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» La Hollande à la vérité n'arme pas; mais elle donne exclusivement à nos ennemis pour les transports, pour les emprunts, pour les achats d'armes et de munitions, toutes les facilités qui sont en son pouvoir.

» L'Angleterre n'a équipé cette année qu'une faible escadre, et cette escadre est même déjà rentrée dans le port; mais il ne paraît pas qu'on s'apprête à la désarmer, malgré que la saison des évolutions soit passée : enfin on ne remarque depuis un mois aucun mouvement extraordinaire dans les ports de la GrandeBretagne; mais on sait que sa marine est dans tous les temps si bien ordonnée qu'en moins de six semaines elle peut avoir en mer une flotte considérable.

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L'Espagne est plus lente dans ses armemens, et c'est une des raisons de la moins redouter; mais aussi sa malveillance contre nous est plus vraisemblable. Des intérêts de famille, l'honneur d'un sang royal blessé, le nom de Bourbon justement flétri parmi nous, ne sont-ce pas aux yeux d'un roi de légitimes prétextes pour ravager la terre et verser le sang des peuples? Je ne crois donc pas, messieurs, qu'il y ait à douter un seul moment que l'Espagne ne prenne une part active dans cette guerre. Cependant jusqu'ici le conseil de Madrid n'a pris aucune résolution fixe; la sage circonspection du premier ministre s'est trouvée d'accord cette fois avec les folles prodigalités de la cour pour retarder cette fatale décision; on n'a donné encore que ordres provisoires d'inspecter l'armée de terre, d'en vérifier l'incomplet, de préparer l'équipement éventuel d'une flotte; enfin de fortifier le cordon qui est sur nos frontières, moins encore pour nous observer que pour contenir l'impatiente inquiétude des Catalans. L'armée de terre espagnole ne compte pas aujourd'hui au delà de vingt-cinq mille hommes; mais la marine est sur un meilleur pied. Je ne crains pas, messieurs, de vous garantir tous ces faits.

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» Je ne vous parlerai ni des Suisses, dont il faut peut-être en ce moment respecter les douleurs, dont il est possible encore de regagner l'attachement par quelques ménagemens sans compromettre en rien la dignité nationale; ni de l'Italie, dont les petits princes sont habitués à rester neutres tant qu'on le leur permet, et à se déclarer pour le plus fort quand on les force

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de se prononcer : déjà vos armes ont châtié le plus insolent de ces princes (1); cet exemple sévère nous répond des autres.

» Telles sont, messieurs, les véritables relations de la République française avec les puissances étrangères. Or dans cet état des choses quel pouvait être, quel est encore le devoir du ministre des affaires étrangères?

» C'est de veiller à ce que l'indépendance et l'honneur de la nation soient partout respectés; c'est de lui faire tenir dans les cours par l'organe de ses agens un langage toujours fier, toujours libre, toujours digne de la majesté d'un grand peuple ; c'est de faire protéger partout et envers tous les intérêts du commerce national, et les individus honorés du titre de citoyen français; c'est de détruire les impressions défavorables à notre cause , que nos ennemis n'ont que trop souvent réussi à propager; c'est de travailler à diviser ces ennemis entre eux, à en diminuer le nombre, à augmenter au contraire celui de nos amis, à maintenir les puissances neutres dans leurs bonnes dispositions, à raffermir les faibles qui chancellent... Je me suis prescrit ces devoirs en entrant au poste auquel j'ai été appelé, et j'ose croire que mes efforts n'ont pas toujours été infructueux; du moins tous les moyens qui étaient en mon pouvoir ont été employés avec ce zèle ardent que le patriotisme seul peut inspirer.

» Des négociations importantes ont été entamées, et elles promettent une heureuse issue; il en est une surtout qui intéresse essentiellement l'existence politique de la République française... Je m'abstiens d'en dire davantage; sans doute vous approuverez cette réserve, sans laquelle nous risquerions de perdre tout le fruit de nos tentatives: dès que vous l'ordonnerez cependant je pourrai déposer ces secrets importans dans le sein d'un comité choisi en attendant qu'il n'y ait plus de danger à les révéler en public.

» Mais je ne dois pas différer plus longtemps de vous rendre compte des sommes que l'Assemblée nationale législative a remises dans les mains du ministre des affaires étrangères pour les dépenses secrètes de ce département. J'ai l'honneur de remet¬

(1) Le général Montesquiou venait d'entrer en Savoie.

tre ce compte sur le bureau : il en résulte que des six millions décrétés le 26 avril dernier il a été dépensé la somme de 2,016,000 livres, y compris 500,000 livres accordées aux Belges et Liégeois par décret de l'Assemblée nationale, et qu'il reste encore, tant à la trésorerie nationale que dans la caisse du département des affaires étrangères, celle de 3,984,000 livres.

