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PRÉFACE.

Au moment où il allait courir les périlleux hasards de la croisade, le sire de Joinville réunit ses amis, ses parents, ses voisins, et il leur dit :

« Seigneurs, je m'an voiz outre mer, et je ne « scé si je revendré. Or venez avant; si je vous «< ai de rien mesfait, je vous desferai l'ung après « l'autre, se comme j'ai accoustumé; pour ce que << je n'en veulx porter nulz deniers à tort;.... <«< car celi est bien fol hardi, qui se ose mettre << en tel péril avec le bien d'autrui. »

Affronter la publicité, c'est aussi tenter une dangereuse aventure; avant de m'y engager, je veux imiter Joinville, et, comme lui, régler mes comptes.

Je crois n'avoir qu'un seul créancier : c'est M. Jules Quicherat, à qui je dois tout.

En faisant cette déclaration, je constate l'existence de ma dette, sans avoir la prétention de pouvoir l'acquitter.

VIE

DE

JEANNE D'ARC.

CHAPITRE PREMIER.

Domremy. -Vaucouleurs.

La démence de Charles VI et les désordres de sa cour, les haines de famille et les discordes civiles avaient conduit la France à l'abîme; le traité de Troyes devait l'y précipiter. En vain la mort semblait l'avoir bien servie, en frappant presqu'à la fois et le vieux roi insensé et son jeune et brillant adversaire le dauphin déshérité était impuissant à réparer sa fortune, et la tendre enfance de Henri VI permettait à l'Angleterre de confier pour longtemps le soin de ses destinées aux mains habiles du duc de Bedford. Le succès de la Fayette à Beaugé avait été bientôt effacé par les désastreuses journées de Cravant et de Verneuil. L'ennemi triomphait partout, sans même rencontrer d'obstacles;

il n'avait plus qu'un effort à faire, et la conquête était achevée.

Quelques villes, quelques pays s'obstinaient seuls dans leur fidélité, parce qu'ils étaient abrités derrière la Loire; mais, cette barrière une fois renversée, leur résistance devenait impossible: il était aisé d'atteindre et de saisir le roi de Bourges dans sa pauvre capitale sans défense, et le royaume tout entier n'était plus qu'une province anglaise.

La clef de la Loire était Orléans.

Le siége d'Orléans fut entrepris aussitôt que résolu, et poussé dès l'abord avec une extrême vigueur. Bedford avait rassemblé toutes ses forces pour porter ce grand coup, qui devait être le dernier.

Dans cette situation désespérée, qui pouvait sauver la ville? qui pouvait sauver le pays? Était-ce la royauté ? était-ce la noblesse?

Le nouveau roi, sans expérience et sans ressources, se défiant de son épée, de son droit, de son nom même, tout abandonné à ses plaisirs et aux intrigues de ses favoris, courait à sa ruine et perdait gaiement son royaume.

La noblesse, accablée dans les champs d'Azincourt, ne s'était pas relevée de sa chute; elle languissait sans énergie, sans espérance. Xaintrailles, Gaucourt, Lahire étaient dans l'inaction; le connétable de Richemont dans la disgrâce; Dunois s'était jeté dans Orléans, moins pour délivrer la ville, que pour maintenir son honneur de chevalier, en défendant jusqu'au bout le fief de son frère captif.

Ce n'est pas du donjon féodal, ce n'est pas du palais des rois que le salut doit descendre; c'est au foyer d'un laboureur que se prépare la délivrance.

Dieu a réduit la France à ce point de détresse, qu'elle ne peut plus placer sa confiance dans les arbitres accoutumés de sa fortune. Il a désarmé les forts; il a confondu dans leurs conseils les grands de la terre. Alors il met sa force dans la main d'une enfant, il met sa sagesse dans le cœur d'une pauvre fille ignorante et simple, comme si l'humilité et la faiblesse de celle qu'il a élue pour l'accomplissement de ses décrets manifestaient avec plus d'évidence aux yeux du monde son intervention tutélaire et son éclatante protection.

Les faits que nous allons raconter n'appartiennent pas à la légende ; ils appartiennent à l'histoire il n'est pas de récit qui soit à la fois plus extraordinaire et plus authentique; il n'est pas de vie plus merveilleuse, il n'en est pas dont tous les détails soient plus solennellement attestés. Quoique notre raison ne soit ni assez ferme ni • assez haute pour tout comprendre, notre certitude historique n'en est pas moins complète, absolue. Que des esprits présomptueux et superbes rejettent avec dédain tout ce qu'ils désespèrent d'expliquer; nous ne les suivrons pas dans les extrémités où leur orgueil les pousse. En faisant acte de foi, nous croyons faire acte de bon sens. A nos yeux Jeanne est l'envoyée de Dieu.

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