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ce phénomène, M. Kruse en trouve l'explication dans le caractère indolent et peu entreprenant des Esthoniens, dans cette apathie et cet attachement aux vieux usages qui les laissent encore aujourd'hui ce qu'Hérodote les a connus sous le nom de Melanchlaenes.

Cette même apathie explique aussi comment les Esthoniens ont subi facilement le joug des Normands qui dévastaient les bords de la mer Baltique. Cependant Nestor nous apprend qu'ils finirent par repousser leurs oppresseurs; mais, incapables de se gouverner par eux-mêmes, ils ne tardèrent pas à se voir contraints d'aller implorer l'autorité d'un prince étranger, et de demander un chef aux Varègues.

L'histoire, quand on s'approche des temps modernes, offre moins d'obscurités à éclaircir. La Livonie, l'Esthonie, la Courlande devinrent, comme on sait, le théâtre des invasions des Scandinaves et des Allemands, qui y firent pénétrer le christianisme au milieu du neuvième siècle et au commencement du dixième.

Nous ne suivrons pas M. Kruse dans ces derniers développements, qu'on lit avec intérêt, mais qui n'ont point au même degré le mérite de la nouveauté; ils forment néanmoins le complément indispensable du tableau historique qu'il a tracé.

On doit reconnaître que notre auteur a tiré un parti très-heureux des faibles ressources que l'antiquité nous a laissées pour écrire sur les provinces baltiques; son livre prend un rang honorable à côté de celui de Schafarik sur les Slaves. C'est à l'école de ce savant que M. Kruse appartient; moins érudit peut-être, il est plus clair, et l'ordre historique auquel il s'attache rigoureusement l'a préservé d'un grand nombre de digressions trop fréquentes chez les érudits allemands.

Pour que son histoire fùt tout à fait complète, nous eussions souhaité des détails plus circonstanciés sur les Lettons et les Coures et sur leurs relations mutuelles. Les premiers demeurent souvent un peu dans l'ombre, et toutes les couleurs sont réservées pour les Esthoniens. Néanmoins, tel qu'il est, ce travail mérite l'estime de tous les amis de la solide érudition, et il sera apprécié de ceux qui recherchent des documents rassemblés avec critique et savoir.

NAXOS EIN VORTRAG, etc. (Mémoire sur Naxos, par Ernest CURTIUS. Berlin, 1846; in-8° de 46 pages, avec une carte.)

Ce titre et le nom de l'auteur, philologue habile, semblent annoncer quelque savante monographie sur la plus célèbre des Cy

clades; les lecteurs reconnaîtront que ni le titre ni le nom de l'auteur ne tiennent ce qu'ils promettent.

M. Curtius aime et connaît parfaitement l'antiquité mythologique. Cela nous autorise à lui reprocher de ne point avoir donné assez de place, dans son travail sur Naxos, à l'examen des légendes fabuleuses.

A cette ile, que la beauté de ses vignobles avait fait consacrer à Bacchus, se rattachent certaines traditions mystiques fort intéressantes aux yeux des savants qui espèrent toujours retrouver, dans des récits symboliques, de précieuses notions sur les religions ou l'histoire primitives. Nous aurions été curieux de connaitre ce que le docte Allemand pense des étymologies que l'on a données des divers noms de cette Cyclade, appelée successivement Strongyle, Dia, Naxos. Ce dernier nom vient-il du chef de la colonie de Doriens qui s'établit dans l'île après le départ des Thraces, ou bien de l'usage de sacrifier à Bacchus, váž×1 pour fúcz; ou bien serait-ce une allusion à la vendange, car le verbe vacco, fut. váž, veut dire presser, fouler? Enfin, par suite de ces modifications que l'usage fait subir aux langues, aurait-on dit Nátos pour Nãscos, qui est la forme dorique du mot νῆσος, ile ?

La numismatique de Naxos, les types curieux qu'elle nous offre, les ruines de la capitale de cette ile et du temple de Bacchus, dont l'Anglais Clarke a déjà parlé, pouvaient fournir plus d'un chapitre intéressant, surtout à un antiquaire exercé. Pourquoi M. Curtius, qui a fait le voyage de Grèce, s'est-il privé d'une si belle occasion de nous donner une nouvelle preuve de ses connaissances et de sa pénétration?

