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La règle ci-dessus ne s'applique pas aux lois concernant la qualité de ressortissant, sujet ou citoyen d'un État, la nationalité. Jamais, en effet, aucun État ne considérera une personne, qui d'après sa loi est regnicole, comme étrangère, pour le motif que cette personne aurait en outre le droit de cité dans un autre État en vertu de la loi de cet État, peu importe qu'elle y soit, ou non, domiciliée (1).

Aussi le besoin d'une règle commune n'est-il nulle part plus sensible que dans la matière de l'acquisition et de la perte de la nationalité; c'est seulement au moyen d'une telle règle qu'il sera possible d'empêcher qu'une personne ait droit de cité dans deux ou plusieurs pays ou n'ait droit de cité dans aucun (2).

Il résout nombre de questions que soulève le conflit entre ce principe et ceux qui régissent le droit des choses, la forme des actes, la force des jugements étrangers, etc. Il passe en revue successivement: la liberté, l'esclavage et le servage; la mort civile; l'infamie; les incapacités dérivant de motifs confessionnels; les différences de condition, la noblesse; la minorité; la tutelle du sexe; l'interdiction du prodigue; le sénatus-consulte Velléen et l'authentique Si qua mulier; le sénatus-consulte Macédonien; la capacité de s'obliger par lettre de change; la restitution en entier. Sur le sénatusconsulte Velléen en France, arrêt Bonar contre d'Hervas, Paris, mars 1831, et Cassation, 17 juillet 1833. Wharton, §§ 106-125. (1) M. Demangeat signale une distraction de Fœlix, lequel dit (33) La loi de la nation à laquelle appartient un individu, décide s'il est regnicole ou étranger. « Comment, dit l'éminent commentateur, la loi de la nation à laquelle appartient un individu pourraitelle décider que cet individu est étranger, c'est-à-dire qu'il n'appartient pas à la nation dont il s'agit? La pensée de Fœlix est simplement qu'il faut consulter la loi française pour savoir si un tel est ou n'est pas Français, la loi anglaise pour savoir si un tel est ou n'est pas Anglais, etc. »>

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(2) La question de l'indigénat multiple, dans deux ou plusieurs

19. La règle de la loi personnelle était loin d'être admise jadis aussi généralement qu'aujourd'hui. On fai

États souverains et indépendants, était traitée déjà par les anciens. Cicéron dit (Pro Balbo, 12): « Jam a principio Romani nominis a majoribus nostris ratio comparata est ne quis nostrum plus quam unius civitatis civis esse possit. » Balde et Zouch (IIe partie, section 2, § 13) sont également pour la négative. En somme, cependant, on ne voyait guère d'inconvénient jadis à reconnaître un indigénat multiple, et ce cas se présente fréquemment, encore aujourd'hui; notamment en Suisse, où beaucoup de personnes ont droit de cité dans plusieurs cantons.

Le fait de n'avoir point de patrie est infiniment plus grave; l'heimathlosat est une plaie que l'on s'efforce de faire disparaître.

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dans la dernière édition.

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Laurent, t. III, 250-251, De ceux qui ont plusieurs patries. 252-253, De ceux qui n'ont pas de patrie. Brocher, I, 70, Absence de patrie ou patries multiples. Heffter, 59, 59a, et les notes de M. Geffcken - E. Lehr, Du droit de se prévaloir d'une double nationalité et des limites de ce droit. R. D. I., t. II, p. 312 s. Comparez J. D. P., t. VI, p. 526 s. Loi fédérale du 3 juillet 1876. Suisse naturalisé à l'étranger; affaire Gothuey, R. D. I., t. XII, p. 317; J. D. P., t. V, p. 60; affaire Steiner, R. D. I., t. XII, p. 321; J. D. P., t. VI, p. 95; affaire enfants Frei, J. D. P., t. IX, p. 235.

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Pour les auteurs qui font régir l'état et la capacité par la loi du domicile, la difficulté se présente sous la forme du domicile multiple ou de l'absence de domicile. Savigny, §§ 354, 355, 359.

Sur l'acquisition et la perte de la nationalité, il faut consulter surtout l'ouvrage de M. Cogordan : La nationalité au point de vue des rapports internationaux. Paris, 1879. R. D. I., t. XI, p. 473.Voir aussi Alauzet, De la qualité de Français et de la naturalisation, Paris, 1856, 1863, 1867; Cutler, The law of Naturalization, as emended by the Naturalization acts of 1870, Londres, 1871; et surtout de Martitz, Das Recht der Staatsangehærigkeit im internationalen Verkehr (Annales de Hirth, 1875). — Sur la question spéciale de la naturalisation à l'étranger d'une femme française, mariée et séparée de corps, ci-dessous, no 47, note. Sur l'art. 9 du Code civil: la Cour de cassation française fait dater la nationalité française de la naissance (19 juillet 1848): la jurisprudence belge (Cour de Bruxelles, 19 février 1878) ne fait opérer la déclaration que pour l'avenir, ce qui est préférable. Et la majorité mentionnée audit article est la

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sait diverses distinctions et on statuait des exceptions, qui sont, actuellement, presque universellement rejetées (1).

On est d'accord, en particulier, pour reconnaître que l'état et la capacité d'une personne ne sont pas modifiés par le seul fait que cette personne se déplace (2).

majorité de la loi belge. Du Bois, R. D. I., t. XIII, p. 53-57; t. VIII, p. 486-488, VI, p. 277, IV, p. 150, 657.-Sur la jurisprudence récente de la Cour de cassation belge concernant l'enfant né de parents inconnus et la loi que cette jurisprudence a rendue indispensable, A. D. I., t. V, p. 45; R. D. I., t. XIII, p. 57-60, 523; t. XVI, p. 138.

