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48. · Plusieurs auteurs se sont prononcés pour la loi de la situation (1), au moins en ce qui concerne les immeubles. Bien que la jurisprudence de quelques pays l'ait sanctionnée, cette doctrine se justifie difficilement, au point de vue théorique. Le patrimoine de chacun des époux constitue une unité, non sans doute qu'il faille absolument traiter de même les meubles et les immeubles (2), mais en ce sens qu'un principe unique doit dominer le régime conjugal dans son ensemble. On est forcé de reconnaître, en effet, que toutes les parties de ce régime se tiennent, et que l'application simultanée de principes différents aux divers éléments patrimoniaux entraînerait inévitablement des résultats anormaux et injustes (3).

Nous repoussons également la loi du lieu où le mariage est célébré. L'analogie des contrats n'est pas admissible; on ne saurait présumer une intention des parties de se soumettre à la loi du pays où elles se marient, et Savigny remarque avec raison que si l'on veut rechercher leur commune intention, elle portera plutôt, sans doute, sur la loi du lieu de l'exécution, c'est-à-dire du domicile matrimonial (4).

(1) Fœlix (90) cite Gail, d'Argentré, Burge, Story et, avec une nuance, le président Bouhier.

(2) Que l'on pense, par exemple, au régime français de la com

munauté.

(3) Il se peut que la loi d'un pays exclue toute action d'une loi étrangère sur les immeubles sis dans le pays, ou qu'elle ait un caractère absolu. Ceci ne touche pas la question traitée dans le texte. Bar, p. 333.

(4) Savigny, § 379. Schaffner, § 106. Selon M. de Bar, tout le monde est d'accord aujourd'hui, pour rejeter la lex loci celebrationis. Voyez cependant Israëls, p. 198, et Story, § 159. Code argentin, art. 1, 4. -Wharton, § 192.

La doctrine la plus accréditée, d'ancienne date, soumet tous les droits patrimoniaux résultant du mariage, sans distinguer entre meubles et immeubles, à la loi du domicile matrimonial, c'est-à-dire du domicile du mari, chef du mariage. Savigny entend par là le domicile du mari au moment du mariage. C'est, plus exactement, le premier lieu où les époux se sont établis de manière à y fixer le siège de l'association conjugale. Le plus souvent, sans doute, ce sera le domicile du mari au moment même du mariage, mais ce n'est point nécessaire : il est fort possible que les époux ne fondent un domicile que plus tard (1).

(1) Le domicile matrimonial, siège de l'association conjugale, ne sera pas toujours facile à constater. Ce n'est point une raison pour en nier l'existence. Il y aura naturellement ici beaucoup de questions de fait.

Cassation française, 18 août 1873 : Pour établir sous quel régime un étranger est marié, des actes et des faits indiquant qu'il a entendu se fixer en France et se soumettre à la loi française dans les dernières années de sa vie, ne peuvent prévaloir contre l'énonciation du juge du fait que ledit étranger a entendu suivre la loi de son pays au moment de son mariage, seule époque à considérer.— Arrêt de l'Obertribunal de Berlin, 5 février 1872. J. D. P., t. II, p. 281.

La doctrine du premier domicile matrimonial est consacrée d'ancienne date par la jurisprudence (arrêts nombreux de divers pays. Arntz, t. III, 551) et d'une manière expresse et formelle par le Code général prussien (II, 1, §§ 350, 351) et par le Code saxon (§ 14). On peut dire qu'elle forme le droit commun en Allemagne. Teichmann, ouvrage cité au no 50, p. 12-18. M. Israëls (p. 299-309) décide aussi en faveur de la loi du domicile matrimonial.

Cette doctrine est également reçue en Angleterre et en Amérique, pour les meubles. Westlake, §§ 32, 37. R. D. I., t. XIII, p. 438-439. Field, 575 : Les droits de propriété des époux sur les meubles qui leur appartiennent à l'époque du mariage ou qu'ils ont acquis depuis, sont régis, relativement aux modifications que le mariage

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II y a désaccord touchant le motif en vertu duquel on applique la loi du domicile matrimonial. Beaucoup d'auteurs le cherchent dans une convention tacite des époux (1). D'autres, Savigny en particulier, rejettent cette idée d'une convention tacite, parce que les époux,la femme notamment, n'ont que bien rarement au moment du mariage, une connaissance suffisante de la loi dont il s'agit; ces auteurs trouvent plus juste de dire que les époux se soumettent volontairement à cette loi (qu'ils ne connaissent pas), soumission volontaire qui se concevrait même d'une façon purement négative, comme absence de contradiction (2). Il nous semble que cette distinction entre la convention tacite et la soumission volontaire est sans

y apporte et sauf pour ce qui regarde le droit de succession, par la loi du lieu du domicile matrimonial... A l'art. 577, Field définit

le domicile matrimonial: «< celui que le mari et la femme déterminent ensemble tout d'abord; et s'ils n'en établissent point, c'est celui du mari au moment du mariage. »

Si les époux n'ont aucun domicile fixe au moment du mariage ni après, on pourra recourir à la loi nationale du mari. Arntz, 551. Teichmann, p. 13. Israëls, p. 234.

