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lequel nous sommes condamnés à la ruine, et de faire détester ou méconnaître par le pays les principes de la Révolution française, qui ne valent que s'ils sont appliqués sincèrement et équitablement.

Est-ce à dire que les libéraux ont un spécifique propre à faire cesser les divisions et les animosités de parti? Hélas, non ! Mais ils pensent que le seul remède à ce mal, le plus grand de tous les maux dont souffre la France, - est dans l'application continue et exacte des principes de la liberté. Est-il présomptueux de penser que, si l'on n'avait pas cessé d'user des procédés qu'ils préconisent envers les partis d'opposition constitutionnelle, ceux-ci ne se seraient pas fortifiés, organisés, et ne seraient pas devenus autant qu'ils le sont devenus presque irréductibles? Et ne sont-ils pas autorisés à le dire, lorsqu'on songe qu'après la mort du prince impérial et du comte de Chambord, un grand nombre de bonapartistes et de royalistes eussent préféré, à la seule dynastie royale qui subsiste, un régime républicain qui aurait donné à leurs intérêts moraux et à leurs droits de citoyens toutes les garanties qu'ils jugent nécessaires.

Si, par la faute des républicains autoritaires, les procédés de gouvernement des libéraux, qui consistaient à ne plus faire de distinction entre les personnes à raison de leur passé, à admettre tous les hommes de bonne volonté au service de la République en la plaçant sous la sauvegarde de leur loyauté, à respecter les croyances, les préjugés, même si ces procédés sont devenus impraticables; si le fossé s'est élargi; si les volontés sont devenues récalcitrantes; si la défiance s'est accrue, il est du moins un procédé dont on peut toujours user avec grand avantage, et qui, employé avec la persévérance et la patience qui conviennent à un gouvernement, produira des effets certains de rémission, de pacification et de concorde. Ce moyen, on le trouvera dans la pratique constante des principes de liberté.

Faites que les partis n'aient rien à attendre d'un autre régime que la République ne leur donne; découragez les espérances en comblant les désirs; supprimez les sujets de plainte en vous montrant justes. Rien, depuis longtemps, ne sépare plus les Français qui, au fond, pensent de même sur toute chose, ou du

moins sur les principes essentiels des régimes politiques modernes. Rien ne les divise, si ce n'est des intérêts qu'une saine et équitable justice peut régler. Et si, pour leur malheur, leurs dissensions doivent durer, ce n'est pas par la domination des uns sur les autres qu'on peut espérer que la discorde cessera de les déchirer.

La République est encore de tous les régimes politiques celui qui les divise le moins; tous peuvent se dire que ce régime est le leur, puisqu'aucune classe de citoyens ne peut prétendre à se l'attribuer comme un apanage exclusif. Mais il y faut une condition: c'est que la République ne sera pas le gouvernement d'un parti. Si elle avait ce caractère, elle n'aurait aucune prééminence sur les autres régimes; et elle perdrait le titre qui la recommande, dans un pays où les citoyens sont partagés entre tant de groupes politiques divers. La République sans épithète est la meilleure des républiques, elle est la seule bonne, parce que tous, du moins, peuvent l'accepter sans renier leurs opinions particulières. C'est, au fond, la République libérale; et c'est pour cela qu'à nos yeux elle est le gouvernement qui peut le plus honorablement et le mieux présider aux destinées de la patrie.

DE MARCERE.

Messei, 10 octobre 1884.

M. GLADSTONE

ET LA CHAMBRE DES LORDS

Le Parlement britannique est réuni, et pour la seconde fois la Chambre des Lords va avoir à se prononcer sur le bill de réforme électorale rejeté par elle en juillet dernier. Quelle attitude adoptera-t-elle en présence des sommations de la « Ligue nationale pour l'abolition de la Chambre héréditaire »? Céderat-elle dès maintenant, ou prolongera-t-elle sa résistance jusqu'au jour où la lutte sera sans espoir? S'obstinera-t-elle à vouloir que le remaniement des districts électoraux soit compris dans la loi qui étend le droit de suffrage à deux millions d'électeurs nouveaux, ou trouvera-t-elle, pour écarter ce calice, une formule plus ingénieuse? Ce sont choses sur lesquelles il serait imprudent de se prononcer, et la Chambre des Lords elle-même ne sait peut-être pas encore à quelle conclusion l'amènera un nouveau débat. Mais il y a dans le tempérament propre de cette Assemblée, dans son histoire et dans ses précédents, dans la physionomie même de la campagne de vacances que vient de mener si vigoureusement M. Gladstone, des indices de la solution probable. Ce sont ces indices qu'on se propose de relever ici, de noter et de grouper, pour servir comme de prologue au drame qui va se développer devant le spectateur politique.

