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larité des actes du procès; l'infâme conduite de Loiseleur excite leur indignation et leurs murmures. 3o Enfin quel est l'homme qui poursuivra l'œuvre de la réhabilitation avec le plus d'ardeur ? C'est Jean Bréhal, le grand inquisiteur de France, un des quatre juges. Or, si l'affaire de Rouen eût été scrupuleusement conduite d'après les règles du droit inquisitorial, est-il croyable, est-il possible que le chef de l'Inquisition ait consenti à condamner cette procédure dans ses détails, et à la flétrir dans son ensemble?

Pour nous, il reste démontré que, par un déni de justice l'accusée a été distraite des prisons de l'Église; que, par un déni de justice, elle a été privée de conseil et de défenseur; que, par un crime de lèse-humanité, elle a été environnée de piéges indignes, exposée à des persécutions inouïes.

Ce système d'oppression, pendant la durée de la cause, frappe la sentence qui la termine de nullité absolue.

IV. Comment l'affaire est-elle instruite? comment estelle dirigée?

L'honneur du roi de France est engagé, et nul n'est appelé pour le représenter. Cette cause de nullité n'échappe pas à la sagacité de Lohier.

Des informations sont prises dans le pays de Jeanne et

ailleurs; elles doivent servir de base à l'instruction : que deviennent-elles?

Le 13 janvier, on les lit devant six assesseurs que l'on suppose dévoués. Mais comment les leur présente-t-on? On a soin de les confondre avec les bruits publics, qui ont été également recueillis, et aussitôt on décide que le tout sera réduit sous forme d'articles. Le 19 février, en présence des mêmes assesseurs et des docteurs de Paris, tout prêts à seconder les desseins de l'évêque, on donne lecture de ces articles. Dans l'instrument définitif du procès, rédigé et traduit par Thomas de Courcelles, assisté de Manchon, ces deux lectures sont mentionnées. Cependant, à l'époque de la réhabilitation, Manchon et Courcelles déclarent que les informations n'ont pas été jointes au procès. Y a-t-il là contradiction? Nous ne le pensons pas. Sans doute les informations ont été recueillies, et puis signalées le 13 janvier et le 19 février; après les avoir défigurées et mutilées, on les a lues, mais sans les déposer. Les bruits publics seront seuls reproduits dans l'impudent acte d'accusation du promoteur; quant aux informations proprement dites, dès lors elles s'évanouissent; et pourquoi? Parce qu'elles sont toutes à l'avantage de la Pucelle. La personne notable qui les a rapportées de Lorraine a été injuriée par l'évêque, qui a refusé de l'indemniser, parce qu'elle a rempli sa mission avec conscience.

Maintenant est-il vrai que la procédure inquisitoriale autorisât à supprimer les informations, et que, en conséquence, Thomas de Courcelles ait pu se croire en droit de les rayer d'un trait de plume, lors de sa fameuse traduc

tion? Si la chose eût été si simple, les juges de la réhabilitation, c'est-à-dire l'archevêque de Reims, les évêques de Paris et de Coutances, et Jean Bréhal le grand inquisiteur, eussent-ils pris la peine de poser, relativement à la suppression des informations, une question qu'un seul mot eût rendue illusoire? Et Courcelles, lorsqu'il fut interrogé sur ce point, n'eût-il pas invoqué tout d'abord les règles de l'Inquisition, lui qui était le plus habile théologien de son temps, et qui avait tant d'intérêt à alléger le poids de la responsabilité qui l'accablait (13) ?

Les informations avaient dans l'instruction une extrême importance. Si elles eussent été contraires à Jeanne, on les eût mises en relief; comme elles se sont trouvées favorables, on les a dissimulées d'abord, puis, contre toute espèce de droit, on les a fait disparaître.

Les débats s'ouvrent.

Les notaires apostoliques régulièrement institués ne sont pas les seuls à enregistrer les interrogatoires; cachés derrière un rideau, par ordre de l'évêque, deux hommes écrivent de leur côté, « rapportant ce qui est à la charge de Jeanne, et taisant ses excusacions (14). » L'honnêteté de Manchon et de Boisguillaume parvient à peine à déjouer la tentative de ces faussaires.

Certaines réponses de la jeune fille embarrassent le juge; il s'oppose impérieusement à ce qu'on les écrive (15).

De l'acte d'accusation, qui est un tissu d'impostures, on

extrait les douze articles, sur lesquels désormais on discute et on prononce. On décide que, dans la rédaction de ces articles, des rectifications seront admises; les plus considérables n'ont pas lieu. On ne daigne même pas donner à la prévenue lecture de cette pièce, qui contredit toutes ses réponses, et sur laquelle on la condamnera (16).

Dans le cimetière de Saint-Ouen, avant la première sentence, Jeanne consent à souscrire une cédule d'abjuration. Cette cédule est de la longueur d'un pater; elle a sept lignes; un témoin a pu les compter. C'est Massieu qui en a donné lecture, et c'est lui aussi qui l'affirme; ces témoignages sont explicites, irrécusables. A cette cédule de sept lignes on substitue, pour la joindre au procès, une cédule de cinquante lignes (7) !

La captive est victime d'un odieux guet-apens; privée de ses habits de femme, elle est réduite à reprendre ses habits d'homme. C'est pour ce fait qu'on la condamne, qu'on la livre au bourreau; mais ce fait ne constitue pas une hérésie! Cette interprétation est monstrueuse (18).

Les assesseurs sont presque unanimes pour demander qu'on lise et qu'on explique à la condamnée la cédule d'abjuration. On ne tient aucun compte de leur réclamation, qui est si grave (19).

Sur la place du Vieux-Marché, en présence du bûcher, Jeanne est livrée à la justice séculière; c'est au juge sé

culier seul qu'il appartient de prononcer l'arrêt de mort. Le juge ne rend aucun arrêt, et l'on n'en procède pas moins à l'exécution fatale (20)!

Après le supplice, l'évêque arrange et produit à son gré une information posthume. Les notaires apostoliques ont le courage de l'annuler, en refusant d'y apposer leur signature (1).

Pour racheter tant d'irrégularités, pour couvrir tant de vices et tant d'abus, on invoque l'autorité d'un homme plus recommandable par sa vertu que par son savoir, l'autorité du dominicain Isambard. Que dit donc Isambard? « Il me semble qu'on observait assez bien l'ordre << du droit, autant que pouvaient le faire des juges qui << procédaient sous l'inspiration de la haine et de la ven« geance ("). » Mais cette déposition, qu'on cite en faveur de la procédure, contient contre les juges l'accusation la plus accablante.

L'évêque et ses complices sont si convaincus que leur procès est une œuvre d'iniquité, qu'ils sollicitent du roi d'Angleterre des lettres de garantie qui les rassurent et les protégent. Ils se réfugient à l'abri de sa puissance (23). Ils dictent au monarque anglais, à l'Université de Paris, les relations qu'il convient d'adresser au pape, aux cardinaux, aux souverains de l'Europe. Ils font condamner quiconque les désapprouve; ils contraignent le grand inquisiteur, Jean Graverent, à flétrir à Paris la mémoire de

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