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les peuples en reçoivent les invite bientôt à les pratiquer dans leur entière et salutaire énergie.

Les traités de commerce, conclus entre les grands pays, ont au moins pour effet d'activer les échanges, c'est-à-dire d'animer des deux côtés les travaux de l'agriculture et des fabriques. Peu à peu, en voyant le bien qu'ils ont produit, on s'habitue à penser que peut-être en effet s'il n'y avait nulle part de droits de douane, le travail serait partout bien plus actif encore. Reste à savoir quand les États pourront se passer des ressources que leurs douanes procurent à leurs trésors publics; mais toujours est-il que l'étude d'un homme politique doit être, en matière de finances, de réduire à un très-petit nombre les articles qui paient des droits et de n'imposer que les principaux, ce qui procure une grande économie dans les frais de perception et ce qui soulage infiniment le commerce. Ce n'est pas tant du bon marché, c'est de la destruction de toute entrave, c'est de la liberté enfin que le commerce international a besoin.

Il y a dans le traité d'économie politique de Say une page qu'il est à propos de transcrire ici. C'est au sujet des plaintes que recueillit Roland, inspecteur des manufactures et plus tard ministre de l'intérieur, à la fin du siècle dernier, au moment où l'on allait faire un traité avec l'Angleterre.

<< Lorsqu'on commença à fabriquer des cotonnades en France, le commerce tout entier des villes d'Amiens, de Reims, de Beauvais, se mit en réclamation et représenta toute l'industrie de ces villes comme détruite. Il ne paraît pas cependant qu'elles soient moins industrieuses ni moins riches qu'elles ne l'étaient il y a un demi-siècle, tandis que l'opulence de Rouen et de la Normandie a reçu un grand accroissement des manufactures de coton.

>> Ce fut bien pis quand la mode des toiles peintes vint à s'introduire. Toutes les chambres de commerce se mirent en mouvement; de toutes parts il y eut des convocations, des délibérations, des mémoires, des députations, et beaucoup d'argent répandu. Rouen peignit à son tour la misère qui allait assiéger ses portes, « les enfants, les femmes, les vieillards dans la désolation, les terres les mieux cultivées du royaume restant en >> friche et cette belle et riche province devenant un désert. »

<<< La ville de Tours fit voir les députés de tout le royaume dans les gémissements, et prédit « une commotion qui occasionnera une convulsion dans le gouvernement politique. » Lyon ne voulut point se taire sur un projet « qui répandait la terreur dans toutes les fabriques. » Paris ne s'était jamais présenté pour une affaire aussi importante au pied du trône « que le commerce arrosait de ses larmes. » Amiens regarda «la permission des toiles comme le tombeau dans lequel toutes les manufactures du royaume devaient être anéanties. » Son mémoire, délibéré au bureau des marchands des trois corps réunis, et signé de tous les membres, était ainsi terminé : « Au reste, il suffit, pour proscrire à jamais l'usage des toiles peintes, que tout le royaume frémisse d'horreur quand il entend annoncer qu'elles vont être permises. Vox populi, vox Dei. »

Comment s'étonner des critiques que fait naître tout projet de traité de commerce lorsque dans un même pays, c'est à cet excès de déclamation que les intérêts privés poussent l'alarme. Heureusement qu'il est des hommes que ces murmures n'arrêtent pas et qui, au delà, envisagent uniquement le bien public.

Les réclamations d'Amiens, de Rouen, de Tours nous peignent la vie industrielle du siècle passé, telle que l'avait faite notre histoire féodale avec le morcellement des provinces. Les provinces se sont unies et ont prospéré ensemble depuis 1789. Il en sera de même de ces autres provinces de la république européenne qu'on appelle aujourd'hui des royaumes et des empires.

Le système protecteur ou prohibitif est né en France au moment où se formèrent les communes. Menacées par les seigneurs et ennemies ou rivales les unes des autres, elles tenaient emprisonnées dans leurs ceintures de murailles non-seulement la liberté des échanges, mais la liberté du travail elle-même. Que de temps il fallut pour qu'on permit seulement aux boulangers de Gonesse et de Corbeil de venir vendre du pain dans Paris! La patrie, c'était alors la commune et on eût été mal vu si l'on avait prédit que les temps changeraient et que chacun y trouverait son compte. Quand il commença à se répandre quelque lumière dans les esprits et qu'on s'aperçut qu'il devait y avoir communauté d'intérêts entre les cités du même royaume,

les villes de fabrique et les villes de commerce continuèrent, sous une autre forme, un antagonisme qui dure encore.

C'est de la fin du xve siècle et du règne de Louis XI que datent les premiers traités de commerce que la France ait conclus; mais avant le xvIe siècle il n'est guère d'usage chez aucune des nations européennes de faire des traités spécialement consacrés au développement des relations commerciales, et quand elles stipulent quelque chose à ce sujet, elles inscrivent d'ordinaire leurs observations dans leurs traités généraux de paix ou de guerre.

