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mier tyran! Cependant il se trouva dans son sein de nombreux partisans de la royauté: Tarquin le superbe eût été rappelé par eux sans le terrible courage de Brutus, sacrifiant la paternité au salut de la République naissante, et un successeur lui eût peutêtre été donné sans la sagesse du même consul, déterminant le peuple à bannir Lucius, le dernier du sang des Tarquins!

» Nous sortons d'un long esclavage, dont les flétrissures n'attestent que trop la durée et la profondeur! Nous sommes en proie à toutes les passions corruptrices qu'il a fait naître ; le mouvement de la révolution les a déchaînées avec furie, et elles sont prêtes à saisir le premier fantôme capable de rappeler le pouvoir qui les protége.

» Louis XVI, criminel et enchaîné, paraissait moins dangereux ; vous allez l'immoler à la sûreté publique : vous devez à cette sûreté le bannissement de sa famille.

>> Si quelque exception pouvait être faite ce ne serait pas sans doute en faveur de la branche d'Orléans; car par cela même qu'elle fut plus chérie elle est plus inquiétante pour la liberté.

» Dès le commencement de la révolution d'Orléans fixa les regards du peuple; son buste, promené dans Paris le jour même de l'insurrection, présentait une nouvelle idole : bientôt il fut accusé de projets d'usurpation ; et s'il est vrai qu'il ne les ait pas conçus il paraît du moins qu'ils existèrent, et qu'on les couvrit de son nom.

» Ainsi le sang des rois est un prétexte lorsqu'il n'est pas une cause de troubles et d'agitation: ne l'ajoutons point à toutes celles qui rendent orageuse la formation des républiques.

» Une fortune, et surtout des espérances encore immenses; des relations intimes avec les grands d'Angleterre; le nom de Bourbon pour les puissances étrangères, jalouses de nous donner un maître afin de s'assurer un allié; celui d'Egalité pour les Français, faciles à toucher, et dont le choix singulier fait remarquer d'autant plus son objet qu'il affecte de le cacher; des enfans, dont le jeune et bouillant courage peut être aisément séduit par l'ambition, dont l'ambition peut être habilement excitée par les soins et l'alliance de quelques rois étrangers... C'en est trop pour que Philippe puisse exister en France sans alarmer la liberté! S'il l'aime, s'il l'a servie, qu'il achève son sacrifice, et nous délivre de la présence d'un descendant des Capets!

» Dans la situation où nous sommes les considérations personnelles, les affections mêmes ne peuvent entrer en balance avec les scrupules de la liberté : elle impose les précautions les plus rigoureuses; elle veut éteindre l'espoir de la royauté, effacer toute image qui pourrait en éveiller le souvenir !

>> Charles 1er porta sa tête sur l'échafaud, et cependant l'An

gleterre releva le trône pour y placer un roi de son sang. Nous n'avons plus, il est vrai, parmi nous de grands semblables à ces lords qui le rappelèrent; mais il existe partout des hommes avides de pouvoir : l'ambition a ses prêtres, habiles à créer des idoles sous le nom desquelles ils dominent, et la superstition monarchique, ainsi que toutes les superstitions du monde, est moins l'ouvrage de l'erreur que celui de l'imposture.

L'ignorance n'est pas tellement dissipée qu'il soit impossible de la séduire; et ne fût-il question que de prévenir des agitations passagères, une lutte même inutile, le repos public est trop précieux, trop nécessaire pour négliger une mesure qui doit l'assurer. Le soupçon de royalisme est une semence de troubles continuels aujourd'hui même c'est lui qui nous tourmente; on se craint, on s'accuse réciproquement. Bannissez le nom, le sang des rois! vous anéantirez l'espoir et de ceux qui les aiment et de quiconque se servirait d'eux pour vous diviser.

>> S'il est vrai, comme je le crois, que la liberté ne puisse exister et avoir tout son essor que dans un gouvernement républicain, vous devez promptement rejeter de votre sein tout ce qui tient au pouvoir arbitraire.

» On ne reçut pas impunément dans l'enfance l'espoir de le partager un jour, et quiconque crut exercer un jour ce que l'on appelait des droits est suspect à l'ennemi des tyrans.

