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CHAPITRE X

DE L'ESPRIT, DU CARACTÈRE ET DES HABITUDES

DE LA PUCELLE.

En représentant la Pucelle comine une orgueilleuse, le chancelier de France mentait avec impudence; car, après des succès qui eussent tourné la tête à tout homme surtout d'humble condition, elle en reportait toute la gloire à Dieu. Sa mère, persuadée de l'efficacité de la prière, l'y avait tellement accoutumée dès son enfance, que les plus grands travaux de la guerre, qu'aucune fatigue ne lui firent négliger cet acte religieux. « Combien il inspire de bonnes actions, dit Origène! Combien il empêche de crimes! L'expérience scule l'apprend... Non-seulement le sage se plaît dans la prière; il s'y délecte!... »

Jeanne ne demanda jamais rien, «fors bonnes armes, bons chevaux, et de l'argent pour payer les gens de son hostel. » Elle ne songea même point à enrichir ses parents ni ses frères : ce qui lui eût été facile, puisque ce fut elle qui ramena l'opulence au trésor royal.

savoir ses chevaux 2,

Leur modique patrimoine ne fut point augmenté; et l'on verra même qu'ils le dissipèrent à cause d'elle; de sorte que sa mère notamment n'eut pour soutenir ses vieux jours qu'une modique pension de la ville d'Orléans. La Pucelle se trompa en disant, dans l'un de ses interrogatoires, « qu'elle croyait que ses frères eurent, lors de sa prise, tout son bien son épée et autres objets valant plus de douze mille écus 3. » Ces objets ont sans doute été retenus par Flavy pour la solde des gens et des troupes de la Pucelle, puisque, si les frères de celle-ci l'avaient obtenue, leur mère en eût eu sa part; et eux-mêmes n'eussent pas été réduits pour vivre à se contenter de modestes places et de petites subventions.

Dans sa charité sans bornes, la Pucelle ne faisait aucune épargne; elle distribuait et faisait distribuer des aumônes énormes. Souvent on l'exhortait à ne point tout donner. «J'ai été envoyée pour la consolation des

1. Prout credit. Interr. du 27 février 1431.

2. Elle avait habituellement cinq chevaux de bataille et sept de voyage, tous de première qualité.

3. Quæ valent plusquàm XII millia scutorum. L'écu était une pièce d'or du poids d'environ 13 francs de nos jours. La puissance d'acquisition de ce métal se montait au sextuple de ce qu'elle est aujourd'hui, parce qu'il était à l'argent comme 11 1/2 à 1, tandis qu'il est comme 15 1/2 à 1. Douze mille écus équivalaient donc à environ neuf cent quarante mille francs d'aujourd'hui.

indigents et des malades,» répondait-elle sans affectation. Elle aimait et caressait tous les enfants. Elle s'opposa toujours aux mauvais traitements usités dans ce temps-là contre les prisonniers pauvres : elle exigeait que ses soldats partageassent leurs vivres avec

eux.

Les Anglais n'ont jamais respecté le droit des gens; par exemple, à Azincourt, Henri V fait massacrer, sur une simple panique ou soupçon, deux mille prisonniers de guerre. En 1429, les lieutenants de son successeur retiennent et veulent faire brûler un parlementaire; sur la fin du dix-huitième siècle même, ce gouvernement force l'épée dans les reins des soldats français, ses prisonniers de guerre, à combattre contre leur patrie à Quiberon. Je ne mentionnerai que pour mémoire les horribles traitements qu'il infligea jusqu'en 1814 aux autres prisonniers tombés entre ses mains. Ces malheureux, entassés sur des pontons infects, étaient vêtus de quelques haillons, même en hiver, et nourris d'aliments insuffisants et avariés, encore trop bons pour ces chiens de Français. On volait même librement l'argent envoyé par leur famille. Leurs gardiens les assassinaient ou les mutilaient à coups de sabre, par passe-temps. Une fois, le gouvernement, obligé de poursuivre quelques assassins qui en s'amusant égorgèrent huit prisonniers, fit en sorte

que le jury de Londres les acquittât, en déclarant que c'était un homicide justifiable '.

Jeanne, au contraire, respecta toujours le droit des gens, comme le droit naturel : elle soignait également tous les blessés de chaque parti. Elle exécrait la corruption et la trahison. Jamais elle ne voulut qu'on gagnât les généraux de l'ennemi, comme on l'a toujours fait avec tant d'impudence: jamais, même en état de guerre déclarée, elle ne tira le canon sans sommations; jamais elle ne voulut solder chez l'ennemi, ni chez les peuples voisins, ni même en France, les organes influents pour la prôner, ni pour propager le mensonge ou le sophisme. Aujourd'hui ces bassesses s'exercent librement, sans contrôle, sans critique officielle ou écrite on vend sa conscience, son passé, ses antécédents pour de l'or; on se couvre d'un masque hypocrite, pour tromper des peuples ignorants. Comme on s'est déjà maintes fois vendu à des partis contraires, on sera encore au plus offrant ou au plus puissant, à moins que la main vengeresse du peuple ne se montre...

Quoique, sous le règne de Charles VII, le paysan français fût pillé par les hommes d'armes et archers de sa nation, comme par l'ennemi, la Pucelle ne toléra jamais le pillage, autre que celui du butin de l'ennemi,

1. L'Angleterre vue à Londres, par le général Pillet, témoin oculaire, chap. 25 à 48 (1815).

qui fut toujours légitime. Dès son enfance, elle avait gémi de la pauvreté du cultivateur, et du désespoir d'une famille entière, quand une avide soldatesque venait lui enlever son pain acquis par tant de sueurs. Et pour donner l'exemple, elle refusait sa part d'aliments ainsi dérobés un jour même elle fit châtier un soldat écossais qui l'invitait à en manger. Il y eut dans cette discipline autant de politique que de justice et d'humanité; car quand le peuple est foulé par les soldats de son gouvernement, il ne tient plus à celui-ci, et préfère même l'étranger qui lui promet un sort meilleur.

Jeanne était d'une sobriété pour ainsi dire surhumaine, surtout à son âge, dans ses fatigues incroyables. On l'a vue souvent des journées entières à cheval, sans en descendre pour aucun besoin physique. Mais elle avait une grande élégance dans son costume, qu'elle poussait même jusqu'à la recherche, soit par calcul, soit par l'amour naturel du beau; ce qui contrastait étrangement avec sa sobriété, la grossièreté de ses aliments, et sa dureté pour le logement et le coucher.

Sa prononciation était nette et pure, et son style élégant et vif. Elle ne put jamais s'habituer à voir une langue humaine dans celle des Anglais. Elle riait comme un enfant lorsqu'elle l'entendait parler; et souvent elle en répétait certains mots pour se moquer.

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