(1) Ainsi Dumoulin, Rodenburgh, Hert, Jean Voet, Pothier et généralement les auteurs français modernes. La convention tacite est défendue énergiquement par M. Arntz, R. D. I., t. XII, p. 329331; elle est juste en droit français, au point de vue du Code Napoléon. Brocher, 183.

(2) La doctrine de la soumission volontaire est à peu près abandonnée aujourd'hui. La doctrine qui rallie, à bon droit, le plus de suffrages en divers pays, est celle qui voit simplement dans le régime légal l'effet direct de la loi. Ainsi pensaient déjà d'Argentré, Pufendorf, Boullenois; parmi les auteurs modernes de langue française, Odier, dans son Traité du contrat de mariage, œuvre si sage et si bien mûrie (t. I, 48, no 37); M. Thoel, M. Stobbe, M. Fiore, M. de Bar, Sir Robert Phillimore, enfin, tout récemment, M. Teichmann, dans l'ouvrage cité au numéro 50.

grande portée pratique, et cela d'autant plus que, d'après Savigny lui-même, le changement de domicile durant le mariage n'exerce aucune influence sur le régime matri-monial. En effet, la loi qui règle, dans un pays, le mariage aussi au point de vue de ses conséquences pécuniaires, n'a certainement pas en vue les personnes qui viennent s'établir dans ce pays après avoir déjà vécu en mariage ailleurs, ni les biens que ces mêmes personnes pourront acquérir après leur établissement dans le pays; de plus, si l'on admettait la mutabilité par changement de domicile, on verrait immanquablement surgir des difficultés et des confusions sans issue.

49. L'école italienne aussi considère le patrimoine de chacun des époux comme unité, de telle sorte que tous les éléments de ce patrimoine sont soumis à des règles uniformes. Mais, fidèle au système qu'elle suit en matière de statut personnel, elle donne à la loi nationale la préférence sur la loi du domicile (1).

Les jurisconsultes de cette école font remarquer que les dispositions légales concernant les biens des époux n'ont point un caractère exclusivement patrimonial; elles sont déterminées par des considérations d'un ordre supérieur au soin des seuls intérêts pécuniaires. La loi veut faciliter le fidèle accomplissement des devoirs du mariage; favoriser les rapports conjugaux, tels qu'ils doivent être, protéger la famille et les intérêts des enfants. On peut donc invoquer en faveur de l'application de la loi nationale au

(1) Esperson, Il principio, p. 151. Fiore, 325 et s. Comparez Wharton, 198.

régime des biens les mêmes motifs qu'en faveur de son application à l'état personnel.

La loi applicable est donc la loi du pays du mari; puisque, par le mariage, la femme acquiert la nationalité du mari.

Telle est la doctrine italienne, qui paraît recommandable, par les raisons données précédemment (1).

50.-Quel effet produira le changement de nationalité? Cette question correspond mutatis mutandis à celle que posent la plupart des auteurs et que nous avons effleurée au numéro 48, de l'effet du changement de domicile (2).

(1) Au § 8. Nous devons ici nous séparer expressément de

M. Asser.

-

L'application générale du principe de la nationalité au régime matrimonial nous paraît se heurter à des difficultés théoriques et pratiques telles qu'il ne semble pas possible de suivre les représentants de l'école italienne sur ce terrain; il ne semble pas, d'ailleurs, qu'il y ait réellement entre les relations personnelles et le régime des biens l'intime liaison que cette école croit apercevoir, et nous ne voyons aucune incompatibilité entre la présente solution et le principe auquel nous avons adhéré au no 22.

Le principe qui doit être posé en règle, c'est celui de la loi du domicile matrimonial.

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Après un examen détaillé des diverses opinions et de leur histoire, M. Laurent ne se prononce ni pour le domicile ni pour la nationalité il fait tout dépendre de la volonté des époux, expresse ou tacite. T. V, 240. - Cassation française, 11 juillet 1855. — Tribunal de Nivelles, 19 février 1879. (Belgique judiciaire, 1880, p. 982.) (2) Teichmann, Ueber Wandelbarkeit oder Unwandelbarkeit des gesetzlichen ehelichen Güterrechts bei Wohnsitzwechsel. Bàle, 1879. - Arntz, Observations sur la question de l'immutabilité du régime conjugal en cas de changement de domicile des époux. R. D. I., t. XII, p. 323-331. Behaghel, Die ehelichen Güterverhæltnisse der Auslander, welche wæhrend bestehender Ehe in das Grossherzogthum Baden seit Einführung des Landrechts eingezogen sind oder noch

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