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électoral ne sera pas détournée, dans le chemin qu'elle fait de la boîte du scrutin à la Chambre où siège le mandataire élu, est un procédé tout moral et qui ne peut s'inscrire dans les lois. C'est dans la conscience qu'on le trouve. Si l'on veut se retenir sur la pente qui a conduit tous les régimes du passé à leur ruine, si l'on veut empêcher que l'écartement entre l'opinion publique et le gouvernement en arrive à la rupture, il est urgent que la volonté nationale s'exprime avec netteté et qu'elle apparaisse sans voile; et pour cela il faut qu'elle ne puisse pas se méprendre sur la pensée de ceux qui sollicitent les suffrages. La liberté de l'électeur, la franchise et la sincérité du candidat, c'est en cela que consiste le secret. Que les hommes politiques aient des opinions, des idées à eux propres, des vues d'avenir sur leur pays et sur le monde, cela va de soi, et ils ne sont hommes politiques qu'à cette condition. Qu'ils aient le désir de prendre le pouvoir et de le garder, afin de faire prévaloir ces idées, ces vues, ces opinions, rien de mieux encore. Mais ce qui est reprochable, parce que cela devient de l'improbité, et que cela est de conséquence en politique, c'est qu'ayant un but déterminé, on le couvre d'un voile; c'est qu'ayant un parti pris sur les choses publiques, on s'en défende; c'est qu'on dissimule sa vraie pensée, qu'on n'annonce pas hautement ses intentions. Comment des gouvernants peuvent-ils savoir s'ils sont d'accord avec la volonté populaire, lorsqu'ils ont eux-même épaissi les ténèbres à travers lesquelles l'esprit public a tant de peine à se faire jour? Et s'ils ne connaissent pas bien cette volonté, comment espèrent-ils s'en passer?

XVI

Parmi les hommes qui aiment à faire dater les évènements de leur venue au monde, il n'est pas rare d'entendre dire que le régime nouveau réclame des modifications radicales dans l'organisation et dans l'état général de la nation. Chaque chose a son temps, en effet. Mais ces modifications se font beaucoup moins à coups de force et à coups d'arrêtés qu'elles ne sont l'œuvre

latente des idées générales qui modifient peu à peu

la direction de l'esprit public. Pendant une vie d'homme, on a pu assister à une transformation surprenante du pays dans ses conditions. économiques et physiques mêmes, par l'application au travail humain des découvertes scientifiques en toute chose: la population s'est déplacée; des types d'hommes ont disparu; les habitudes ont changé; jusqu'au sol qui a pris un autre aspect. Ainsi tout se transfigure sous l'action incessante de lois qui nous échappent; si les hommes seuls ne changent guère, les mœurs sociales au moins se modifient. C'est de la sorte que, depuis un siècle, les principes de la Révolution française ont opéré d'euxmêmes une rénovation complète dans la nation. L'œuvre des influences politiques ne consiste qu'à en favoriser le développement et à en assurer l'application sincère. A l'heure où notre société en est arrivée à ce point d'avancement que tous les hommes participent à son gouvernement, il n'est pas d'intérêt plus grand que celui de faciliter la coopération de tous à l'œuvre nationale, de la rendre utile et fructueuse pour la patrie. Si la nation fait un mauvais usage de sa souveraineté, son existence peut être mise en péril, ou du moins la civilisation française peut être compromise. Aussi est-ce avec la passion du patriotisme que l'on doit prendre souci du suffrage universel, lequel est le moteur essentiel et unique de la vie nationale. Et puisqu'on veut des nouveautés, aucune n'est plus désirable que l'amélioration de nos mœurs politiques et électorales; ou mieux encore, celle-là seule est vraiment désirable.

On demeure surpris que, dans un pays où la franchise et la sincérité sont tellement en honneur, les hommes politiques se condamnent si souvent à ne pas dire exactement, quand ils s'adressent au suffrage universel, ce qu'ils pensent des affaires publiques. On ne sait quelle pudeur ou quelle timidité les retient, quand ce n'est pas un dessein arrêté de capter la confiance populaire. Il y a chez eux une sorte de fausse honte à l'égard des camaraderies auxquelles on est affilié et des partis auxquels on s'agrège; la crainte de déplaire et de ne plus rencontrer toutes les adhésions dont on a besoin; l'unique souci de

gagner des partisans et de s'assurer le succès; une habitude prise de dépendance, telle que, même en dehors de ceux que leur modestie livre à la direction d'autrui, presque personne ne s'affranchit de certains liens qui embarrassent la liberté de la pensée et celle du langage. On ne sait pas assez que la sincérité fait plus que de mériter la louange; elle assure les sympathies. Elle gagne le respect du suffrage universel et aussi sa confiance; en sorte que ce devoir, comme tous les autres, trouve sa récompense en lui-même quand on l'accomplit. En politique, ce n'est pas de l'habileté, seulement c'est la plus grande des habiletés et la plus sûre des diplomaties.

En suivant la conduite contraire, on finit par produire autour de soi une sorte d'énervement moral insupportable à ce pays. A force de finesses, de sous-entendus et de détours, on donne à la langue même, cette langue que sa clarté rend si belle, une tournure étrange par laquelle les mots changent de signification; on en vient à ne plus s'entendre sur ce que l'on dit, et à ne s'accorder sur rien. Si jamais pourtant un régime politique a eu besoin de franchise dans le cœur et dans la bouche des hommes, c'est la République. Qu'elle se montre ce qu'elle doit être, le visage ouvert, les mains pleines de garanties qui rassurent chacun sur son droit, exempte de desseins cachés, incapable de surprendre la bonne foi et la bonhomie des Français, elle n'a rien à redouter du peuple.