I

L'origine du différend est l'éternelle question du suffrage universel. L'Angleterre n'a pas voulu la trancher d'un seul

coup, comme la France, et reconnaître à tout citoyen majeur le droit de peser par son vote dans la balance des destinées communes. Conséquence: une crise périodique, tous les quinze à vingt ans, quand le progrès des mœurs et la poussée démocratique du siècle amènent à la surface une nouvelle couche sociale.

Il s'agit aujourd'hui de toute une catégorie de british subjects domiciliés dans les provinces ou comtés, et qui réclament l'accession au droit électoral dont jouissent depuis 1868 leurs congénères des bourgs et des cités.

Quelle demande plus légitime sous le soleil? Est-il possible d'imaginer une raison ou seulement un prétexte pour interdire le vote à un homme de bonnes vie et mœurs, ayant domicile légal et payant normalement sa part d'impôt, parce que cet homme habite Suresnes au lieu d'habiter la rue Saint-Denis? Son opinion sur les affaires du pays en est-elle moins respectable, son jugement en est-il moins sain, l'argent de ses taxes moins bon, son vote moins nécessaire à la validité des pouvoirs d'une représentation nationale?... En France, poser ces questions, c'est les résoudre. On y trouve des gens pour penser ou pour dire que le suffrage universel est un leurre et une duperie; on n'en trouverait pas pour admettre qu'étant donné le système représentatif, un homme intelligent, honnête et éclairé, puisse avoir le droit de vote s'il vit à la ville, et se le voir refuser s'il vit à la campagne.

Telle est pourtant la singulière inégalité que consacre la législation électorale en Angleterre, à laquelle le franchise bill de M. Gladstone a pour but de remédier, et que la Chambre des Lords tient formellement à conserver, puisqu'en dernière analyse le rejet du bill équivaut à ceci : dénier le droit de vote à deux millions de provinciaux qui jouiraient de ce droit, sans contestation possible, le jour où il leur plairait de se transformer en citadins.

Le motif de cette résistance est assez clair. Les circonscriptions provinciales ou comtés sont restés jusqu'à ce jour, grâce au suffrage restreint, les véritables forteresses du torysme. Que le vote y soit établi sur le même pied que dans les cités et les

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bourgs, que deux millions d'électeurs nouveaux, appartenant pour la plupart aux classes déshéritées, y naissent à l'activité politique, et les choses changeront nécessairement de face les comtés échapperont au parti conservateur, comme les cités et les bourgs lui ont graduellement échappé. La Chambre des Lords, organe conservateur par excellence, ne pouvait envisager sans épouvante une telle éventualité.

Elle a cherché le moyen de la conjurer, et allégué d'abord, par la bouche du marquis de Salisbury, que la réforme électorale ne semblait pas imposée « par un de ces grands mouvements d'opinion devant lesquels tout s'incline »; c'est à peine s'il en avait été fait mention dans les programmes de quelques candidats, aux dernières élections générales; très certainement ce n'est pas sur cette question que se sont faites lesdites élections; même en admettant qu'elle fût comprise dans le mandat tacite que la Chambre actuelle a reçu du pays, « rien ne prouve que le pays soit présentement d'humeur à suivre dans cette voie la majorité ministérielle, et de nombreux symptômes tendent au contraire à indiquer qu'il s'est détaché d'elle ». Enfin, il serait au moins convenable de présenter au Parlement, en même temps. que le bill de réforme, la nouvelle géographie électorale qui doit en être la conséquence. Telle a été, en substance, l'argumentation du leader des tories.

S'inspirant de ces objections, lord Cairns a rédigé et fait adopter, par 205 voix contre 146, un amendement entraînant le rejet du bill et portant que la Chambre haute, «< toute préparée qu'elle soit à adopter les principes de représentation inscrits dans le franchise bill, ne croit pas devoir consentir à la seconde lecture d'un projet de loi entraînant une modification fondamentale du corps électoral dans le Royaume-Uni, sans être accompagné, pour la répartition des votants, de dispositions de nature à assurer une véritable représentation du peuple, et sans offrir aucune garantie que ce bill ne sera pas appliqué avant d'avoir été complété ».

A première vue, la prétention des Lords n'a rien d'excessif. Il semble même que M. Gladstone aurait un moyen bien simple de les condamner à avaler l'amère pilule, puisqu'ils prétendent

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