le secours qu'elle apporte, ils croiraient repousser la main libératrice du Dieu des armées. L'influence qu'elle exerce a quelque chose de si magique, qu'elle éveille les soupçons de cette génération superstitieuse. Il faut qu'elle se rende à Poitiers, afin que les théologiens décident si c'est le ciel ou bien l'enfer qui l'investit de sa puissance. Représentez-vous, Messieurs, des évêques accoutumés à ces procédures inquiètes, je devrais dire saintement difficultueuses, usitées dans l'Eglise, qui, pour rendre ses décisions irréfragables, se fait un devoir des prudentes lenteurs et pousse les précautions jusqu'à la défiance; des légistes que l'habitude de trouver le mensonge sous le masque de la bonne foi a rendus ombrageux; des docteurs vieillis dans les subtilités de l'école, qui suspectent la vérité, pour peu qu'elle paraisse hésiter à travers le dédale de leur obscure logique. L'expérience du clerc le plus érudit, du pratricien le plus délié, de l'argumentateur le plus habile, se serait trouvée mal à l'aise devant un tribunal composé de tels juges. Admirables ressources de la simplicité qui s'appuie sur la foi! la pauvre villageoise paraît sans se troubler devant ce redoutable Aréopage. Pendant plus de deux heures d'une discussion où tous les artifices de la parole sont épuisés pour embarrasser sa droiture, elle étonne ses examinateurs par le bon sens, l'à-propos, la dignité de ses répliques. Elle fait plus que les étonner, s'il faut en croire la chronique: elle les ébahit. Elle a réponse à tout. « Tu dis, lui objecte un des juges, que la voix t'a dit que <«< Dieu veut délivrer le peuple de France de la calamité où «< il est; or, s'il veut en effet le délivrer, il n'est pas besoin << de gens d'armes. » << En mon Dieu, repart-elle, les gens d'armes batailleront, <«<et Dieu donnera la victoire. >> On lui demande de prouver par des signes qu'elle vient effectivement par l'ordre du Seigneur. « En mon Dieu, « s'écrie-t-elle, je ne suis pas venue à Poitiers pour faire <«< signes, mais conduisez-moi à Orléans, je vous y mon<«<trerai des signes pourquoi je suis envoyée. Qu'on me << donne des gens d'armes, en telle et si petite quantité qu'on « voudra, et j'irai. » Pour la déconcerter, on emprunte à la sainte Écriture des citations savantes qui semblent condamner sa généreuse audace. Elle écoute jusqu'au bout avec un respectueux silence, et puis, sans rien perdre de son imperturbable sang-froid: « Ecoutez, leur dit-elle, je ne saist << ni A ni B; je viens de la part du roi des cieux pour faire << lever le siége d'Orléans et pour mener le roi à Reims pour <«<< son couronnement et son sacre, mais il faut auparavant <«< que j'écrive aux Anglais et que je les somme de partir. << Avez-vous du papier et de l'encre ? » Et sur-le-champ elle dicte un de ces manifestes qu'on dirait échappé à la plume d'Isaïe, quand, par l'ordre de Dieu, il sommait l'Égyptien de laissér respirer son peuple. Cette manière toute céleste de parler et d'agir dissipe tous les doutes. Les commissaires chargés de l'examen déclarent qu'ils reconnaissent dans ses paroles et dans son fait le cachet de l'inspiration, qu'évidemment le bras de Dieu est avec elle, et que, sans plus tarder, il faut qu'on la conduise au siége d'Orléans. Va donc maintenant, magnanime guerrière, va dans ta force, et tu délivreras ton pays. Vade in hac fortitudine tuâ et liberabis Israel.* Elle va effectivement, Messieurs, comme allaient Moïse et Josué, sous les auspices du Seigneur. La croix, comme autrefois l'arche d'alliance, fraie la route aux combattants; à la place des Lévites, je vois des confesseurs qui, en purifiant les soldats, centuplent leur courage et, au lieu de la manne, qui ne nourrissait que les corps, j'aperçois dans le camp la sainte Eucharistie qui, en allumant dans les âmes la soif de l'immortalité, enfante des héros. Entin elle est sur le théâtre où le ciel la voulait. Alors commence une série de prodiges dont on ne trouve de modeles que dans nos livres saints. Tout change de face à son aspect. Les assiégés ont senti leur courage s'enflammer d'une nouvelle ardeur. La terreur a passé dans le camp des Anglais. Ces murs, que tous les jours ils insultaient en dépit des héros qui en avaient la garde, ils n'osent plus en approcher. On dirait qu'une puissance invisible les enchaine dans leurs bastilles. Elle est l'arbitre de la victoire. Guidés par elle, les Français n'out qu'à se montrer pour mettre l'ennemi en fuite ; privés de son