» La liberté, qu'on n'acquiert qu'avec des combats, je dirais même avec l'adversité, qui ne se conserve qu'avec des mœurs et ne respire qu'à l'ombre des lois, fière comme la vertu dont elle s'appuie, est exclusive comme l'amour : le peuple qui l'adore sans jalousie ne tarde pas de la perdre, et le soin vigilant d'écarter tout ce qui lui fait ombrage est la première règlede son culte.

» Je demande donc que Philippe et sa famille, et toute la race des Bourbons, aillent porter ailleurs que dans la République le malheur d'être nés près du trône, d'en avoir connu les maximes et reçu les exemples, le malheur d'être revêtus d'un nom qui peut servir de ralliement à des factieux, ou aux émissaires des puissances voisines, et dont l'oreille d'un homme libre ne doit plus être blessée. »

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Une partie de l'Assemblée applaudit; quelques membres murmurent; plusieurs demandent l'ajournement. Louvet qui veut appuyer la motion, n'obtient la parole qu'après quelque opposition.

DISCOURS de J.-B. Louvet. (Méme séance. )

« Ce n'est pas moi qui viens appuyer la proposition de Buzot; c'est l'immortel fondateur d'une république fameuse; c'est le père de la liberté romaine, Brutus ! (Mouvement.) Oui, Brutus et son discours, prononcé il y a plus de deux mille ans, est tellement applicable à notre situation actuelle qu'on croirait que je l'ai fait aujourd'hui. (L'Assemblée est agitée ; interruption.)

>>

Cependant veuillez d'abord souffrir encore un mot de moi. Las de la tyrannie, le peuple romain venait de jurer haine éternelle à la royauté; il venait de chasser son despote, Tarquin le superbe, et, jaloux de sa liberté naissante, il la sentait compromise par la seule présence de quelques Tarquins restés au milieu de lui.

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» Brutus aussitôt assemble ce peuple si digne de la République, et devant lui, s'adressant à son collègue, neveu de Tarquin... Français, je jure que c'est Brutus qui parle; je ne suis que son interprète fidèle; écoutez attentivement Brutus! « Quoiqu'il n'y ait rien à craindre actuellement pour la liberté, on ne saurait prendre trop de précautions afin de » l'assurer : il m'est pénible d'affliger un collègue; mais l'inté»rêt de quelques uns ne saurait balancer l'intérêt de tous. Le peuple romain ne croit pas avoir recouvré pleinement sa » liberté lorsqu'il voit le sang de ses rois odieux subsistant dans » Rome, et même revêtu d'une grande portion de pouvoir; » c'est un obstacle dangereux à la liberté. Descendant de Tarquin, délivre-nous de cette crainte : peut-être est-elle >> vaine et mal fondée; mais enfin elle inquiète les amis de la République! Nous le savons, nous l'avouons; tu as contribué » à chasser les rois : achève ce bienfait; ôte du milieu de nous jusqu'à leur fantôme, trop juste sujet d'alarme! Le peuple » romain est juste; il ne te ravira pas tes biens. Te plaît-il de » les laisser, il les tiendra sous sa sauvegarde; il ̊ t'en fera » passer les produits : te convient-il mieux de les emporter, tu » le peux... Mais quitte la ville; pars à l'instant; pars! Les citoyens de Rome imaginent que la royauté ne sortira d'ici parfaitement qu'avec le dernier de la famille des Tarquins., (Agitation, rumeur.)

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Ainsi parla Brutus ! Et qu'il me soit permis de faire entre la France et Rome, entre les Tarquins et les Bourbons un rapprochement que je pourrais étendre, mais que j'abrégerai. » (Nouvelle interruption; on demande l'ordre du jour : la majorité obtient que Louvet soit entendu.)

La république romaine était dans ses premiers jours: la nôtre vient de naître. Des rois voisins commençaient à inquiéter Rome: plusieurs despotes encore puissans, nos ennemis déclarés, nous menacent de leurs armes, moins redoutables que les guinées corruptrices de quiconque nous abuse d'une fausse neutralité. Le bruit de la mauvaise conduite des Tarquins s'était répandu dans quelques coins de l'Italie : la renommée des forfaits de la maison Bourbon remplit le monde. Collatin était le neveu du tyran : Philippe, naguère encore tu pouvais te croire un de ces êtres privilégiés qu'au temps de notre idolâtrie servile nous appelions par excellence un prince du sang! Collatin avait puissamment contribué à chasser Tarquin le superbe : on prétend que tu as aidé en quelque chose à la chute de Capet le traître. Quelques uns paraissent penser qu'ils ont eu le pouvoir de te faire représentant du peuple : lui, par le choix libre, incontestablement libre des citoyens, il occupait une fonction non moins respectable; il était consul. A la tête de la jeunesse romaine il avait avec Brutus partagé l'honneur de mettre en fuite le despote: tes enfans conduisent contre les barbares nos enfans vainqueurs. Il devenait l'objet des troubles naissans : Philippe, je te le déclare, tu jettes au milieu de nous les défiances, l'inquiétude, le germe de toutes les discordes! Il eut le bon esprit de ne pas attendre le décret du peuple romain : tu nʼattendras pas le nôtre si tu es l'ami vrai de la liberté ; mais si toi et les tiens vous n'avez été que ses hypocrites flatteurs, nous aurons le regret de n'avoir pas rendu deux mois plus tôt ce décret salutaire.