>> J'ai reçu encore un autre dépôt : il consiste en tabatières, montres, bagues à brillans, boîtes à portraits, et autres effets précieux que ci-devant on distribuait aux agens politiques étrangers, ou autres personnes dont on recherchait le crédit. Il fallait bien recourir aux vils moyens de la corruption quand la diplomatie n'était que l'art de la dissimulation, de la perfidie, de l'imposture, de la tromperie; quand le plus rusé négocia teur était aussi le plus célèbre; quand le titre de grand politique était réellement le synonyme de grand fourbe; quand tout le talent des médiateurs les plus renommés était de tout brouiller pour avoir ensuite la gloire aisée de tout débrouiller : mais aujourd'hui, que notre politique sera aussi franche que peu compliquée; aujourd'hui, que nous n'avons plus d'autres présens à offrir aux peuples que justice et liberté, que nous n'avons à exiger pour nous-mêmes que paix et justice, la Convention nationale jugera sans doute que ces richesses frivoles peuvent être employées plus utilement en les échangeant contre du fer, le métal de la liberté! »

Dans l'intervalle de quelques jours qui s'écoula depuis la communication des ouvertures faites par le roi de Prusse jusqu'à la réception de l'arrêté du conseil exécutif il y eut quelques rapports entre les chefs d'armée; en voici les résul

tats.

Lettre du ministre des affaires étrangères à la Convention nationale. (Séance du 1er octobre 1792.)

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Citoyen président, j'ai annoncé à la Convention nationale des ouvertures de négociation avaient été faites au nom du roi de Prusse au général Dumourier; j'ai fait connaître en même temps la décision du pouvoir exécutif qui ordonnait aux généraux de n'entendre à aucune proposition sans que préalablement

les armées des despotes eussent délivré de leur présence la terre de la liberté.

» Les propositions du roi de Prusse étaient cependant remarquables en ce qu'elles contenaient la reconnaissance clairement exprimée de l'autorité nationale et de la qualité de représentant de la nation pour les relations extérieures qui avaient été attachées à l'existence politique du roi constitutionnel. Un autre aveu non moins remarquable s'y trouvait également; c'est que l'ancien ordre de choses, détruit par la volonté nationale depuis 1789, était contraire au bonheur du peuple.

>> Un rapprochement aussi imprévu, opéré de lui-même, sans négociation préalable, pouvait faire croire à une grande détresse des armées ennemies, ou à d'autres intérêts également pressans de songer à la paix. Une espèce de trève avait été convenue : le général Dumourier en profita pour rassembler et disposer les différens corps qui devaient être réunis à son armée; il fit paisiblement et en silence tous les mouvemens nécessaires pour tirer avantage de sa position, et gêner l'ennemi dans la sienne. Pendant qu'il préparait ainsi ses projets militaires, des communications assez fréquentes, qui ne pouvaient tourner qu'à l'avantage de la liberté, s'établissaient entre les armées. Le général Dumourier saisit cette occasion pour faire l'échange des prisonniers de guerre : le cartel convenu avec les généraux prussiens fut rédigé d'après les lois décrétées par l'Assemblée nationale, et les prisonniers des émigrés n'y furent pas compris; M. de Brunswick ne mit même aucune insistance à une réclamation qu'il avait faite en leur faveur.

» Il s'ouvrit à cette occasion une conférence entre M. le duc de Brunswick, le comte de Luckesini, ministre du roi de Prusse, et le lieutenant colonel adjudant général Thouvenot, chargé de l'échange des prisonniers français. Dans cette conférence M. le duc de Brunswick s'exprima à peu près en ces termes :

<< Nos nations ne sont pas faites pour être ennemies; n'y » aurait-il pas quelque moyen de nous accommoder à l'amiable? » Nous sommes dans votre pays; il est désolé par les malheurs » inévitables de la guerre. Nous savons que nous n'avons pas le » droit d'empêcher une nation de se donner des lois, de se » tracer un régime intérieur; nous ne le voulons pas : le sort

» du roi seul nous occupe. Que deviendra-t-il? Qu'on nous » donne sur lui des assurances, qu'on lui assigne une place » dans le nouvel ordre de choses, sous une dénomination quel» conque, et sa majesté le roi de Prusse rentrera dans ses états,

» et deviendra votre allié. »

» De la part d'un homme qui a signé des manifestes déjà publiés, et dont le mépris de la nation française a fait justice, la modération de ce langage devait surprendre.

» Le lieutenant colonel Thouvenot y répondit que la volonté de la France républicaine ne saurait se plier à aucune influence étrangère, et que les représentans de la nation, à qui le dépôt précieux de son bonheur et de sa gloire est spécialement confié, persisteraient sans cesse dans des décrets qui ont obtenu la sanction de l'opinion générale.

» La conférence fut terminée par l'annonce d'un mémoire que le duc de Brunswick devait incessamment adresser au général Dumourier.

» Ce mémoire est un troisième manifeste digne en tout des deux premiers.

» Le général Dumourier l'a reçu avec une dignation que nous avons partagée, et qui sera également ressentie par la Convention nationale et par la France entière.

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Il a sur le champ annoncé que la trève était rompue, et sa lettre, écrite du ton qui convient à un homme honoré du précieux emploi de conduire des Français à la victoire, déterminé une réponse dans laquelle l'aide de camp du roi de Prusse, après avoir représenté que les intentions de ce roi et du duc de Brunswick ont été mal saisies, demande une nouvelle entrevue, et déclare que les armées impériales et royales ne rompront pas la trève les premières. Le général Dumourier a refusé toutes conférences nouvelles et tous délais dans les opérations de la campagne, à moins que l'on ne commençât par annuller la nouvelle déclaration du duc de Brunswick. Tel est l'état actuel des choses.

» Ce qui s'est passé dans cette circonstance montrera la nation française sous le point de vue respectable qui lui convient.

» Toutes nos démarches ont été énergiques et franches;

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