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voir manquent plus que très souvent d'arriver. Kant d'ailleurs a bien vu lui-même, p. 25, R. 28, qu'on n'a pas un seul exemple authentique d'une résolution inspirée par le seul devoir; et p. 26, R. 29, il est impossible, dit-il, de découvrir, en consultant notre expérience, un seul cas bien certifié, où une action conforme au devoir ait eu pour principe un que la pensée du devoir. De même, p. 28, R. 30 et 49, R. 50. En quel sens donc peut-on attribuer à une telle action un caractère nécessaire? Il convient de donner toujours aux paroles d'un auteur le sens le plus favorable : nous voulons donc bien l'admettre, sa pensée au fond, est qu'une action conforme au devoir est nécessaire objectivement, mais accidentelle subjectivement. La chose est vite dite; reste à se comprendre. Où donc est l'objet de cette nécessité objective, dont les effets le plus souvent, peut-être toujours, sont nuls dans la réalité? Avec toute ma bonne volonté à interpréter Kant, je ne puis m'empêcher de le dire, cette expression qui est dans la définition, « la nécessité d'une action, est tout simplement une périphrase habilement déguisée, très-contournée, pour remplacer le mot: Il faut. Et la chose saute aux yeux, quand on remarque, dans la même définition, le mot respect, employé là où on attendrait soumission. Ainsi dans la remarque, p. 16, R. 20, on lit: Le respect signifie simplement la subordination de ma volonté à l'égard d'une loi. La détermination directe produite par la loi, accompagnée de conscience, se nomme respect. » En quelle langue? Ce qu'on nous décrit là, s'appelle en bon allemand soumission. Mais le mot respect ne saurait avoir été mis là, si mal à propos, à la place du mot soumission, sans quelque cause; il y a là-dessous quelque intention, et cette intention évidemment, la voici : c'est de dissimuler l'origine de la forme impérative et de la notion de devoir, et comment elles naissent de la morale théologique. C'est ainsi, nous l'avons vu, que l'expression: nécessité d'une action, a été choisie pour tenir lieu du: il faut, uniquement parce que ce dernier est le mot du Décalogue. La définition cidessus, que le devoir est la nécessité d'une action, quand cette

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nécessité résulte du respect de la loi, » si on la mettait en un langage direct et sans sous-entendu, si on levait le masque, deviendrait Le devoir signifie, une action qui nécessairement doit arriver par soumission envers une loi. » Voilà le des

sous des cartes. » (1).

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Et maintenant, la loi, cette pierre fondamentale de l'éthique de Kant! Quelle en est la teneur? Où est-elle écrite? Question capitale. Je remarque ceci d'abord : le problème est double: il s'agit du fondement de l'éthique, et de son principe. Deux choses bien. différentes. Il est vrai que le plus souvent, et parfois non sans dessein, on les a confondues.

On appelle principe ou proposition première d'une morale, l'expression la plus brève et la plus précise pour signifier la conduite qu'elle prescrit, ou, si elle n'a pas la forme impérative, la conduite qu'elle regarde comme ayant par elle-même une valeur morale. C'est donc une proposition qui renferme la formule de la vertu en général, le %,te de la vertu (2). - Quant au fondement d'une morale, c'est le dior de la vertu, la raison de l'obligation, du commandement, de la louange : d'ailleurs, qu'on aille chercher, cette raison dans la nature de l'homme, ou dans des relations extérieures, ou ailleurs, il n'importe. En Éthique comme en toute autre science, on devrait distinguer nettement le ö,tı du dióti. Mais la plupart des moralistes effacent tout exprès cette distinction c'est qu'il est si aisé d'expliquer le ô, et si prodigieusement difficile d'expliquer le diót! Sans doute voilà ce qui les pousse. Ils espèrent dissimuler le côté par où ils sont pauvres à l'aide de leur richesse partielle : ils uniront en une même proposition richesse et pauvreté, et feront une heureuse union entre Ilevia et Пópos (3). A cet effet, d'ordinaire, au lieu d'exprimer le

1. « Des Pudels Kern », mot à mot, le noyau du tour de passe passe. (TR.)

2. 6,7, ce que c'est que........; dióti, le pourquoi de... (TR.)

3. Allusion à un mythe du Banquet, où Platon fait naître le monde de l'union de IIevia (la Pauvreté) avec Ilopo; (le Riche), au milieu

ő,τ, cette chose bien connue de tous, en toute simplicité, on je fait entrer dans quelque formule artificielle, d'où on ne peut le tirer ensuite qu'en manière de conclusion résultant de prémisses données. Là-dessus le lecteur peut se figurer qu'il n'a pas affaire à la chose elle-même sans plus, mais qu'il a atteint le principe de cette chose. C'est ce qu'il est facile de vérifier pour les principes des éthiques les plus connues. Or, pour ma part, je n'ai pas dessein dans la suite de faire de pareils tours; mon procédé sera loyal; je n'essaierai pas de faire servir le principe de l'éthique en guise de fondement de l'éthique, mais bien plutôt de les séparer nettement. C'est pourquoi ce ō,rt, ce principe, cette proposition première, sur la teneur de laquelle au fond tous les moralistes sont d'accord, en dépit des formes si variées qu'ils lui imposent, je veux ici la ramener à une expression, la plus simple à mon sens et la plus pure: Neminem læde, imo omnes, quantum potes, juva (1).» Voilà, en réalité, le principe que tous les théoriciens des mœurs travaillent à fonder, voilà le résultat commun où aboutissent leurs déductions si diverses. C'est là le %,t, dont on cherche encore le diót, la conséquence dont on cherche la raison, enfin la donnée première, à laquelle se rapporte la question, dans ce problème que se pose toute éthique, comme aussi dans celui qui nous est proposé. Résoudre ce problème, ce serait découvrir le fondement vrai de l'éthique, cette pierre philosophale qu'on cherche depuis des milliers d'années. Or cette donnée, ce ti, ce principe, ne peut s'exprimer plus purement que par la formule ci-dessus: on le voit assez par ce fait qu'en face de tous les autres principes de morale, elle joue le rôle d'une conclusion devant ses prémisses: elle est donc le but où tend chacun, et tout autre principe n'est en réalité qu'une paraphrase,

d'un banquet des Dieux; signifiant par là que Dieu par pure richesse de cœur, a fécondé la matière, identique au néant, et ainsi à créé tout. (TR.)

