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voir enfreint un engagement, dont-elle n'aurait jamais compris le sens ni la portée? Tous les assesseurs consultés après l'abbé de Fécamp, à l'exception de deux, adoptèrent sa formule et votèrent comme lui (9).

Cette protestation presque unanime, significative, quoique timide, devait être aussi vaine que toutes celles qui l'avaient précédée; l'évêque n'en tint aucun compte, et il annonça aux assistants que, le lendemain matin, il prononcerait publiquement la sentence.

Que s'était-il passé dans la prison depuis quelques jours? Dans la séance du lundi, Jeanne, sur ce point, était restée muette. Impatiente de consommer son sacrifice, elle n'était pas descendue à dénoncer la conduite de ses gardes; on ignorait encore quel motif l'avait poussée à reprendre ses habits d'homme. On pouvait croire qu'elle emporterait dans la tombe le secret des outrages dont l'avaient accablée ses persécuteurs. Mais, ce qu'elle n'avait pas dit le lundi à ses juges, elle devait, le mardi, le révéler en confidence à trois hommes de bien, dont l'âme s'était émue depuis longtemps au spectacle de sa vertu et de ses infortunes, et qui allaient se partager la noble tâche de la consoler et de la soutenir pendant la douloureuse agonie qui terminait son martyre.

sont :

Ces trois hommes, dont il faut retenir les noms, l'appariteur Massieu, que ses fonctions appelaient sans cesse auprès d'elle, et les frères prêcheurs Martin Ladvenu et Isambard de la Pierre, chargés de l'assister dans ses derniers moments.

Voici ce que, la veille du supplice, ils apprirent de sa

bouche (10):

« Dès le jeudi, l'habit d'homme avoit esté mis en ung « sac en la mesme chambre où Jeanne estoit retenue pri« sonnière; quant vint le dimanche matin, qui estoit « jour de la Trinité, et qu'elle se deust lever, elle dit aux « Anglois ses gardes : « Defferrez moy, si me leverai. » « Et lors ung diceulx Anglais lui osta ses habillements « de femme que avoit sur elle, et les autres vuidèrent le ❝ sac ouquel estoit l'habit d'homme, et le dit habit jet«tèrent sur elle, en luy disant : « Liève toy. » Et mu« cèrent (cachèrent) l'habit de femme oudit sac. Et elle « refusa de se vestir de l'habit qu'ils luy avoient baillé ; << en disant: << Messieurs, vous savez qu'il m'est deffendu; « sans faulte, je ne le prendray point. » Et néantmoins ne «<luy en voulurent bailler d'aultre; en tant que cest dé« bat demoura jusques à l'heure de midy; finablement, « pour nécessité de corps, fut contrainte de yssir de« hors, et prendre le dit habit; et, après qu'elle fust re<< tournée, ne luy en voulurent point bailler d'autre, no«nobstant quelque supplication ou requeste qu'elle en « feit (1). »

Ce grossier guet-apens réussit à ceux qui l'avaient préparé. Éclairée sur sa position, Jeanne sentit qu'on ne reculerait devant aucun moyen pour se défaire d'elle; elle renonça à défendre sa vie. Cette résignation n'adoucit pas ses geôliers; la tenant accablée sous le poids de ses fers, ils la frappaient impitoyablement ! De leurs poings, ils lui meurtrissaient le visage! Un soir, un grand

seigneur anglais avait pénétré dans sa prison; il s'était glissé dans l'ombre jusqu'au lit où elle était enchaînée, dans le dessein de consommer le plus lâche, le plus odieux attentat (2)!..

Pour rencontrer des forfaits comparables, il faut se reporter à cette époque de sang et de honte où, dans l'horreur des cachots de Tibère, le bourreau descendait pour flétrir ses chastes victimes!.. Encore n'était-ce que le bourreau !