>>

Tarquin Collatin ne l'attendit pas; lui-même il s'imposa la peine du malheureux hasard qui l'avait fait naître l'héritier de l'un de ces usurpateurs insolens, de ces brigands titrés vulgairement appelés rois; lui-même il essaya de se régénérer! Il pacifia la république; il devint l'ami de Rome en quittant son territoire. Il n'attendit pas le décret, et néanmoins le décret fut porté. Le peuple romain, actif et défiant à l'excès dès qu'il s'agissait de la liberté, rendit dès le lendemain, contre tous les Tarquins sans exception, le décret d'expulsion.

Représentans d'un peuple à peine délivré de la servitude, la tranquillité de l'intérieur n'est peut-être qu'à ce prix! Etonné de voir nos affaires, à mesure qu'elles succèdent au dehors, empirer au dedans; fort de l'autorité d'un grand homme, fort de l'exemple d'un peuple qu'il affranchit, je vous invite à renouveler un des plus fiers décrets de Rome au jour de ses vertus! C'est d'après la motion de Brutus que je reproduis l'article

suivant :

» La Convention nationale ordonne à tous les individus de

la famille des Bourbons, à l'exception de la femme, de la sœur et des enfans de Louis Capet, sur le sort desquels elle se réserve de prononcer, de quitter le territoire de la République et celui qu'occupent ses armées vingt-quatre heures après le jugement du ci-devant roi. »

» Je demande en outre que par un décret spécial les biens de Philippe, de sa famille, et ceux du ci-devant prince Conti, soient mis sous la sauvegarde du peuple français.

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L'agitation de l'Assemblée s'accroît. La motion inattendue de Buzot trouvaient de nombreux opposans, inquiets du secret motif qui avait pu la faire produire si subitement; mais, n'étant point préparés, ils ne pouvaient encore la combattre que par des murmures, étouffés sous les applaudissemens de ceux qui avaient résolu de la faire adopter sans discussion. C'est en vain le décret porBréard invoque que tant qu'après le jugement de Louis la Convention s'occupera du sort de sa famille : à Louvet succède Lanjuinais, qui vient encore appuyer la motion en rejetant tout délai.

Lanjuinais. « Il sera toujours puéril de prétendre retarder, écarter les plus grandes questions de droit public par des fins de non recevoir, par de misérables chicanes; ce n'est point avec de pareilles armes qu'il faut combattre quand il s'agit de l'intérêt public. L'expulsion de la famille des Tarquins, ou celle de la famille royale, doit-elle être à présent traitée ? Oui, elle doit l'être, puisque cette famille est dénoncée comme le foyer, comme la cause de tous les troubles : il ne faut point ajourner la destruction de cette cause, qui peut porter atteinte aussi essentiellement au salut de la République... Une voix: Commencez par le chef! agitons son jugement!) » Je vois ici que d'un côté on hait sincèrement la royauté, et de l'autre le roi ; et je ne suis pas étonné d'entendre demander la tête du ci-devant roi, car cette tête, toute déshonorée qu'elle est, est peut-être encore un obstacle aux projets des ambitieux.

» Décrétez la motion salutaire, la motion inévitable qu'on vous a soumise, et tout ce qui suivra le jugement que vous devez porter n'aura plus rien qui effraie les amis de la liberté, et ceux qui nous épouvantent seront exclus à jamais de la domination!

» Vous rappellerai-je un fait important, et qui tient à cette grande question? Oui, le salut public l'exige. Comment se sont faites les élections populaires de Paris, dont le dernier député se trouve être Egalité? Sous la hache des nouveaux

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