1. «< Ne fais de mal à personne; aide plutôt chacun selon toa pou. voir.» (TR.)

une expression détournée ou ornée, de cette proposition simple. Tel est ce principe trivial et qui passe pour être simple s'il en fut;

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Quod tibi fieri non vis, alteri ne feceris (1); principe incomplet, car il comprend les devoirs de justice, non ceux de charité; mais il est aisé d'y remédier, en répétant la formule, et supprimant la seconde fois le ne et le non. Cela fait, elle arrivera à signifier: Neminem læde, imo omnes, quantum potes, juva » : Seulement elle nous contraint à un détour, et par suite elle se donne l'air de nous fournir le principe réel, le diote de ce précepte: au fond, il n'en est rien de ce que je ne veux pas que telle chose me soit faite, il ne suit nullement que je ne doive pas la faire à autrui. On en peut dire autant de tous les principes, de tous les axiomes premiers de morale proposés jusqu'à ce jour.

Maintenant revenons à notre question: quelle est la teneur de la loi, dont l'exécution se nomme, selon Kant, le devoir; et sur quoi se fonde-t-elle ? Kant, nous allons le voir, a, lui aussi, rattaché ensemble par un lien fort étroit et fort artificiel, le principe avec le fondement de la morale. Qu'on se souvienne ici de cette prétention de Kant, dont il a été déjà question en commençant : de réduire le principe de la morale à quelque chose d'a priori et de purement formel, à un jugement synthétique a priori, sans contenu matériel aucun, sans aucun fondement ni dans la réalité objective du monde extérieur, ni dans la réalité subjective de la conscience, comme serait un sentiment, une inclination, un besoin. Kant sentait bien la difficulté du problème : il dit p. 60, R. 53: Ici, nous voyons le philosophe dans l'embarras: il lui faut trouver un point d'appui qui ne soit fondé sur rien de ce qui existe au ciel ou sur terre, et qui ne soit rattaché à rien.» Raison de plus pour que nous attendions avec impatience, la solution qu'il a luimême donnée; pour que nous regardions avec diligence comment, de rien, va naitre quelque chose de rien, c'est-à-dire, de concepts

1. Hugo Grotius le rapporte à l'empereur Sévère. (Note de l'auteur.) Traduction : « Ce que tu ne voudrais pas qu'on te fit,ne le fais pas à autrui.» (TR.)

purs a priori, vides de toute matière empirique, au sein desquels doit se former ce précipité, les lois de l'activité réelle de l'homme. Singulier phénomène, dont nous avons toutefois un symbole : c'est quand de trois gaz invisibles, azote, hydrogène, chlore, au milieu par conséquent d'un espace en apparence vide, sous nos yeux se produit un corps solide, l'ammoniaque. Je vais exposer le procédé que suit Kant pour resoudre ce difficile problème : j'y mettrai plus de clarté qu'il n'a pu ou voulu y en mettre. L'entreprise est d'autant plus nécessaire qu'il est rare de voir bien interpréter Kaut en ce point. Presque tous les Kantiens se sont persuadé à tort que, pour Kant, l'imperatif catégorique etait un fait de conscience reconnu immediatement. A ce compte, l'imperatif eût été fondé sur un fait d'anthropologie, d'experience (interieure, il n'importe), fondé par consequent sur une base empirique; rien de plus directement contraire à la pensée de Kant: c'est une idée qu'il a combattue à plus d'une reprise. Ainsi p. 48, R. 44: Ce n'est pas par l'experience, dit-il, qu'on peut décider, s'il existe rien de pareil à un tel imperatif categorique. De même p. 49, R. 43: «L'imperatif categorique est-il possible? c'est a priori, qu'il faut s'en enquérir. Car nous n'avons pas le bonheur de pouvoir apprendre de l'experience, qu'il existe en fait. Au contraire, dejà son premier disciple, Remhold, a commis l'erreur en question; dans ses «Contributions à un tableau d'ensemble de la philosophie au commencement du dix neuvième siècle,» 2 livraison,p. 21,il dit ceci: Kant admet la loi morale comme un fait de certitude immédiate, comme un phenomène premier de la conscience morale. » Mais si Kant avait voulu, pour fonder l'imperatif categorique, en faire un fait de conscience, lui donner une base empirique, il n'eût pas manque de le montrer sous cet aspect Orc'est ce qu'il n'a fait nulle part. A ma connaissance, la première mention de l'imperatif catégorique se trouve dans la Critique de la Raison pure (1 éd. p. 802; 5° ed. p. 830): elle y arrive sans que rien l'ait annoncee, sans autre lien avec les idées precédentes qu'un «done» qui n'a pas de raison d'ètre; bref, à l'improviste. La première fois que l'impéSCHOPENHAUER, Morale. 3

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