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muniquât les douze articles, et qu'on ouvrit ensuite une nouvelle délibération.

La majorité se rallia au deuxième avis, que les juges adoptèrent. En conséquence, le 23 mai, Jeanne fut amenée pour ouïr cette dernière monition. Pierre Maurice, qui en fut chargé, donna une rapide lecture des douze articles, et ajouta d'un ton ironique : « Jeanne, ma très-chère amie, il est temps, sur la fin de votre procès, de bien réfléchir à ce que vous avez dit. » Après de longues phrases ampoulées, dont le sens était très-difficile à saisir, il l'exhorta à corriger toutes ses réponses, et à rentrer dans le chemin de la vérité en obéissant à l'Église. « Agissant ainsi, dit-il, vous sauverez de la mort votre âme et votre corps. Si vous persévérez, sachez que votre âme sera damnée, et votre corps anéanti. »

Jeanne répondit: « Quant à mes faits et mes diz que j'ai diz en procès, je m'y rapporte et les veulx soustenir. »

On lui demande si elle ne se croit point tenue de soumettre ses diz et faits à l'Église militante, ou à autre qu'à Dieu; elle répond que : « si elle était en jugement et voyait le feu allumé, le bûcher préparé, et le bourreau près d'y mettre le feu, si même elle était dedans le feu, si n'en dirait-elle autre chose, et soutiendrait ce qu'elle a dit en procès jusques à la mort. » Les juges invitèrent les assesseurs à venir le lendemain ouïr la lecture de leur sentence, et y citèrent Jeanne.

L'évêque de Beauvais se trouva encore embarrassé ; car il ne pouvait la condamner à mort, qu'au cas où elle serait en état de rechute ou relapse: c'est-à-dire si, après avoir abjuré ses prétendues erreurs, elle retombait dans l'une d'elles. Afin d'obtenir cette abjuration, il envoie dans la prison Pierre Maurice, Loyselleur et quelques autres, pour exhorter fraternellement l'accusée à se soumettre à ce que ses juges exigent d'elle. Le perfide Loyselleur lui dit en particulier : « Jeanne, croyezmoi: acceptez un habit de femme; remettez-vous aux mains de l'Église et des juges ecclésiastiques; autrement vous êtes en péril de mort. Si vous faites ce que je vous dis, vous ne subirez aucun mal, mais serez remise à l'Église. »

La jeune fille fut ébranlée par cette promesse formelle.

CHAPITRE VIII

ABJURATION ET SENTENCE DÉFINITIVE,

Le 24 mai, les deux juges se transportent dès le matin, avec trente-trois assesseurs, dans le cimetière de l'abbaye de Saint-Ouen, où deux échafauds étaient dressés. Ils se placent sur l'un d'eux, avec le cardinal d'Angleterre et plusieurs personnages invités. La Pucelle est placée sur l'autre, en face d'eux, avec Guillaume Érard et Massieu. Le peuple en foule et un grand nombre de clercs les entourent. Le bourreau se tient près de là avec son char, attendant que la victime lui soit livrée.

Érard se met à prêcher Jeanne. Après avoir énuméré ses crimes, il lui déclare, en lui montrant le bourreau, qu'elle sera immédiatement brûlée si elle n'abjure; puis il s'écrie : « Ah, France! tu es bien abusée; tu as toujours été la chambre très-chrétienne; et Charles, qui se dit de toi roi et gouverneur, s'est adhéré comme hérétique et schismatique (tel est-il) aux paroles et faits d'une femme inutile, diffamée et de tout déshonneur pleine; et non pas lui seulement

mais tout le clergé de son obéissance et seigneurie, par lequel elle a été examinée et non reprise... »

L'orateur, délayant cette idée, et levant le doigt vers Jeanne en ajoutant : « C'est à toi, Jehanne, que je parle; et te dis que ton roi est hérétique et schismatique. » — «‹ Par ma foy, Sire, révérence gardée, s'écriet-elle, je vous ose bien dire et jurer sur peine de ma vie, que c'est le plus noble chrétien de tous les chrétiens, et qui mieux aime la foi et l'Église, et n'est point tel que vous dites '.

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Irrité de cette digne et courageuse interruption, Érard dit à Massieu : Faites-la taire! Il termine sa harangue, puis lit à Jeanne une cédule d'abjuration de six à sept lignes en gros caractères, et lui promet sa liberté, dès qu'elle aura signé cette pièce. « J'ai déjà dit, répond-elle, que toutes les œuvres que j'ay faictes et mes diz soient envoyés à Romme devers nostre saintpère le Pape, auquel et à Dieu premier je me rapporte. Et quant aux diz et fais que j'ai fais, je les ay fais de par Dieu. >> Item, dit que de ses fais et diz elle ne charge quelque personne, ne son roy, ne autre; et s'il y a quelque faute, c'est à elle et non à autre 2. »

<< Interroguée se les fais et diz qu'elle a fais, qui

1. Dép. de Massieu, Procès, II, p. 17.

2. Jeanne n'est point responsable du texte même de ses réponses, dont le sens seul a été rendu par les greffiers, quand toutefois les juges ne les ont pas forcés à l'altérer.

sont réprouvez, s'elle les veult révoquer : « Je m'en rapporte à Dieu et à nostre saint-père le Pape. »

A ces mots, transporté de fureur, et feignant de ne pas entendre cet appel formel et légal, Érard s'écrie: Tu abjureras et signeras présentement, ou tu seras arse! Puis il tourne les yeux vers le bourreau. Les Anglais poussent des cris sinistres et jettent des pierres sur l'échafaud; le peuple fait entendre des clameurs dont on ne saisit point le sens. L'évêque de Beauvais s'était muni de deux sentences : l'une pour le cas où la Pucelle refuserait de signer l'abjuration; l'autre pour celui où elle y consentirait. Il commença la lecture de la première qui la livrait au bras séculier. Enfin les clameurs, l'insistance et les promesses d'Érard décident Jeanne. Elle prend une plume des mains de l'appariteur Massieu, sourit amèrement, et trace une croix au bas de la cédule 1.

L'évêque de Beauvais consulte le cardinal d'Angleterre, qui lui dit d'admettre Jeanne à la pénitence 2. Alors le juge met de côté la première sentence, et donne lecture de l'autre qui porte : « Qu'attendu que Jeanne a publiquement abjuré son hérésie, conformément aux ordonnances ecclésiastiques, les juges la relèvent de l'excommunication qu'elle a encourue,

1. Déposit. de Massieu, Procés, t. II, p. 17, et t. III, p. 157. 2. Dép. de J. Monnet, Procės, III, p. 64.

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