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plus, elle est forcée de multiplier les emplois pour que, dans la nation, un plus grand nombre de membres soit appelé à profiter des bénéfices de l'industrie gouvernementale, et les frais augmentent en conséquence. L'accord d'ailleurs ne dure guère dans la nation; il se forme des partis tour à tour vainqueurs, tour à tour appelés au gouvernement, et qui, après chaque lutte, exaspérés et avides de jouissances, cherchent à élargir leur part de butin par la création de nouveaux emplois et une rétribution plus forte des anciens. Plus tard, ce qui n'était que le jeu naturel du « spoils system » est formulé en doctrine. On étend les attributions de l'Etat, on double les cadres de l'administration pour satisfaire à des devoirs nouveaux, et un jour on voit la nation tout entière occupée à pourvoir à l'existence de toute la nation. Les exploitants sont trop nombreux, trop payés: cela doit conduire infailliblement à la banqueroute.

Comment sortir de cette situation? Par la force, par la Révolution? Ce serait une cause de recul pour l'humanité. Car l'avenir, l'histoire le laisse deviner, l'avenir, peut-être très lointain, est à la paix. Et après une révolution, même si la concorde se rétablit, la paix n'en a pas moins été d'autant retardée. L'issue est donc indiquée : on sortira de cet étrange système par l'évolution lente et naturelle des institutions.

Le mal signalé était celui-ci la nation tout entière est gouvernement. On n'y remédiera pas en revenant aux systèmes de l'ancien régime, au gouvernement de la nation par un seul. Non. On tendra à la diminution graduelle des devoirs de l'État et, par suite, des charges financières de la nation. On reviendra à l'entreprise, mais tout autrement entendue. On fera disparaître les maisons politiques d'entreprises, et l'on aura les sociétés politiques d'entreprises. La supériorité de la forme dite à l'entreprise est dans la division du travail, dans la spécialisation, dans l'unité de direction et dans l'intérêt de l'entrepreneur. Il se formera des sociétés, des établissements politiques, qui vendront à la société de la sécurité, de la liberté, de la tutelle, etc. Et qu'on ne dise pas que cela est impossible. Par la puissance de l'association, tout est possible. Dès à présent on vend du transport, de la chaleur, de la lumière. Les sociétés politiques emploieront leur capital en forteresses, en armées, en prisons. Elles auront à cet égard tout pouvoir. En revanche, elles subiront la responsabilité pécuniaire de leurs actes, et elles auront des attributions strictement limitées.

Les mêmes contrats qui se feront avec l'État se feront ensuite avec le département, avec la commune. Ce sera le régime de l'administratration privée. Aucune charge financière pour l'État. Un autre avantage, c'est que les sociétés pourront faire avec les individualités poli

tiques des contrats convenant à chacune d'elles. La loi protège d'une manière uniforme, par l'entremise du Gouvernement, toutes les manifestations de l'activité humaine. Il y a trop de tutelle pour les individualités supérieures et moyennes; il n'y en a pas assez pour la multitude des individualités inférieures. Dans l'avenir, on arrivera à la spécialisation et à la diversification de la loi.

Ainsi comprises, les sociétés politiques excluent l'unité; elles sont contraires au dogme de l'indivisibilité. Avec elles, on ne comprend plus, par exemple, la guerre de la Sécession. Le Nord n'a pas le droit de retenir le Sud; il n'y a plus de servitude politique. Est-ce que cela supprime la nationalité, la patrie, le patriotisme? Nullement. Cette évolution ne pourra s'accomplir que le jour où les nations ne seront plus menacées dans leur existence. Ceci posé, l'amour de la patrie est indépendant de la provenance des services politiques comme de celle des produits agricoles ou industriels. Et si la servitude politique, nécessaire autrefois à l'existence des nations, perd son utilité ou devient une cause d'affaiblissement, ne sera-ce point faire acte de patriotisme que de les en affranchir?

Telle est, dans ses traits essentiels, la conception que s'est formée M. de Molinari des gouvernements de l'avenir. Présentée ainsi brièvement, sans les mille raisonnements ingénieux ou savants dont elle est étayée, elle est faite pour surprendre. Plus d'un criera à la chimère. La foule des gens à courte vue se défient volontiers de l'élite prévoyante. Ce qu'on ne saurait nier, c'est que le progrès soit fatal et nécessaire la masse et l'autorité des arguments produits par M. de Molinari conduisent à croire que ce progrès se réalisera de la manière qu'il indique. J. C.

