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trouver Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, qui la ferait conduire près du roi, qu'elle aborderait sans accidents. Il ajouta que sainte Catherine et sainte Marguerite, choisies pour l'assister de leurs conseils, viendraient la visiter souvent. En effet ces saintes, dont elle s'imaginait voir la tête ornée de couronnes précieuses, vinrent bientôt et souvent la visiter. Leur voix harmonieuse et éclatante lui indiquait ce qu'elle devait faire. Dès qu'elles disparaissaient, la jeune fille, pleine d'émotion, baisait la terre où elles avaient reposé.

Ces révélations ou visions étaient naturelles au caractère ardent et mystique de Jeanne, qui se persuada alors être cette vierge destinée au salut de la France. Ce ne fut pas la seule fois qu'on vit, même en des temps de doute et d'égoïsme, des adolescents rêver la gloire politique. Alexandre s'écriait en pleurant que son père ne lui laisserait plus rien à conquérir. A seize ans, laissé régent du royaume, il subjugua les Mardes insurgés. Sa mère avait songé, en épousant Philippe, que la foudre tombait sur son ventre et allumait un vaste incendie. Mirabeau, à quatorze ans, déclamait seul dans sa chambre, prévoyant qu'il y aurait un jour des états généraux, au moyen desquels il changerait la face de l'État.

A mesure que la jeune vierge croissait en âge, les voix des saintes et de l'archange devenaient plus pressantes, en l'exhortant à venir en France, même à l'insu

de son père. Jeanne, agitée du saint désir d'obéir à Dieu, ne pouvait plus durer où elle se trouvait : l'inaction lui pesait et lui arrachait souvent des larmes amères. Cependant elle n'osait faire de confidences à personne, si ce n'est à sa mère, de peur que les Bourguignons n'empêchassent son voyage, et surtout par crainte de son père qu'elle y savait absolument contraire; car Isabelle lui rapporta « qu'il avoit songié que avec les gens d'armes s'en iroit Jehanne sa fille; si je cuidoye que la chose advensist, ajoutait-il en s'adressant à ses fils, je vouldroye que la noyessiés; et se vous ne le faisiés, je la noieroyé moy-mesme 1. »

Jacques Darc voulut alors la marier avec un jeune homme épris d'elle, qu'elle refusa sèchement. Celuici la cita devant l'official de Toul, pour la voir contraindre à exécuter une prétendue promesse qu'elle lui aurait faite. Jeanne alla se défendre elle-même avec fermeté, et gagna son procès, que probablement son père conseilla au jeune homme, dans l'espoir qu'une jeune fille n'oserait comparaître devant le tribunal, et se rendrait à ses vues.

Jeanne, alors âgée de dix-sept ans et demi, était grande et parfaitement constituée, grâce à l'air pur et aux travaux des champs, souvent pénibles. Sa poitrine et sa gorge étaient développées, sa taille fine, ses bras

1. Interr. du 12 mars 1431, post meridiem. Procès I, 132.

et ses jambes forts; mais elle avait de petites mains et de petits pieds. Son œil, à la fois doux, tendre et fier, inspirait la confiance. Son front était très-élevé. Elle avait les cheveux noirs et la peau très-blanche, lé- gèrement colorée. Sa voix était douce, mélodieuse et forte. En un mot elle réunissait la noblesse des formes et toute la beauté et la grâce de son sexe à la force physique des hommes vulgaires. Pour se préparer à la mission qu'elle rêvait, elle s'exerça à monter à cheval avec grâce et solidité, à la manière des hommes.

Persuadée de la vérité de ses révélations, elle annonça, au milieu de 1428, à un cultivateur ami de sa famille : «< qu'il y avait entre Coussey et Vaucouleurs une jeune fille qui, avant un an, ferait sacrer le roi de France1. »

1. Dép. de M. Lebuin, Procès II, 440.

CHAPITRE V

DES DIFFICULTÉS QU'ÉPROUVE JEANNE A SE FAIRE CONDUIRE PRÈS DU ROI.

Après avoir longtemps médité le moyen de parler au capitaine Robert de Baudricourt, Jeanne alla trouver Durand Laxart, dont la femme était sa tante maternelle, et qui habitait Burey-le-Petit, entre Domremi et Vaucouleurs. Elle manifesta le désir de passer quelque temps chez lui, à cause du mécontentement de son père, qui s'obstinait à vouloir la marier. Laxart qui la chérissait obtint le consentement de Jacques Darc, en prétextant que sa femme avait besoin des soins de Jeanne.

Au bout de huit jours, la jeune fille avoua son dessein à son oncle, qu'elle persuada. Celui-ci, pour éviter le scandale en cas de refus de Baudricourt, jugea prudent d'aller d'abord seul lui parler. Le capitaine ne répondit qu'en lui conseillant de bien souffleter sa nièce, et de la reconduire chez son père. Dès que Jeanne l'apprit, elle voulut partir seule pour Vaucouleurs, et revêtit les habits de son oncle qui n'osait y retourner. Alors il

se décida à l'accompagner. Ils logèrent chez un charron nommé Henri, dont la femme prit bientôt la jeune fille en amitié (été de 1428).

Jeanne eut beaucoup de peine à obtenir une audience de Baudricourt. Quand enfin il consentit à la recevoir, elle dit « Qu'elle venait de la part de son Seigneur, pour que le capitaine mandât au Dauphin de se bien maintenir, et de ne point assigner de bataille à ses ennemis, parce qu'il aurait secours dans la mi-carême, et que, malgré les ennemis, elle le conduirait au sacre. » Le capitaine demandant quel était son Seigneur, « Le Roi du ciel, » répondit la jeune fille. Baudricourt. la congédia en se moquant d'elle.

Ce refus ne découragea point Jeanne, parce que ses voix lui prédirent qu'elle en éprouverait trois. Elle demeura vingt jours à Vaucouleurs, passant presque tout son temps en prières et en confessions. Le reste était employé à coudre ou à filer près de son hôtesse. Elle observait depuis son enfance ce précepte de l'Imitation: Fuyez l'oisiveté: ne soyez jamais sans prier, ou méditer, ou travailler. Le temps lui pesait comme à une femme en travail, parce qu'on refusait de la conduire vers le Dauphin'. «Il faut absolument que j'aille vers lui, s'écriait-elle; mon Seigneur le veut quand je devrais y aller sur mes genoux, j'irai. » Elle invitait

1. Déposition de son hôtesse (Procès II, 446).

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