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entendre la lecture. On ne se sépara qu'après avoir approuvé l'acte dans son ensemble. Il fut, en outre, convenu que, les deux jours suivants, la prévenue serait citée et interrogée sur chacun des articles, ce qui eut lieu.

Aux deux longues séances du mardi saint et du mercredi saint trente-huit assesseurs étaient présents (1).

Dès que la jeune fille fut introduite, l'évêque lui adressa une courte allocution: il lui rappelait qu'elle comparaissait devant des ecclésiastiques d'un grand savoir, tous versés dans la connaissance du droit divin et humain, qui voulaient et entendaient procéder avec elle selon la douceur et la charité, ne cherchant pas son châtiment corporel, mais son instruction et son retour dans la voie de la vérité et du salut; il ajoutait que, comme elle n'était pas assez éclairée pour présenter seule sa défense, on l'autorisait à désigner un ou plusieurs des docteurs présents qui lui serviraient de conseil; il terminait en la requérant de prêter le serment.

Placée, depuis longtemps déjà, en face de ses ennemis, Jeanne sentait chaque jour croitre sa défiance; elle se souvenait des perfides avis que lui avait suggérés Loiseleur; elle répondit donc à l'évêque : « Premièrement, de ce « que admonestez mon bien et de nostre foy, je vous « mercye, et à toute la compaignie aussi; quant au con<< seil que vous me offrés, aussi je vous mercye, mais je << n'ay point de intencion de me despartir du conseil de << Nostre Seigneur; quant au serment que voulés que je « face, je suis preste à jurer dire vérité de tout ce qui toùa chera vostre procès. »

Et elle jura, les deux mains posées sur les saints Évangiles.

D'après l'injonction des juges, Thomas de Courcelles prit l'acte d'accusation et il en donna lecture, lentement, article par article. Après chaque article, l'accusée était interpellée et invitée à produire ses excuses ou ses explications (2).

Cet acte, rédigé par d'Estivet, est d'une importance capitale dans la cause.

Il faut le faire assez bien connaître pour que chacun puisse l'apprécier :

Le premier article a pour objet de constater la compétence du tribunal ecclésiastique;

Le second et le troisième article sont conçus dans un sens très-général; ils renferment des accusations de divination, d'immoralité, de pacte avec le diable, de supertition, d'idolâtrie, d'hérésie, et de sacrilége (3). Ce sont de simples assertions, qui ne sont appuyées d'aucune preuve. Dans les articles suivants, le promoteur entre dans les détails; nous le suivrons.

Voici ce qu'il affirme :

« Jeanne, dans son enfance, a été livrée à de vieilles << femmes, qui, la détournant des saintes croyances, l'ont <«< instruite dans la magie, dans l'art de la divination et des « sortiléges; elle croit aux Fées, elle va jusqu'à confesser « qu'elle ignore si les Fées sont de malins esprits. »>

« Il y avait près de la demeure de son père un bois, une << fontaine, un arbre mal famés. Elle fréquentait le bois « et les abords de la fontaine; elle se rendait sous l'arbre,

« le jour, pendant l'office divin, et, souvent aussi, la nuit; << là elle faisait des enchantements et des charmes. »

<< Longtemps elle a porté sur son sein une mandragore, << talisman auquel elle attribuait la vertu de procurer à qui « le possède tous les biens temporels (4). »

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«Dans sa vingtième année, de propos délibéré, sans le << consentement de ses père et mère, elle a quitté le village; elle est allée à Neufchâteau ; elle est entrée au ser« vice de La Rousse, femme de ce pays, qui tenait une « auberge où se réunissaient des filles perdues et des gens « de guerre; c'est là qu'elle a appris à monter à cheval. » << De Neufchâteau, elle s'est rendue à Toul, afin de tra<< duire devant l'official de cette ville un jeune homme qui << l'avait fiancée, et qui s'était retiré à la nouvelle de ses « relations avec des femmes de mauvaise vie. »