La Dette publique, histoire de la Rente française, par J.-M. Gorges, 1 vol. in-18 de 390 pages, Paris, 1884, Guillaumin et Charavay.

M. Gorges, que ses hautes fonctions de sous-directeur de la Dette inscrite ont mis à même de connaître admirablement l'histoire, le rôle et la répartition des rentes françaises, agacé par les paradoxes et les erreurs que les ignorants et les pseudo-savants émettent chaque jour sur ce sujet, a voulu faire, une bonne fois, justice des unes et des autres. « Il nous a paru, dit-il, intéressant de rechercher comment s'est formé, à l'origine, le contrat solennel qui lie l'État envers ses prêteurs; de suivre, à travers l'histoire, la destinée du pacte fondamental...; de montrer ensuite cet amas confus de contrats indigestes, de créances disparates, se fondant, sous la Convention, en un tout simple et homogène, le Grand-Livre; enfin d'observer les modifications.

de la dette sous cette forme nouvelle, et la marche graduelle de la vulgarisation de la rente, passant dans le mouvement de la spéculation par la création de l'inscription au porteur, pénétrant dans les masses laborieuses par la consolidation des Caisses d'épargne, et par les souscriptions publiques. »

Soit dit en passant, ces quelques lignes, empruntées à la préface, sont un de ces résumés modèles que peuvent seuls donner de leur ouvrage les auteurs pénétrés de leur sujet et qui ont écrit en vue d'un but démonstratif bien déterminé. M. Gorges a tenu parole à lui-même et aux lecteurs dans trois parties distinctes il a étudié les divers points de son programme: origines de la dette publique, œuvre de Cambon, transformation du Grand-Livre.

Que l'une de ces trois parties, la première, soit peut-être un peu trop anecdotique, que M. Gorges ait cédé au désir légitime de faire œuvre d'historien, en même temps que de financier, c'est là un mince défaut qui n'enlève rien à la valeur de l'ouvrage; cet ouvrage se tient dans une forte cohésion, avançant sûrement à l'étude des difficultés soulevées, et faisant enfin la pleine lumière sur des questions pratiques et souvent ignorées. Ce sont là des mérites qu'on ne saurait trop louer. M. Gorges a fait le livre qu'il devait et qu'il pouvait faire. C'est une très heureuse application de la maxime: The right man in the right place ». J. C.

Essai sur l'inégalité des races humaines, par le comte de Gobineau, 2 vol. in-18. Paris, 1884, Firmin-Didot, 2 édit.

C'est là une œuvre considérable, digne du savant auteur de la Renaissance en Italie. Ancien diplomate, ayant beaucoup voyagé, observateur par nature, affamé de vérité, M. de Gobineau devait arriver, après des études un peu disséminées, à faire une sorte de synthèse de ses observations et de ses théories dans une théorie plus vaste. Il a voulu enchaîner l'histoire d'aujourd'hui à celle d'hier; l'antiquité la plus proche, il l'a trouvée liée intimement à une antiquité toujours plus reculée; les civilisations ne meurent pas, elles sommeillent; après la Chaldée trop vieillie, la Perse jeune et vigou-reuse; après la Grèce décrépito, Rome virile, et plus tard les races teutoniques. Mais quel est le lien, où trouver la relation commune?« D'inductions en inductions, dit M. de Gobineau, j'ai dù me pénétrer de cette évidence que la question ethnique domine tous les autres problèmes de l'histoire, en tient la clef, et que l'inégalité des races dont le concours forme une nation suffit à expliquer tout l'enchaînement des destinées des peuples..... Après avoir reconnu qu'il est des races fortes et qu'il en est de faibles, je me suis attaché à observer de

préférence les premières, à démêler leurs aptitudes, et surtout à remonter la chaîne de leurs généalogies. En suivant cette méthode, j'ai fini par me convaincre que tout ce qu'il y a de grand, de noble, de fécond sur la terre en fait de créations humaines... ramène l'observateur vers un point unique, n'est issu que d'un même germe, n'a résulté que d'une seule pensée, n'appartient qu'à une seule famille dont les différentes branches ont régné dans toutes les contrées policées de l'univers. L'exposition de cette synthèse se trouve dans ce livre. >

Le tableau tout entier est divisé en six parties, en six livres : I. Recherche et exposition des lois naturelles qui régissent le monde social; II. Civilisation antique rayonnant de l'Asie centrale au sud-ouest; III. De l'Asie centrale sur le sud et le sud-est; IV. Civilisations sémitisées du sud-ouest; V. Civilisation européenne sémitisée; VI. Civilisation occidentale.

