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On s'étonne que Jeanne n'ait point été canonisée. Cette omission provint de l'opposition d'une grande partie du clergé, et de ce que le pape craignait d'offenser les Anglais, alors catholiques romains. Les personnes qui demandent aujourd'hui la canonisation de l'héroïne1 ignorent qu'il faut des enquêtes spéciales, auxquelles on ne pourrait plus procéder, puisque tous les témoins sont morts depuis très-longtemps. Les faits et moyens, résolus par les enquêtes de 1450 à 1456, étaient simplement judiciaires et ne concernaient nullement la canonisation, au sujet de laquelle aucun ne fut articulé.

Si des enquêtes avaient eu lieu pour la béatification, qui est ordinairement le préliminaire de la canonisation, celle-ci serait recevable, et probablement bien fondée; car il n'est point nécessaire, pour l'obtenir, d'avoir fait des miracles. Le martyre ou les grands services rendus à l'humanité suffisent, quand ils sont accompagnés des vertus héroïques; ainsi Thomas d'Aquin fut régulièrement canonisé, quoiqu'il n'ait point fait de miracles. C'est la canonisation solennelle; mais il en est une autre par voie de culte, qui est inférieure. Elle consiste dans la déclaration du Pape, autorisant le culte d'un personnage éminent, dans le cas où

1. Un grand nombre de prêtres, apologistes de la Pucelle, ont commis cette erreur que M. Wallon (de l'Institut) n'a fait que répéter étourdiment.

l'on prouve qu'il a été honoré comme un saint par le peuple, durant quelques siècles, sans interruption. Or la Pucelle ne jouit de ces honneurs que durant sa courte existence. Quoique son nom demeure sacré chez tous les peuples civilisés, elle n'est point l'objet d'un culte religieux. Les reconnaissants Orléanais eux-mêmes ne la considèrent que comme une héroïne, de vertus et de génie sublimes, qui les sauva de l'oppression étrangère.

CHAPITRE VII

REFUTATION DE PLUSIEURS SOPHISMES
RELATIFS AU DROIT DE DÉFENSE.

La loi exigeait la citation de trois, quatre ou cinq témoins à l'audience, pour attester la commune renommée'. Cauchon n'en cita aucun; car il savait que nul n'oserait venir attester sous la foi du serment les prétendus crimes de la Pucelle, et qu'en conséquence toutes les dépositions seraient favorables à cette accusée,

M. Quicherat excuse cette violation des formes en disant : « Puisque l'instruction avait en quelque sorte fondu aux débats, à quoi bon en surcharger l'instrument du procès? Présente, elle nécessitait des explications épineuses pour justifier le défaut de citation; absente, elle ne diminuait pas la force des aveux livrés spontanément par l'accusée, ni par conséquent ne viciait la procédure continuée d'après ces aveux 2. »

Ce galimatias renferme deux sophismes : 1o en droit criminel, même inquisitorial, jamais l'aveu seul n'a suffi

1. Direct. Ing., p. 295, De testium multiplicatione.

2. Aperçus nouveaux, p. 123.

surtout pour convaincre des crimes autres que celui d'hérésie; j'ai déjà péremptoirement établi ce principe; 2o en fait, la plupart des assesseurs n'eurent aucune communication des informations qui pouvaient modifier leur opinion, par une interprétation différente des réponses de l'accusée, ou leur suggérer des questions favorables à sa cause. Il ne s'agissait point d'insérer ces informations dans la rédaction du procès : il s'agissait de les communiquer à tous les assesseurs et aux corps consulteurs.

Pour justifier l'absence d'avocat, le même critique invoque la Décrétale qui porte : « d'une manière simplifiée et directe, sans tumulte d'avocats ni forme de jugement. » Et il en conclut qu'on peut refuser un défenseur à l'accusé.

Cette décrétale donnant lieu à des demandes en interprétation, le pape Clément promulgua, en 1307, à Avignon, une constitution délibérée au concile de Vienne, qui non-seulement admettait un avocat et un procureur, mais décidait qu'aucune urgence ne peut dispenser de leur office. En voici le texte : « On demande comment on doit entendre ces mots : sommairement, simplement et de suite, sans tumulte d'avocats, ni de jugement, ni de formes. Nous répondons qu'en déférant certaines causes, nous ordonnons quelquefois de procéder sans tumulte, ni forme de jugement... Mais il s'agit simplement de repousser les exceptions et appels

dilatoires, frustratoires, et la multitude de témoins... Que le juge se garde donc bien d'abréger le procès par le refus d'admettre les preuves nécessaires et les défenses légitimes1. >>

Cette constitution ne mentionnant point les mots : sans tumulte d'avocats, admet implicitement leur office. Comme elle est postérieure à la décrétale, et a d'ailleurs plus de force par sa nature même, elle la modifie incontestablement en ce point.

Une autre constitution, également en vigueur en 1431, est encore plus explicite : « Quand le crime est nié, ou n'est pas prouvé par les témoins, et que l'accusé demande à se défendre, on doit lui accorder, et l'on ne peut sous aucun prétexte lui refuser des défenses. En conséquence il est pourvu d'un avocat probe et non suspect, habile dans les deux droits, et zélateur de la foi. On y ajoute un procureur en la même forme, avec la copie de tout le procès, dont on ne supprime que les noms des dénonciateurs et des témoins 2. >>

Jeanne n'avouait point; aucun témoin n'était produit, et ne pouvait par conséquent la convaincre : donc elle avait droit à un avocat et à un procureur. En outre ses aveux- étaient nuls, puisqu'elle n'avait point été

1. Nic. Eymeric, Dir. Ing., p. 74 et 370.

2. Dir. Ing., p. 296.

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