Que si, au contraire, les hommes qui ont la direction des esprits, en même temps que celle des affaires, acceptent et jouent le triste rôle de démagogues, qui consiste à capter les suffrages populaires en trompant ou en égarant les citoyens, il faut craindre ce peuple, que son bon sens avertit un jour ou l'autre des pièges qu'on lui a tendus, qui n'aime pas à être dupe, et qui, lorsqu'il s'aperçoit qu'on l'a trompé, se venge jusqu'au point de méconnaître son propre intérêt, dans l'excès de son ressentiment. En viciant la République dans ses principes essentiels, ils prépareraient sa ruine. Répandre l'erreur, exciter les passions, réveiller les mauvais instincts, envelopper et les institutions et les hommes de fausses lueurs et de fausses apparences, de manière que l'équivoque remplace partout la vérité,

c'est corrompre l'esprit et le cœur du véritable souverain; c'est le rendre impropre au rôle qu'il doit jouer et indigne de la haute destinée à laquelle il était appelé.

XVII

Les libéraux n'ont rien à redouter en se faisant connaître. A la différence des jacobins, aux yeux de qui la liberté n'est qu'un but lointain qu'ils poursuivent en se passant d'elle, pour eux la liberté est l'alpha et l'oméga de la politique. Il est facile, à la vérité, - et l'on ne manquera pas de le leur dire, de mettre cette étiquette sur son drapeau; aussi est-ce plus encore par leurs actes que par leurs maximes qu'ils se distinguent des autoritaires. Ils peuvent, sans faire parade d'un programme, se borner à rappeler ce qu'ils ont été et ce qu'ils ont fait alors qu'ils étaient chargés du gouvernement. Il ne leur est pas difficile de dévoiler leur secret; car il n'y a rien de compliqué ni d'embarrassant pour les gouvernants, quand ils ne cherchent. dans l'exécution des lois que ce qu'elles renferment, c'est-à-dire des garanties pour les individus ; quand ils ne conçoivent même pas l'idée de trouver, dans les moyens d'action qui leur sont confiés, un procédé détourné pour imposer à la nation des doctrines à eux particulières. Ils ne tournent pas les institutions. de façon à leur faire produire des résultats profitables à une cause; ils les appliquent telles qu'elles ont été faites, avec leur esprit, qui est tout entier dans le développement régulier des libertés publiques, sans envisager les conséquences.

Ce n'est pas à dire qu'ils professent une sorte d'indifférence quelque peu dédaigneuse et superbe, ou qu'ils veuillent réduire le rôle des gouvernants à celui d'automates ou de simples rouages dans un mécanisme qui marcherait sans que personne le mît en mouvement. Ils connaissent la nécessité et ils acceptent la responsabilité de l'action gouvernementale. Mais ils sont pénétrés de l'idée que leur façon de comprendre et de pratiquer le gouvernement est la seule susceptible de procurer à la nation les biens que comportent les principes dont elle vit, et qui con

tiennent en eux une vertu féconde et bienfaisante. Ils protègent la liberté des citoyens parce qu'ils l'aiment pour eux-mêmes; puis par un sentiment de justice; et enfin par amour du bien public, qui est lié, dans leur pensée, à l'exercice régulier et complet de la liberté générale.

Ils ne craignent point d'abandonner la nation à elle-même et de la délivrer de ses tuteurs. Ils considèrent que la traiter autrement serait montrer pour elle une sollicitude injurieuse. Pourquoi contrôleraient-ils l'usage que les citoyens font de leurs droits, puisqu'ils pensent que cet usage se règle par lui-même ? Pourquoi priver la République de l'attachement qu'inspire à un peuple jaloux de ses droits le charme qu'il trouve à les exercer librement? A leurs yeux, cette allégeance, ces facilités de vivre ne sauraient attirer à un gouvernement le reproche d'insouciance ou de faiblesse. Ils ne délaissent pas le devoir de sauvegarder les droits des particuliers ni ceux de l'État; et le souci des intérêts généraux, comme celui de la sécurité des personnes, ne leur permet pas de méconnaître la nécessité de la répression. Mais ils bannissent de ces obligations gouvernementales l'esprit de domination inutile. Ils savent en un mot que la meilleure des politiques, celle qui assure le mieux à un régime le respect et l'attachement des citoyens, c'est une administration prévoyante et équitable, une égale et constante distribution de la justice.

Est-ce la république de Salente qu'ils rêvent? nullement : c'est une république libérale; et si, comme ils le pensent, cette république exige des vertus civiques dont d'autres régimes peuvent se passer, ils croient qu'une partie de leur mission, non la moins importante, consiste à enseigner à la nation ces vertus dont elle a besoin : il faut lui apprendre à être libre. Aussi, la République doit-elle se garder d'entretenir, entre les citoyens, les divisions et les causes de discorde qui amènent fatalement le règne de l'injustice. Lois d'exception, mesures vexatoires, procédés d'exclusivisme et de suspicion, inégalité dans les traitements dont on use envers adversaires et amis, tous ces moyens de gouvernement, quels qu'en soient les prétextes, ont le double tort d'éloigner la concorde, ce bien suprême sans

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