exagérée et à un amour sans résultat qu'il

(1) MAUSDLEY. Phy. et path. de l'esprit, 1, 472.

(2) Correspondance, p. 119, 1887.

(3) Memorie dell'Istituto Lombardo. 1878.

épreciva à Tige de 15 ans. Eleže sa pilosophie est plus on moins sombe, sünniltat plus ou moins malheureux de sa santé jusqu'à de toe Tation se transforme en habitude: La pensée, fente, a infligé pendant longtemps et ge encore de tels martyres, qu'il en est résulté pour moi na préjudia Evident et qu'elle me tuera si je ne change point de manière d'être (1) ».

La liste des grands bonnes qui ent abouti au suicide est infinie: elle store par les noms de Zenon, d'Aristote, d'Hegesippe, de Choate, de Stiipon, de Denys d'Héraclée, de Lucrèce, de Lutain et arrive jusqu'à Chatterton, Creech, Blount, Hayden, Palil

Le Dominiquis a été enduit ans de par les mépris d'un rival. Spagnoletto par Fenlwment de sa fille. Nourrit par le succès de Dupré, Gros ne voulut pas survivre à la décadence de son génie.

Robert, Chateaubriand, Rousseau, Lamartine manquèrent sérieusement à diverses reprises de mettre fin à leur vie 2. On lit dans les lettres de B. Constant: << Si j'avais eu mon cher opium, c'était le moment, de mettre fin, en l'honneur de l'ennui, à un mouvement excessif d'amour (3) ».

Dupuytren et Cooper songèrent au suicide, alors même qu'ils étaient parvenus au faite de la gloire. Cooper disait, en indiquant à un ami les arbres de son magnifique jardin: Oui, ils sont beaux, mais il n'y en a pas un seul qui ne m'ait donné l'idée de m'y pendre. Seuls, quelques

(1 Lettere a Giordani. Août, 1817.

12, E1 Italie, les gens de lettres donnent 619 suicides sur 1 million, le corps enseignant 355,3: ils fournissent une proportion plus haute que les autres professions. Ainsi, les commerçants présentent 272: les portefaix 36: les industriels 80: les ecclésiastiques 53. — MORSELLI. Del suicidio. Milano, 187.. LEGOYT. Le suicide. 1881.

(3) B. DE BOISMONT. Ouvrage cité, p. 265.

« AnteriorContinuar »