<< Elle revient à Domremy, et, bientôt après, elle se fait «< conduire à Vaucouleurs, près de Robert de Beaudricourt. « Admise dans son intimité, elle ne tarde pas à lui tenir « les propos les plus indécents et les plus sacriléges (5). »

« Pour séduire les grands et le peuple, elle fait fraudu«<leusement cacher en terre, dans l'église de Fierbois, une « épée; on déterre cette arme, on la lui apporte; elle fait «dessus de nombreuses conjurations. »

<< Elle met un sort dans ses anneaux, dans sa bannière. « Elle veut que son étendard soit resplendissant, qu'il oc<«< cupe à Reims le premier rang. »

<< Par orgueil et par vaine gloire, elle se fait donner de « brillantes armoiries. Tout ce faste répugne à la religion, « à la vraie piété. »

« Rejetant toute pudeur, elle revêt l'habit d'homme, « et bientôt, ne s'en tenant pas à cette première faute, « elle adopte, dans son costume, des ornements qui «< ne sont en usage que chez les hommes les plus disso« lus (6).

« Avide de faveurs et de fortune, elle fait un honteux « trafic de ses révélations, pour amasser d'immenses ri«< chesses et pour assurer à ses frères de grands revenus, << à l'imitation des faux prophètes, qui attribuent leurs « mensonges à Dieu (7). »

<< Ambitieuse de commander, et foulant aux pieds la dé«< cence, elle se montre à la tête des armées; elle recherche « la compagnie des hommes; elle fuit le commerce des « femmes et repousse leurs services, dans les détails de la << vie intime. »

« Ennemie déclarée de la paix, elle a soif de sang hu<< main; elle ose attester que Dieu l'a destinée à une œuvre « meurtrière, ce qui doit paraître horrible et abominable « à toute âme pieuse (8).

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« Elle se vante de lire dans les secrets de Dieu; elle << sait qui il aime, qui il poursuit de sa haine; elle n'hésite « pas à vouer à la malédiction une nation tout entière, prou« vant assez par là que c'est le démon qui l'inspire (9). »

« En honorant d'un culte superstitieux de vains fan« tômes, elle se rend coupable d'idolâtrie; elle invoque, «< chaque jour, l'assistance du diable; c'est sur lui qu'elle « compte pour la tirer hors de prison (1o). »

<< Malgré les péchés, et les crimes, et les hontes, et les « scandales de sa vie entière, elle n'en affirme pas moins

« que tout ce qu'elle a fait, elle l'a fait de la part de Dieu << et par sa volonté : Le sage pêche sept fois par jour, et << elle, elle publie qu'elle croit n'avoir jamais fait œuvre « de péché mortel. »

« A Saint-Denis, elle consacre ses armes dans l'Église, << afin qu'elles soient exposées, comme des reliques, à la « vénération du peuple; elle se fait adorer comme une << sainte (1). »

"

« Enfermée à Beaurevoir, elle murmure contre Dieu et «< contre les saints; elle ne se borne pas aux murmures : « à la grande horreur des assistants, elle renie Dieu, et « l'outrage par ses blasphèmes (12). »

« Dans son obstination à garder ses habits d'homme, << elle oublie tous ses devoirs de chrétienne; elle fait peu « de compte de la messe, de la communion; elle laisse « éclater son endurcissement dans le mal, son défaut de charité, sa désobéissance à l'Église, son mépris des << divins sacrements (13)!,

>>

Tel est le hideux échafaudage d'impostures et de calomnies que Jeanne voit s'élever contre elle. A ces lâches et grossiers mensonges elle oppose les plus énergiques, mais aussi les plus vaines dénégations.

Elle ne nie pas toujours; quelquefois elle explique, elle rectifie.

Lorsqu'elle entend dénaturer et flétrir sa première éducation, l'éducation qu'elle tient de sa mère, elle répond avec douceur: « Quant à mon instruction, j'ay prins ma «< créance et ay esté enseignée bien et deument, et comme « ung bon enfant doit faire. >>

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