Résolutions de l'Institut de droit international (A. D. I., t. V, p. 57): L'enfant légitime suit la nationalité de son père. L'enfant illégitime suit la nationalité de son père lorsque la paternité est légalement constatée; sinon, il suit la nationalité de sa mère lorsque la maternité est légalement constatée. L'enfant né de parents inconnus, ou de parents dont la nationalité est inconnue, est citoyen de l'État sur le territoire duquel il est né, ou trouvé lorsque le lieu de sa naissance est inconnu. La femme acquiert par le mariage la

nationalité de son mari.

(1) Le principe de la réalité a été défendu encore par Odier, en 1827, dans sa Dissertation sur l'application des lois étrangères qui règlent la capacité de contracter. Odier conclut que « tout étranger, même non résidant, même en simple passage, qui viendra contracter à Genève, doit être jugé d'après les lois personnelles de Genève, à moins qu'il n'existe avec sa nation des traités exprès et réciproques, par lesquels il aurait été stipulé qu'on le jugerait d'après les lois de capacité de son pays. »

(2) Fiore, 42, et dans l'appendice, cite les opinions de plusieurs

auteurs.

Pothier, Coutume d'Orléans, ch. I, art. 1, no 13: « Le changement de domicile délivre les personnes de l'empire des lois du lieu du domicile qu'elles quittent, et les assujettit à celles du lieu du nouveau domicile qu'elles acquièrent. » Hert, les deux Voet, Rodenburgh, Bourgoingne sont également pour la mutabilité par changement de domicile.

On applique le principe, non seulement à la capacité requise pour s'obliger ou pour tester, mais aussi à celle qui est requise pour tout acte concernant les choses mobilières et immobilières et les droits réels (1).

On ne distingue plus, à ce point de vue, entre l'incapacité générale et les incapacités spéciales, relatives à certains actes déterminés (2).

On rejette comme arbitraire, la distinction qu'ont faite encore des auteurs récents, entre l'état et les effets juridiques de l'état, distinction en vertu de laquelle on appréciait d'après la loi personnelle la question de savoir si la personne agissante était majeure ou mineure, et d'après la loi du lieu où l'acte était fait, ou encore d'après la lex fori, la question des effets de la majorité ou de la minorité (3).

Burge, Story, Merlin, et avant eux Ulric Huber soutiennent la domination permanente de la loi du domicile d'origine. Huber, I, 3, § 12.

Il est à remarquer que la question est autre pour nous que pour ces anciens auteurs, parce que nous reconnaissons la loi de la nationalité comme formant la loi personnelle (nos 20, 21). Or, il n'est pas douteux qu'un changement de nationalité a pour effet de changer l'état et la capacité.

(1) Savigny, §§ 362, 367. Beaucoup d'auteurs anciens appliquaient, lorsqu'il s'agissait d'immeubles, la loi de la situation.

(2) Savigny, § 364. On appliquait la loi personnelle à la capacité ou incapacité générale et la loi du lieu de l'acte ou du contrat aux incapacités spéciales (cas du sénatus-consulte Velléen, du Macédonien, droit de change).

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(3) Cette distinction faite, entre autres, par Hert, est reproduite par Waechter et par Mittermaier. Savigny la déclare arbitraire et inconséquente, § 362. Il fait remarquer qu'elle est exclue, dans les pays du Code Napoléon, par les termes mêmes de l'article 3: « l'état et la capacité. »

20.

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La loi personnelle est-elle celle de la patrie ou

nationalité, ou est-ce la loi du domicile?

Nous examinerons cette question d'abord en théorie, puis nous exposerons les solutions que lui donnent la législation et la jurisprudence en divers pays (1).

Les auteurs sont partagés. Savigny se prononce en faveur de la loi du domicile (2), comme la plupart des

(1) Bar, § 29-31, et Encyclopédie de Holtzendorff, p. 686-688. Laurent, t. II, 97-110. Fœlix dit (28): « Les expressions de lieu du domicile de l'individu et de territoire de sa nation ou patrie peuvent être employées indifféremment. » Et en effet, il emploie constamment ces expressions comme équipollentes. M. Demangeat remarque fort justement: «< Ainsi, d'après M. Fœlix, un homme ne peut avoir son domicile que dans le territoire de la nation dont il est membre. C'est là une idée qui nous paraît complètement inadmissible. » Il est vrai, toutefois, comme le remarque encore l'éminent commentateur de Fœlix, que « dans la grande majorité des cas la loi du domicile sera en même temps la loi du peuple dont l'individu est membre. » Malgré la prodigieuse multiplication des déplacements, les gens qui restent chez eux sont toujours plus nombreux que ceux qui s'expatrient, et M. Laurent dit avec raison qu'«< en fait la nationalité et lie domicile se confondent d'ordinaire. » Vattel confond aussi la patrie et le domicile, ainsi que le grand germaniste Eichhorn (Einleitung in das deutsche Privatrecht, § 34) et bien d'autres. Il n'est pas douteux, d'autre part, que la nationalité n'avait nullement, jadis, la même importance qu'à présent.

(2) Savigny, §§ 359, 362. Aux §§ 350 et suivants, Savigny analyse les notions romaines de l'origine et du domicile et expose les changements qu'ont subis ces notions dans le développement moderne. Il rapproche de la doctrine romaine de l'origine la notion de la bourgeoisie telle qu'elle est conçue et appliquée en Suisse.

A Rome, la lex originis formait la règle, comme droit personnel de l'individu. Il est permis de voir, dans la tendance actuelle à faire prévaloir la nationalité sur le domicile, un retour partiel et inconscient à un état de choses comparable, sur certains points, à celui qui régnait dans l'empire romain. Mais on ne saurai trop se prémunir contre les analogies trompeuses.

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