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ras en empoisonnant l'accusée; car il comprenait, qu'en l'acquittant, il s'exposait au courroux de l'Anglais, et qu'en la condamnant, il porterait presque seul le poids d'une monstrueuse injustice. En niant que Jeanne eût mangé de la carpe qu'il envoya, son acolyte ne justifie-t-il point les soupçons d'empoisonnement.

CHAPITRE VII

MONITIONS ADRESSÉES A LA PUCELLE.

Pour calmer l'impatience des Anglais qui se plaignaient de la lenteur du procès, parce qu'ils en soldaient à la journée tous les agents, les deux juges, accompagnés de sept assesseurs, se transportèrent, le 18 avril, en la prison de Jeanne, et lui adressèrent une première monition ou exhortation dite charitable.

« Il me semble, répond l'accusée, vu la maladie que j'ai, que je suis en grand péril de mort. Se ainsi est que Dieu veuille faire son plaisir de moi, je vous requiers avoir confession, et mon Sauveur aussi, et en la terre sainte. » C'est-à-dire qu'elle demandait à être ënsevelie en terre sainte.

Sommée de se soumettre à l'Église, sinon de se voir traiter comme une sarrasine, elle réplique qu'elle ne demandera en ce cas qu'à être ensevelie en terre sainte, comme bonne chrétienne. <«< Voulez-vous qu'on fasse une belle et notable procession, pour que Dieu vous mette en bon état? Je consens volontiers à ce que

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les catholiques et l'Église prient Dieu pour moi. »

La Pucelle commença dès lors à comprendre que c'était dans un sens purement spirituel que ses voix lui annonçaient sa délivrance; elle eut le pressentiment du supplice qu'on lui réservait. Ces mots : ne te chailles de ton martire: tu t'en vendras enfin en royaulme de Paradis lui indiquèrent cette prompte fin. Le comte de Ligny étant allé avec Warwick et Staffort la visiter dans sa prison : « Jeanne, dit-il, je suis venu ici pour vous mettre à rançon, pourvu que vous promettiez de ne jamais porter les armes contre nous. En nom Dieu, répond-elle, vous vous moquez de moi; car je sais que vous ne pouvez ni ne voulez. Je sais bien que ces Anglais me feront mourir, croyant après ma mort gagner le royaume de France; mais fussent-ils cent mille Godons de plus qu'ils ne sont à présent, ils n'auront point ce royaume! » Staffort, furieux de ces paroles, tira sa dague pour l'en frapper; mais Warwick s'y opposa.

Le 2 mai, les juges convoquèrent dans une salle du château plus de soixante assesseurs, avec des membres du chapitre de Rouen, afin d'adresser à Jeanne une monition dite publique. L'évêque de Beauvais l'invita à suivre les avis qu'elle allait recevoir de maître Jean de Castillon, «< qui lui diroit beaucoup de choses pour le salut de son âme et de son corps ; et que si elle n'en tenoit compte, elle se mettroit en péril imminent de l'un et de l'autre. »

Castillon analysa les avis des docteurs, et exhorta Jeanne à se soumettre à l'Église. Elle répondit : « Je me actend à Dieu, mon créateur, de tout; je l'aime de

tout mon cœur. »>

<< Interroguée se elle veut plus répondre à celle monition générale, respond: Je m'en actend à mon juge; c'est le roi du ciel et de la terre. >>

<< Interroguée se elle veut se soumettre à notre SaintPère le Pape, respond : « Menez-m'y et je lui répondrai. »

Pressentant les piéges qu'on lui tendait, elle se tint sur la réserve, et se référa encore à ses précédentes réponses, ou ne répondit qu'évasivement. Quand on lui dit : « Voulez-vous vous rapporter et soumettre à l'Église de Poitiers où vous avez été examinée? — Elle répliqua : « Me cuidez-vous prendre par cette manière, et par cela m'attirer à vous?» En effet, si elle avait dit qu'elle s'y rapportait, on l'aurait réputée hérétique de ce qu'elle ne se soumettait point à celle de Rouen qui était semblable.

Ainsi l'on éludait constamment la question de l'appel au Pape ou au concile, auxquels Jeanne avait plusieurs fois déclaré se soumettre. Dès qu'elle avait répondu affirmativement, on passait à une question différente, au lieu de lui en donner acte par un jugement, ainsi que la loi l'exigeait. D'ailleurs ultérieurement un grand nombre de témoins affirmèrent savoir, tant par eux

mêmes que par la notoriété publique, qu'elle déclara expressément plusieurs fois soumettre ses paroles, ses actes et sa personne à l'Église et au Pape, et vouloir obéir à Dieu et à l'Église'.

La troisième monition eut lieu dans sa prison. Les juges s'y étant transportés avec huit assesseurs lui déclarèrent, qu'attendu que sur plusieurs points de son procès elle avait refusé de répondre ou répondu mensongèrement, si incontinent elle ne disait pas toute la vérité, on allait lui faire subir la torture dont on lui montra les instruments apportés dans la tour. « Vraiement, répondit-elle, se vous me deviez faire détraire les membres et faire partir l'âme hors du corps, se ne vous diraye-je autre chose, et se aucune chose vous en disoye-je, après si diroye-je toujours que vous le me auriés fait dire par force. >>

On lui demanda si elle voulait s'en rapporter à l'archevêque de Reims, sur le signe de la couronne qu'elle dit lui avoir été baillée. « Faites-le y venir, et que je l'oïe parler, et puis je vous répondrai; ne il ne oserait dire le contraire de ce que je vous en ai dit. »

En voyant l'endurcissement de son esprit et sa manière de répondre, les juges craignirent que la cruauté des tourments ne fût peu profitable ce jour-là, et ju

1. Expresse professa est pluries quod se et omnia dicta et facta sua judicio Ecclesiæ et domini nostri Papæ submittebat. (P. Megecii, Procès, III, 132.)

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