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Presque toujours, cependant, au moins jusque vers le milieu de notre siècle, on l'a limité aux immeubles.

Cette restriction, sans être rationnelle, s'explique par des considérations de diverse nature.

Il semble d'abord qu'à aucun égard l'application de la loi territoriale ne mérite davantage d'être assurée que précisément à l'égard des choses immobilières, qui sont des parcelles du territoire ou y sont attachées à perpétuelle demeure. Le régime féodal a dû favoriser cette tendance. La propriété immobilière a d'ailleurs, dans un certain état social, une valeur tellement prépondérante que l'on a pu, en s'occupant du statut réel, oublier les meubles presque entièrement. On a réglé avec le plus grand soin, dans plusieurs pays, la transmission de la propriété foncière et l'imposition de charges sur cette propriété; des registres ont été créés afin de constater ces faits et les rendre publics. La législation foncière a subi l'influence de considérations politiques; on a

d'accord sur le principe même, tout en différant sur les motifs.

En vertu de ce principe, c'est la loi de la situation qui décide si une chose est ou n'est pas dans le commerce, si elle est sans maître et sujette à occupation; comment la propriété en est transférée, si c'est par la tradition ou par le simple consentement; quelles sont les conditions requises pour la prescription acquisitive; enfin si et comment la revendication pourra s'intenter. (Ci-dessous, n° 44.)

En revanche, la question de savoir si une personne est capable d'acquérir et d'aliéner, est régie par la loi personnelle (n° 19), sauf dispositions coactives de la lex situs (no 25).

La loi de la situation régit encore ce qui concerne les servitudes prédiales et personnelles, l'emphytéose et la superficie, le gage et l'hypothèque.

pensé que si l'on appliquait aux immeubles une autre loi que celle du territoire, des conflits pourraient se produire et les institutions nationales être mises en péril. Les auteurs et les législations se sont donc trouvés unanimes pour proclamer, en matière d'immeubles, la souveraineté de la loi de la situation, sauf toutefois ce qui sera dit plus loin à propos du droit de succession et du droit de famille.

Il en était autrement des meubles. Aussi voyons-nous qu'en même temps et à peu de chose près avec la même unanimité, on déclarait qu'au point de vue de la loi à leur appliquer, leur situation réelle était indifférente et qu'ils étaient gouvernés par le statut personnel de leur maître, entre les mains duquel ils étaient réputés se trouver. Mobilia personam sequuntur, mobilia ossibus inhærent. Les Anglais disent: Personal property has no locality (1).

(1) Balde dit: Interest inter bona immobilia et mobilia, quod illa sequuntur suum territorium, hæc vero personam domini. Comm. in Cod., L. Mercatores (4) De commerciis et mercatoribus 4, 63.

D'accord sur le principe, on varie sur son fondement. Rodenburgh et Paul Voet donnent pour motif que les meubles sont censés se trouver là où le propriétaire a le siège de ses affaires, son principal établissement : c'est un statut réel fictif. La même idée se trouve chez Du Moulin et Boullenois. D'Argentré dit que les meubles n'ont pas de situation. De même Bourgoingne, Huber, Hert: <«< Mobiles et conditione personæ legem accipiunt, nec loco continentur, ut vulgata juris consultorum doctrina habet » (De collisione legum, section IV, § 6). Bouhier: « On suppose par une espèce de fiction que les meubles sont comme adhérents à la personne du propriétaire. » C'est donc le statut personnel. Pothier dit aussi que les meubles n'ont aucune situation, c'est pour ce motif qu'ils suivent la personne. Fœlix, 61: « Le statut personnel gouverne les meubles corporels ou incorporels. Ce statut est à leur égard réel,

42. C'est surtout à Waechter et à Savigny que revient le mérite d'avoir affirmé que la loi de la situation doit s'appliquer aux meubles comme aux immeubles.

Selon Waechter, la raison juridique de la règle, c'est que le législateur n'a en vue que les choses qui sont dans le territoire, mais il les a toutes en vue, sans distinction. Savigny suppose que toute personne qui veut acquérir, avoir, exercer un droit réel sur une chose quelconque, se soumet volontairement pour ce rapport juridique aux lois du pays où la chose se trouve (1).

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par suite de la fiction qui les répute se trouver au lieu régi par ce même statut. » On trouve dans Fœlix, 61, Bar, § 59, note, Laurent, t. VII, 162-168, l'énumération d'un grand nombre d'auteurs, tous partisans de la règle Mobilia personam sequuntur. V. aussi Schaffner, § 65. (1) Waechter, t. XXIV, p. 292-298; t. XXV, p. 199-200, 383-389. Savigny, § 366. M. de Bar rejette, comme renfermant une pétition de principe, la soumission volontaire de Savigny, et développe la doctrine de Waechter en en recherchant le fondement rationnel (§ 58). Muehlenbruch a précédé Waechter dans l'application de la loi de la situation aux meubles; voici ce qu'on lit au § 72 de sa Doctrina Pandectarum : « Jura quæ proxime rebus sunt scripta.... æstimantur ex legibus ejus civitatis, ubi res, de quibus agitur, sitæ sunt ac collocatæ, nullo rerum immobilium et mobilium habito discrimine. » Il invoque la loi 38, au Digeste, De judiciis, 5, 1, et remarque «< Dissentiunt quicumque de hocce argumento scripsere, tantum non omnes. » Lui-même cite Tittmann (1822), § 51, et Ferd.A. Meissner, Vollstændige Lehre vom stillschweigenden Pfandrechte (Leipzig, 1803-1804), au § 23. Foelix (61) répond à Muehlenbruch, Tittmann et Waechter. Il est juste de remarquer que Fœlix, en donnant la règle que les meubles suivent la personne, a fait d'importantes réserves (62) : « La règle, dit-il, est sans application dans tous les cas où les meubles n'ont pas un rapport intime avec la personne du propriétaire... Dans tous ces cas, il faut appliquer la loi du lieu où les meubles se trouvent effectivement; car ladite fiction cesse par le fait. » M. Schaffner (§ 66) ne se prononce pas nettement; M. de Bar paraît le classer au nombre des partisans de la doctrine nouvelle.