Nous regrettons qu'il se soit contenté de présenter quelques aperçus généraux sur l'histoire de cette Cyclade, laquelle a été successivement possédée, comme on sait, par les Thraces, les Cariens et les Ioniens. M. Curtius nous la montre d'abord, non point dans ses rapports avec la Crète et Minos, époque plutôt héroïque qu'historique, mais comme occupant le premier rang dans la confédération ionienne, comme un des liens qui rattachaient l'Europe à l'Asie, enfin comme ayant joui au moyen âge, en tant que puissance féodale, d'une éclatante prospérité.

A vrai dire, c'est plutôt sous ce dernier point de vue que M. Curtius envisage Naxos. Car son principal objet, il nous semble, c'est de faire connaître la généalogie des ducs de Naxos ou de

Naxie, que son excursion dans l'île lui a fait découvrir. Cette généalogie commence au Vénitien Marco Sanudo, qui fit la conquête de Naxos en 1204, et fut nommé, par l'empereur de Constantinople, prince de l'empire et duc de l'Archipel, et finit à Giacomo Crispo, qui vivait en 1566.

M. Curtius cite avec honneur plusieurs ouvrages français qui lui ont servi, dit-il, à rectifier la généalogie qu'il publie; par exemple, l'histoire des ducs de l'Archipel par le père Sunger, et deux écrits de M. Buchon, sur le même sujet, le premier intitulé: Histoire de la domination française dans les provinces démembrées de l'empire grec; le second: Chroniques étrangères relatives aux expéditions françaises pendant le x1° siècle. Nous tenons à signaler un pareil procédé, parce qu'il se rencontre moins communément qu'on ne le pense dans les diverses contrées de l'Europe, chez les littérateurs et les savants.

Bien que le nom de Naxos éveille particulièrement des souvenirs mythologiques, il en est beaucoup, parmi les lecteurs de M. Curtius, qui l'approuveront d'avoir préféré les traditions historiques du moyen âge aux légendes qui concernent Ariane, Thésée et Bacchus. D'autres le blåmeront peut-être; mais nous croyons que tous remarqueront ce qu'il y a de chaleureux et de poétique dans cette petite brochure écrite sans prétention. On sent que l'auteur a vu la Grèce, et qu'il se rappelle avec amour ces rivages étincelants de lumière et cette terre féconde en grands souvenirs.

III.

18

PETITS CHEFS-D'OEUVRE HISTORIQUES.

2 vol. in-12.

Tome I Conspiration de Walstein, par Sarrazin; Conspiration de Fiesque, par le cardinal de Retz; Campagnes de Rocroy et de Fribourg; Révolution de Russie en 1762, par Rulhières; Précis de l'histoire des Maures en Espagne, par Florian. Tome II: Conjuration des Espagnols contre Venise, par Saint-Réal; Révolutions de Portugal, et Révolutions de Suède, par Vertot. Avec introduction et notices historiques, par M. A. DE LATOUR. Paris, 1846, Firmin Didot, rue Jacob, 56.

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C'est un juste et légitime hommage dû au XIXe siècle, que de reconnaître sa supériorité dans les études historiques longtemps négligées ou mal comprises par les écrivains de notre pays. Ne croyons pas cependant que la France ait attendu notre époque pour produire des esprits habiles dans l'art de raconter et d'apprécier les événements. Bossuet, Montesquieu, Voltaire, génies rares et privilégiés, attestent assez que l'histoire n'est pas chez nous née seulement d'hier. Le progrès de la science, en corrigeant leurs erreurs, en confirmant les vérités qu'ils avaient aperçues ou devinées, a mis le sceau à la renommée de ces hommes supérieurs et universels.

