Imágenes de páginas
PDF
EPUB

CONCLUSION.

PREMIÈRE SECTION.

Le Procès de condamnation (1).

Le jour même où elle donnait solennellement son opinion sur le procès de Jeanne, l'Université de Paris écrivait en ces termes au roi d'Angleterre : « En vérité, oye icelle « relation et bien considérée, il nous a semblé, au fait «d'icelle femme, avoir esté tenue grande gravité et juste « manière de procéder, et dont chacun doit estre bien « content (2). »

Sans doute l'affaire a été instruite avec lenteur, surchargée d'incidents et de formalités sans nombre. Toutefois ces délais ne nous font pas illusion; nous ne nous laissons pas éblouir par l'étalage des actes et des pièces de cette procédure difficile et compliquée; loin d'en être bien content, nous déclarons que, à nos yeux, c'est le monument de la plus monstrueuse iniquité.

Telle est notre conviction. Comme il ne parait pas

qu'elle soit entièrement partagée par les hommes les plus compétents (3), il est de notre devoir de la justifier.

Nous consulterons :

I. L'opinion des contemporains;

II. La position des assesseurs et des juges;
III. La position de l'accusée;

IV. Les principaux détails de l'affaire.

I. Trois notaires apostoliques, Taquel, Boisguillaume et Manchon, ont rempli les fonctions de greffiers pendant le procès; plus que personne ils ont été en position d'en apprécier la valeur; qu'en pensent-ils ?

« Ce qu'on se propose, dit Nicolas Taquel, c'est de << rehausser le parti anglais et d'avilir le roi de France; si « Jeanne n'eût pas pris les armes contre les Anglais, on << n'aurait pas ainsi procédé contre elle. »

« Si la Pucelle, dit Boisguillaume, eût été du parti de « l'Angleterre, jamais on n'eût songé à faire le procès. » « Je sais bien, en vérité, ajoute Manchon, que les juges « et tous ceux qui ont pris part au jugement ont encouru « l'animadversion publique. »

Écoutons les assesseurs, plus compromis que les greffiers; nous choisissons parmi les dépositions, ne pouvant toutes les reproduire.

Richard de Grouchet dépose : « La sentence rendue «< contre Jeanne m'a toujours paru injuste; je ne sais sur « quels motifs, sur quels titres on a pu se fonder pour « prononcer une condamnation. »

« Le jugement a été porté contre la Pucelle, dit Isam<< bard, sous l'inspiration de la vengeance, et non selon les « règles de la justice. »

« C'est la haine, s'écrie Pierre Miget, le prieur de Lon« gueville, c'est la haine qui a suscité le procès, et qui a « dicté la sentence. Combien de docteurs et de maîtres en << ont ressenti un chagrin violent. La voix commune s'est « élevée pour proclamer que c'était mal jugé (4). »

En dehors du tribunal, voici un témoignage d'une telle importance, que, fût-il seul, il suffirait.

« Quand le procès fut commencé, maistre Jehan Lohier, « solempnel clerc normant, vint en ceste ville de Rouen, « et luy fut communiqué ce qui en estoit escript, par le<< dict évesque de Beauvais. » Lohier prend les pièces, et, après les avoir soumises à un examen attentif, « il dict « que le procez ne valoit rien pour plusieurs causes: Pre« mièrement, pource qu'il n'y avoit point forme de procez << ordinaire; ilem, qu'il estoit traicté en lieu clos et fermé, « où les assistants n'estoient pas en pleine et pure liberté << de dire leur pleine volonté; item, que l'on traictoit en <<< icelle matière l'honneur du roy de France, sans l'appeler « ne aucun qui fust de par luy; item, que n'avoit aucun <«< conseil icelle femme qui estoit une simple fille, pour « respondre à tant de maistres et de docteurs, et en si « grandes matières... et pour ce lui sembloit que le procez << n'estoit valable. » Desquelles choses monseigneur de Beauvais fut fort indigné.... Le lendemain matin, qui était un dimanche de carême, Lohier rencontre le notaire

apostolique Manchon dans l'église de Notre-Dame. Il l'aborde; il lui parle de Jeanne : « Vous voyez, lui dit-il, com«ment ils procédent; ils la prendront, s'ils peuvent, par ses << paroles, c'est assavoir ès assercions où elle dit : Je sçai « de certain, ce qui touche ses apparicions; mais si elle « disoit : il me semble, pour icelles paroles : je sçai de cer« tain, il m'est advis qu'il n'est homme qui la pust con« damner. Il semble qu'ils procèdent plus par haine que << par autrement, et, pour ceste cause, je ne me tiendray << plus icy, car je n'y veuil plus estre. >>

Il fallait que Lohier fùt bien convaincu, car il renonça à sa position et à son pays; il consentit à s'expatrier, plutôt que d'être exposé à parler contre sa conscience. Il se rendit à Rome, où sa haute capacité le fit élever au poste de doyen de la Rote (5).

Ainsi, dès le début, le procès de Rouen était réprouvé et flétri par un homme si versé dans le droit canonique, qu'il devait être bientôt chargé de prononcer, comme juge suprême, sur les appels portés en cour de Rome, dans les affaires ecclésiastiques les plus délicates.

L'autorité de Lohier est irrécusable et péremptoire; nous ne l'affaiblirons pas par d'autres citations.

II. La première condition de la validité d'un jugement, c'est l'impartialité du juge. Pour que le juge soit impartial, il faut qu'il soit inaccessible à la haine, à l'intérêt, à la crainte. En était-il ainsi?

Le tribunal qui a condamné Jeanne se composait d'assesseurs et de juges.

Quelle est la position des assesseurs?

Il y en a qui ne cherchent à convaincre l'accusée que pour atteindre le roi de France; ils procèdent par vengeance. D'autres procèdent par faveur et par avarice; leurs nouveaux maîtres sont en mesure de payer cher leur dévouement (6).

Beaupère, Midi et les docteurs de Paris se signalent, entre tous, par l'ardeur de leurs poursuites. L'animosité de l'Université, dans tout le cours de cette affaire, est un fait trop grave pour que nous ne cherchions pas à l'expliquer. La plupart des docteurs et des maîtres qui composaient ce corps célèbre, étaient des hommes recommandables par l'étendue de leur savoir, et par la sagesse de leur vie passée. Ce n'est donc pas un vil intérêt qui les pousse; mais ils ont embrassé le parti des Anglais; ils se trouvent dès lors engagés à servir leurs ressentiments. Quelle est cette jeune fille dont le sort est remis entre leurs mains? que dit-elle d'elle-même ? Elle dit qu'elle est envoyée de Dieu pour rendre à Charles son royaume. Or, si c'est Dieu qui l'envoie, eux, qui sont ses adversaires, ils sont rebelles à Dieu. Pour s'absoudre eux-mêmes, il faut qu'ils la condamnent. Ainsi, par une conséquence rigoureuse, leur première erreur politique, qui est un crime, les entraîne à se faire les instruments dociles et les complices volontaires d'une iniquité, contre laquelle leur conscience affranchie se fût soulevée avec horreur.

Si tels sont les sentiments qui influent sur la conduite de quelques assesseurs, c'est à une autre impression que cède le plus grand nombre. La terreur planait sur Rouen.

« AnteriorContinuar »