On voit sous Louis XI, sous François Ier, sous Henri IV, sous Richelieu, essayer les premières ébauches d'une politique d'ensemble, en ce qui concerne le commerce et l'industrie de la France; il était réservé à Colbert de concevoir enfin un plan régulier et, à une époque où aucun penseur ni aucun pays ne soupçonnaient les bienfaits du libre commerce et de la concurrence, et moins en Angleterre encore que partout ailleurs, il eut l'honneur de fonder le système qui s'est appelé depuis le système protecteur en proclamant pour l'avenir l'avénement de cette liberté commerciale qu'il sut deviner et qu'il fonda même en France de son vivant, car en établissant aux frontières des droits de douane dont quelques-uns étaient très-élevés, il avait sur toute l'étendue de la France détruit les barrières qui faisaient de chaque province un royaume ennemi. Quand on lit les historiens qui ont raconté le règne de Louis XIV et qu'on assiste à tant de guerres, ou brillantes ou malheureuses, on n'aperçoit nulle part quelle influence les questions de commerce et de tarif commençaient à prendre sur les déterminations des Etats. Il n'en est pas moins vrai que la plupart des guerres du xvir et du XVIIIe siècle ont été suscitées par le choc des intérêts et on en a la preuve en étudiant les textes des traités conclus pour y mettre fin. C'est là, mieux que dans les récits d'apparat, que l'esprit moderne a mis son empreinte. L'Angleterre et la Hollande ne s'y montrent pas moins préoccupées que la France du soin de mettre à profit leurs victoires pour faire triompher leur commerce et leur industrie aux dépens de l'étranger; heureuses si elles eussent su dès lors que le plus assuré moyen d'encourager l'industrie nationale, c'est de lui fournir au plus bas prix

les matières premières, les modèles, les outils, et qu'il n'y a aucun commerce particulier qui puisse demeurer longtemps. prospère si le commerce des autres nations ne se développe pas dans les mêmes proportions. En 1713, quand on signe le traité de paix d'Utrecht, l'Angleterre est la plus vive à faire supprimer les clauses qui, des deux côtés de la Manche, devaient faciliter l'échange des produits.

Les premiers travaux des économistes eurent pour effet d'attirer l'attention des hommes d'État sur des questions qu'ils n'avaient pas encore comprises, qu'ils n'avaient pas même cru qu'on pût considérer comme importantes, et lorsque les philosophes et les encyclopédistes eurent, de leur côté, fait comprendre à l'aristocratie qui gouvernait encore qu'une nation est composée d'ouvriers et de fabricants plus encore que de courtisans, de prêtres et de soldats, il devint possible de faire un pas en avant. La déclaration de la liberté du commerce des grains fut la première victoire de la science; la suppression des corporations fut la seconde; mais trop de motifs d'opposition existaient encore pour que d'un même coup fussent écartées toutes les ombres qui voilaient les vérités; et lorsqu'en 1786 fut conclu entre la France et l'Angleterre un véritable traité de commerce, la tempête éclata presque aussitôt.

Il est vrai qu'après avoir prohibé tout, on se hâtait trop de tout accueillir, et que, pour un grand nombre d'industries françaises, le moment n'était pas venu d'être exposées, sans que rien les garantît, aux risques de la concurrence anglaise. La plupart des droits d'importation étaient fixés à 15, à 12 et même à 10 p. 100 de la valeur, et comme il est connu qu'on peut facilement éviter une partie de la charge des taxes, il en résultait pour nos manufactures de tissus et de poterie, par exemple, la menace d'une ruine complète. Nos négociateurs auraient pu mieux prendre leurs précautions, cela est évident, mais le traité n'était pas non plus aussi fâcheux qu'on le prétendait, et en Angleterre on s'en plaignait à peu près comme en France. Les événements empêchèrent d'ailleurs qu'il fut exécuté, puisque, conclu en 1786 pour une période de douze ans, il fut, par le fait de la guerre révolutionnaire, aboli en 1793, et que depuis 1789 on ne s'y conformait plus. C'est le

souvenir des souffrances et surtout des plaintes causées par cette première négociation purement commerciale qui a jeté jusqu'à nos jours sur les traités de commerce un discrédit si fâcheux. Au fond des choses, il est probable que, même assez mal rédigé, il eût fini par n'être pas défavorable à nos intérêts; mais, en tout cas, il y a une grande différence entre ce qu'était la France en 1786 et ce qu'elle est devenue depuis. L'Angleterre avait déjà une partie de ses machines montées et filait sa laine et son coton, tandis qu'à peine délivrés des liens de l'esclavage industriel, nous commencions seulement d'inventer toutes ces sciences que, depuis 1789, nous avons menées si loin.

L'Assemblée constituante ne se laissa pas écarter de son idéal ordinaire de justice et de liberté lorsqu'elle eut, au milieu même des réclamations les plus véhémentes, à régler les conditions d'exercice du commerce de la France régénérée. Nulle prohibition ne figure dans le tarif décrété par elle en 1791, et aucun des droits qui le composent ne dépasse le taux de 15 p. 100 de la valeur, mais on sait par quelles épreuves la révolution française devait passer avant d'avoir affirmé son droit par cent victoires. En 1793, la république déclare la guerre à tous les rois et déchire, comme les autres traités, cette convention de commerce qu'il ne s'agissait plus de critiquer au nom de quelques intérêts particuliers, mais que répudiait la noble haine de l'étranger qui était alors la première des vertus civiques. La République avait déjà vaincu qu'elle ne consentait pas à laisser s'adoucir sa colère Le Directoire continua l'œuvre de destruction que la Convention avait entreprise. Enfin, en 1801, lorsque la paix fut signée à Amiens et que les premières expositions de l'industrie eurent révélé les trésors que la nécessité avait fait trouver au génie industriel de la nation, on songea à renouer, en matière de commerce, des liens que la politique rattachait. L'Angleterre demandait le retour au traité de 1786, et le Premier Consul proposait de conclure une convention nouvelle. Pendant que les négociateurs discutaient, l'orage de la guerre éclata encore et cette fois ce fut pour jusqu'au dernier jour de l'Empire.

Mais à quelles incroyables extrémités Napoléon allait-il porter sa pensée! Dès qu'il a perdu l'espoir d'envahir le sol anglais,

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