Mais il est des ouvriers modestes dont l'école moderne, trop dédaigneuse peut-être, a laissé dans l'oubli les noms moins éclatants, et qui, pourtant, ont travaillé eux aussi, dans une utile mesure, à l'édifice commun. La curiosité de notre siècle s'est portée avec une attention exclusive vers les sources originales, vers les documents inédits; elle a laissé de côté les recherches recommandables des écrivains les plus sensés et les plus intéressants, parce qu'elle ne voulait que des richesses nouvelles. En revanche, les vieilles chroniques, les mémoires, descendus des rayons poudreux des bibliothèques, ou tirés des trésors les plus secrets des archives, ont eté mis en vogue, et pour ainsi dire réhabilités par une complaisante faveur, et, grâce à cet engouement un peu trop vif, des auteurs, fort inconnus parfois et fort dignes de l'être, ont obtenu parmi nous estime et respect, au détriment de quelques historiens moins heureux des deux derniers siècles.

Nous sommes loin sans doute de blâmer le goût général pour les chroniques et les mémoires, et nous proclamons hautement l'utilité

incontestable de ces précieux documents; mais, sans vouloir, par l'effort d'une admiration outrée et irréfléchie, rendre à des renommées qui ont fait leur temps, tout l'éclat dont elles ont brillé dans une époque moins riche que la nôtre en historiens de conscience et de talent, nous croyons que l'on ne saurait sans injustice reléguer au fond des bibliothèques les travaux sérieux de Saint-Réal, de Vertot, de Rulhières, et de quelques autres encore, trop négligés aujourd'hui.

Il est surtout, dans les ouvrages de ces féconds écrivains, des morceaux plus curieux et plus achevés, vers lesquels reviennent sans cesse avec plaisir ceux qui les ont une fois parcourus. Mais, disséminés dans de nombreux volumes, perdus souvent au milieu d'un inutile fatras, ils perdent, dans cet isolement, quelque chose de leur intérêt, et se ressentent pour ainsi dire de l'ennui qu'on trouve à les chercher. Réunis ensemble et placés sous la main des lecteurs, ils attireraient plus souvent l'attention de ces hommes qui n'aiment que l'étude facile et commode.

Tel a été le but de M. A. de Latour: « Rechercher un certain nombre d'ouvrages très-courts, dont les uns deviennent chaque jour plus rares et moins connus, et dont les autres veulent être détachés des collections volumineuses, exposés, la plupart, à suivre dans l'oubli ces collections qu'on ne lit plus guère, si on ne prenait soin de les en séparer; rassembler sous un titre commun ces perles de l'histoire, en faire connaître les auteurs, apprécier dans de simples notices celles des compositions de ces auteurs que l'on a cru devoir écarter, tel est, dit-il, notre dessein: heureux, si, en le poursuivant, il nous était donné de pouvoir rappeler l'attention un peu dédaigneuse de la foule sur quelques titres à demi oubliés d'une littérature tellement riche en grands chefs-d'œuvre qu'elle commence à devenir indifférente pour les petits.» (P. 19.)

Sous le titre de Petits chefs-d'œuvre historiques, sont réunis en deux volumes la Conspiration de Walstein, par Sarrazin; la Conspiration de Fiesque, par le cardinal de Retz; la Relation des campagnes de Rocroy et de Fribourg, attribuée, par M. Charles Nodier, à Henri de Bessé; l'Histoire de la révolution de Russie en 1762, par Rulhières; le Précis de l'histoire des Maures en Espagne, par Florian; la Conjuration des Espagnols contre Venise, par l'abbé de Saint-Réal; les Révolutions de Portugal et les Révolutions de Suède, par l'abbé Vertot. Comme on le voit, M. de Latour a renfermé son choix dans les limites de l'histoire moderne. Ses deux volumes offrent le récit de presque toutes les révolutions accomplies en Europe pendant une période assez étendue, et ils pourraient servir au besoin de manuel à l'usage des conspirateurs. Presque tous les sujets qu'ils embrassent ont attiré les regards des poëtes; presque tous ont fourni au drame des scènes émouvantes et terribles. Schiller a représente lui aussi la Conspiration de Walstein, et la Conjuration de Fiesque. Otway a emprunté à SaintRéal sa Venise sauvée, et Lafosse son Manlius. Enfin, dans Gustave Wasa, Piron a retracé quelques tableaux des Révolutions de

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