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Plusieurs auteurs récents ont adhéré à la doctrine nouvelle et ne font plus de distinction générale entre les meubles et les immeubles (1).

(1) Ainsi M. de Bar, déjà cité, Keller, R. Schmid, MM. Beseler, Windscheid, Fiore, 199.

M. Wharton se prononce catégoriquement en faveur de la loi de la situation pour les meubles, §§ 297 et 305-311, et Southern Law Review, tome VI (janvier 1881). Il justifie le changement de règle, outre les motifs juridiques, par des considérations économiques et politiques fort intéressantes. En somme, il formule la règle suivante: «< Movables, when not massed for the purposes of succession or marriage transfer, and when not in transit, or following the owner's person, are governed by the lex situs; though in some jurisdictions an exception may be made in cases where all the parties, being subject to a common domicile, are held to be bound by the law of that domicile. >> Commentaries, § 304 : « The prevalent opinion now is that movables are governed by the lex rei sitæ. »

M. Westlake (p. 154-167 ets.) adhère aussi à la loi de la situation. Il a résumé ses conclusions et l'état actuel de la jurisprudence anglaise comme suit, R. D. I., t. XIV, p. 287 : « Le jugement in rem d'un tribunal du situs fait loi quant à la propriété d'une chose mobilière. Là où tel jugement n'est pas intervenu, le transfert ou l'acquisition de la propriété d'une chose mobilière, ou de droits réels de telle espèce que ce soit sur une telle chose, sera décidé en règle générale d'après la lex situs. Mais s'il s'agit d'un navire dont on prétend que la propriété a été transférée ou affectée pendant qu'il était en mer, il faut décider d'après le statut personnel du propriétaire. Et on ferait de même si le situs réel était tellement fortuit ou passager qu'il ne saurait avoir été pris en considération par les parties; comme, par exemple, dans le cas de marchandises qui, au moment qu'on a voulu les vendre ou affecter, peuvent s'être trouvées sur un navire ou dans un magasin appartenant à un tiers pays. Dans l'application aux créances des principes ci-dessus énoncés, le forum dans lequel il faut actionner le débiteur sert comme situs. » Private international Law, §§ 140-142.

Quant aux auteurs récents de droit français, ils sont partagés. M. Demolombe (Titre préliminaire, ch. III, no 96), après avoir parlé des meubles comme universalité, dit que « les meubles, considérés individuellement, ne seront plus régis que par la loi de leur situa

Savigny lui-même, cependant, a montré qu'il convient de distinguer entre les meubles destinés à rester en place

tion actuelle, » et il déclare appliquer ce principe: 1o à tout ce qui concerne les effets de la possession, les privilèges, les voies d'exécution; 2o à l'attribution à l'État, par droit de déshérence et en quelque sorte d'occupation, des meubles laissés en France par l'étranger décédé sans successeur. Zachariæ, Aubry et Rau, § 31 (p. 102 de la dernière édition) : « Le statut réel français s'applique également aux meubles corporels et aux créances qu'un étranger possède en France, en tant du moins qu'on envisage ces objets en eux-mêmes, et non comme partie intégrante d'une hérédité. » Exemples: les articles 2279 et 1141, 2074, 2076, 2119 régissent les meubles corporels acquis par un étranger ou possédés par lui, comme ceux des Français; de même, pour les créances, les articles 1690, 1691, 2075. M. Arntz (I, 67) pose la même règle, qui est représentée comme généralement admise. Brocher, I, 48, 117: «< Considérées isolément et en elles-mêmes, les valeurs mobilières sont soumises à la loi du lieu de leur situation effective, pour ce qui tient à la possession, aux droits spéciaux dont elles peuvent être les objets et aux mesures d'exécution s'y rapportant. » Arrêts Paris, 15 novembre 1833 (Sirey, 33, 2, 53). Cassation française, arrêt Craven, 19 mars 1872 (Dalloz périodique, 1874, I, 465). Rouen, 22 juillet 1873 (Ibid., II, 180).

On fait remarquer d'autre part que c'est la théorie traditionnelle qui est consacrée par l'article 3, et que, dans cette théorie, le brocard Mobilia sequuntur personam s'entend des meubles pris individuellement aussi bien que des universalités; qu'il n'est donc pas permis de proclamer, comme droit actuellement en vigueur, la réalité des meubles. Telle est la thèse de M. Barde (p. 110-134, spécialement p. 126) Les meubles sont régis par la loi du domicile. M. Laurent (t. VII, 144; VI, 135; II, 146) croit que la théorie traditionnelle est pour la loi nationale; il estime, en conséquence, et conformément à sa tendance générale, que les meubles sont régis par la loi nationale du propriétaire. M. Massé (I, 551-556) tient pour la loi du domicile, avec plusieurs exceptions.

Il convient de faire observer que les doctrines opposées aboutissent très souvent à un résultat identique. Comme le dit M. Barde, « si,en droit, les meubles pris individuellement sont, comme les universalités mobilières, soumises à la loi du domicile, en fait et pour des raisons d'ordre public, le principe est rarement applicable.

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