concours, ils cèdent au premier choc. On dirait que la fatalité, qui les a poursuivis si longtemps, a repris son empire. Une fois, ils ont osé, dans leur téméraire présomption, frauder les droits de son apostolat, et demander à leur propre valeur des succès reservés à son influence personnelle. Les voyez-vous, comme ils reculent devant l'Anglais ! Il les refoule, il les égorge. L'entrée de la porte Bourgogne est trop étroite: ils s'y heurtent, ils s'y entassent. Mais voici que Jeanne d'Arc, qui sommeillait, s'est éveillée d'inspiration : « Où sont ceux qui me doivent armer? s'écrie« t-elle. Le sang de nos gens coule par terre. En mon Dieu, « c'est mal fait; pourquoi ne m'a-t-on pas plus tôt éveillée ? « Mes armes! qu'on apporte mes armes ! » a Comme elle allait sortir, elle rencontre sou page : « Sau« glant garçon, vous ne me disiez pas que le sang de France « fùt répandu. » Un blessé, qu'on rapporte du champ de bataille, s'offre sur son passage. Elle apprend que c'est un Français. «< Ja<< mais, dit-elle, je n'ai vu sang de Français que les che<<< veux ne me levassent en sur. >> Elle accourt, par des voies qui lui sont inconnues, sur le théâtre du danger. Pour rallier les fuyards, elle montre sa bannière, elle se précipite, à leur tête, au milieu des Anglais; elle les culbute, elle les disperse, comme le soleil chasse les nuages à la fin d'une courte tempête, et après trois heures de prouesses, elle s'empare du fort Saint-Loup, sous les yeux de Talbot, qui eût affronté une armée, mais qui n'ose pas entrer en lutte avec la Pucelle. La prise de la bastille des Augustins, qu'elle assiège et emporte d'assaut, n'est que le glorieux prélude de son plus beau fait d'armes. Jamais, effectivement, sa foi ne parut avec plus d'éclat ; jamais non plus son bras ne fit d'aussi grandes choses qu'au combat des Tournelles. C'est le dernier rempart du despotisme anglais; c'est aussi le plus redoutable. Le danger d'un assaut paraît si menaçant, que les chefs de l'armée ont résolu d'attendre de nouvelles forces. Jeanne vient les trouver : « Vous avez été en votre conseil, << leur dit-elle avec l'accent d'une noble colère, et moi j'ai été << au mien; mais croyez que le conseil de mon Seigneur tien<< dra et s'accomplira, et que le conseil des hommes périra. » Pour captiver sa belliqueuse ardeur, on fait fermer les portes. Le peuple, qui ne veut pas qu'on lui enchaîne sa Providence, les lui ouvre d'autorité. Aussitôt que le fleuve est franchi, elle court à la bastille. Alors commence cette terrible lutte, dont le souvenir est resté si fameux dans les fastes de notre histoire. Pour donner la mesure de courage que déployèrent de leur côté nos magnanimes ancêtres, qu'il me suffise de rappeler ce que dit la chronique : « Qu'ils combattirent ce jour-là «< comme s'ils s'étaient crus immortels. >> Un instant, malgré leurs efforts, le succès se montre rebelle; à tenter l'impossible, l'ardeur de nos guerriers s'émousse ils vont plier. Jeanne ne prend conseil que de son dévoûment. Elle s'élance la première à l'assaut. Une flèche, lancée par l'ennemi, la frappe et la renverse. Dieu! protégez la France! Elle échappe, comme Épaminondas à Mantinée. Ses compagnons, en s'exposant pour elle, croient s'exposer pour la patrie. Comme lui, elle arrache de sa propre main le trait de sa blessure. « Amis, c'est de la « gloire, s'écrie-t-elle, qui coule de cette plaie. »> Dites, Messieurs, si le héros de Thèbes, si vanté dans l'histoire, a dit, à son heure dernière, quelque chose de plus sublime. On lui propose de charmer la souffrance par des paroles que la superstition emprunte à la magie. « J'aimerais mieux « mourir, répond-elle, que de faire quelque chose que je «saurais être un péché. » Dites, Messieurs, si les saints les plus admirables ont poussé au-delà les scrupules de la foi et la délicatesse de la vertu. Sa blessure pansée, elle se retire un moment à l'écart, pour adresser à Dieu une courte prière, et cependant son etendard, confié à un homme d'armes, marche en avant. « Donnez-vous de garde, a-t-elle dit, quand la frange de « mon étendard touchera le boulevard. Jeanne, lui dit « un guerrier, elle y touche. Tout est vôtre, s'écria-t« elle, et y entrez. » Et, la première encore, « elle remonte « à l'assaut, et aussi aisément, dit l'historien, comme par un degre, et no savaient, ses compagnons, considérer comment il se pouvait faire ainsi, sinon par un ouvrage comme divin of tout extraordinaire. » Les Français sont dans la bastille; |