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La conclusion de M. de Gobineau est curieuse et puissante. Devançant les temps et peut-être un nombre énorme d'années (il dit environ six mille ans), il prévoit que ces races humaines, parties de l'unité, viendront un jour à l'unité, et cette unité qui existait à l'aurore de leur vie en verra, pour des raisons physiologiques, le terme. « Les nations, non, les troupeaux humains, accablés sous une morne somnolence, vivront dès lors engourdis dans leur nullité, comme les buffles ruminants dans les flaques stagnantes des marais Pontins... Cet état misérable ne sera pas de longue durée; car un effet latéral des mélanges indéfinis, c'est de réduire les populations à des chiffres de plus en plus minimes... Du même pas que l'humanité se dégrade elle s'efface... La religion ne nous a pas promis l'éternité; la science, en nous montrant que nous avons commencé, semblait toujours nous assurer que nous devions finir. Il n'y a donc lieu ni de s'étonner, ni de s'émouvoir en trouvant une confirmation de plus d'un fait qui ne pouvait passer pour douteux. »

Telle est la conception générale de ce livre. Puissant par la science et par les études personnelles, suggestif au plus haut point par le nombre des questions qu'il soulève, il est bien tel qu'on devait l'attendre de l'esprit élevé, religieux et philosophique de son auteur. Il a eu la bonne fortune d'être beaucoup lu et discuté du vivant de l'auteur, son succès ne s'est pas épuisé avec la première édition. Un pareil livre fait honneur à la science et à la pensée françaises.

Politische Geschichte der Gegenwart, par Wilhelm Müller, professeur à Tübingen, tome XVII, année 1883; un vol. in-8°. Berlin, 1884, Julius Springer.

Dans un volume de 268 pages, M. le professeur Müller nous retrace l'histoire des principaux événements de l'année 1883, en Europe et en Amérique. La publication qu'il dirige en est à sa dix-septième année, et il suffira de quelques indications pour préciser le genre d'intérêt qu'elle présente.

L'Allemagne occupe naturellement le premier rang, l'auteur consacre à son pays 121 pages; puis vient la France avec 32, l'Angleterre, 21, l'Autriche 25, l'Italie 9, la Russie 5, la Turquie 19, l'Espagne 3, la Belgique et la Hollande 4, la Scandinavie 6, la Suisse 7, et l'Amérique 6.

Pour la France, voici l'analyse des faits cités et commentés: Mort de Gambetta et de Chanzy; - Procès du prince Krapotkine; - Correspondance avec l'Angleterre à propos de l'Égypte; - Manifeste du prince Napoléon, projets contre les princes d'Orléans, proposition de M. J. Fabre, entrée au ministère du général Thibaudin, ministère Ferry, décret contre les princes, opposition dans le Sénat contre ce décret; - Débats sur la révision de la constitution; Mouvements

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et agitations des anarchistes; - Projet de loi sur la réforme de la magistrature; Conflits avec les évêques à propos des manuels d'enseignement civique; Loi sur les chemins de fer; - Politique coloniale de la France: les Français au Congo, à Madagascar; expédition du Tonkin, origines du conflit, défaite des Français à Hanoï, traité de Hué, déclaration du ministère sur cette expédition, prise de Sontay; Remaniements dans le ministère; Mort du comte de Chambord; Elections aux Conseils généraux, Paris hors du droit commun; Budget; Déclaration de M. Ferry sur la révision de la constitution en 1884; - Ambassade française près du Saint-Siège. Tels sont les principaux points relatifs à la France. Ils permettent de juger du reste. Les six pages relatives à l'Amérique contiennent une trentaine de faits du plus haut intérêt : lutte du Chili et du Pérou, gouvernement du général Iglesias, Congrès des États-Unis, Libreéchangistes et protectionnistes, etc. Trois tables, analytique, chronologique et alphabétique permettent de consulter le volume avec fruit. Il est rédigé avec une impartialité suffisante, en s'inspirant volontiers des organes les plus autorisés de chaque pays. Et, malgré son peu d'étendue, bien qu'il n'entende, à cause de cela même, rivaliser ni avec les Années politiques de chaque pays, ni avec notre ancien et si regrettable Annuaire des Deux-Mondes, ni avec l'Annual-Register, j'ai un véritable plaisir à le recommander. Tout au plus, pourrait-on désirer une quatrième table table des principaux documents publiés dans chaque pays, relativement à la politique, aux finances, etc. Ce desideratum pourrait être facilement rempli, et permettrait un éloge sans réserve.

J. C.

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