Le jour fatal était arrivé. De grand matin, Massieu se rendit auprès de la condamnée pour lui lire l'acte de citation par lequel on la sommait de comparaitre, à huit heures, sur la place du Vieux-Marché (13). Il la trouva préparée. Dans tout le cours de sa captivité elle avait nourri un secret espoir; les âmes généreuses sont confiantes longtemps après qu'on les a trahies, elles doutent encore de la trahison! La France qu'elle avait tant aimée, le roi qu'elle avait si bien servi, pouvaientils la laisser mourir, sans tenter un effort pour sa délivrance, sans lui donner un souvenir, un gage de sympathie et de regret? Jusqu'à la fin elle refusa de croire à ce complet abandon, à cet excès d'ingratitude. Ses voix ne l'autorisaient-elles pas à espérer? ne lui avaient-elles pas promis qu'elle aurait secours? « Pran tout en gré, <<<< lui avaient-elles dit; ne te chaille de ton martire; acten « toy a nostre sire, et il te aydera! » Elle pouvait se méprendre, et elle se méprit sur le sens de ces paroles. Enfin,

sa confiance s'évanouit devant la froide et sombre réalité. La veille du supplice, elle était désabusée. Les saintes lui avaient dit encore : « Tu t'en viendras en << royaulme de paradis (14). » Elle s'arrêta à cette dernière promesse. Elle reconnut que, en lui parlant d'affranchissement et de récompenses, ses voix ne l'avaient pas trompée; elle ne les avait pas bien entendues d'abord; mais maintenant elle comprenait que, pour elle, l'affranchissement était dans la mort, et la délivrance dans le ciel !

Massieu sortait à peine du cachot, lorsque Martin Ladvenu y entra, accompagné d'un jeune frère de son ordre. « Il estoit envoyé vers Jeanne, pour luy annoncer « la mort prochaine et le genre de supplice; pour l'in<< duire à vraye contricion et pénitence; et aussi pour « l'ouyr en confession. Quant il annoncea à la pouvre « fille la mort de quoy elle devoit mourir ce jour-là, elle << commencea à s'escrier doloreusement: Hélas! hélas! <«<< me traite-t-on ainsi horriblement et cruellement, qu'il « faille que mon cors net et entier, qui ne fut jamais << corrompu, soit aujourd'huy consumé et réduict en <«< cendres! Ha! a ! j'aymeroie mieulx estre descapitée « sept fois que d'estre ainsi bruslée... J'en appelle devant « Dieu, le grand juge, des grands torts et ingravances « qu'on me faict (15)! »

Ce cri d'angoisse, ce regret suprême que la jeune fille de dix-neuf ans donne à la vie qu'elle va quitter, est le dernier tribut qu'elle paye à la faiblesse de notre nature.

Bientôt elle retrouve sa force en écoutant le ministre

de Dieu, en déposant dans son sein ses pieuses confidences, en sollicitant de lui, après l'humble aveu de ses fautes, l'absolution qui les efface, et le divin pardon qui les rachète (16).

Sa confession est terminée; elle demande, avec instance, la grâce de recevoir le corps sacré du Sauveur. Martin Ladvenu charge Massieu d'aller porter à l'évêque cette pressante requête, en l'appuyant de tout son pouvoir. L'évêque, après avoir pris l'avis de quelques docteurs, fait répondre à Ladvenu qu'il l'autorise à donner à Jeanne la communion, et à lui accorder tout ce qu'elle demandera (17). En conséquence, un clerc doit aller chercher la sainte hostie à l'église la plus voisine. Il s'acquitte de cette mission; mais, dans la crainte d'encourir la vengeance des Anglais, il apporte l'hostie sur la patène, enveloppée dans le corporal, sans prières publiques, sans flambeaux, sans cortége. Cet excès de prudence, dans l'accomplissement d'un devoir religieux, était presque une lâcheté. Ladvenu s'en indigne; il lui semble que, si jamais le Dieu du Calvaire doit se manifester dans sa gloire, c'est quand il visite et relève l'opprimé que l'infortune accable, et qui n'a plus ici-bas ni espoir ni recours.

Il va lui-même au temple; à sa voix les cloches s'ébranlent, les cierges s'allument, les chants et les prières retentissent sous les saintes voûtes et dans les rues qui séparent l'église du château; et le Roi du ciel entre en grande pompe et en grande solennité dans l'obscur cachot, où l'attend une pauvre fille des champs que le jugement des hommes vient de dévouer à l'infamie (18) !

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