Imágenes de páginas
PDF
EPUB

» d'abord par Scylax de Caryande, selon lequel les Mysiens et les Phry»giens habitoient autour du lac Ascanie, ensuite par Denys, &c. » (1). II est question, en effet, des Phrygiens et des Mysiens dans le périple; mais la circonstance rapportée par Strabon ne s'y trouve plus. Le baron de Sainte-Croix prétend que les copistes l'ont retranchée; mais dans quel but l'auroient-ils fait ! Il y a plus même; c'est que, dans l'état actuel du périple, on ne voit pas où cette circonstance auroit pu trouver place: il est clair qu'elle faisoit partie d'un ouvrage plus détaillé. On doit remarquer que ces deux passages sont les seuls où, dans toute sa géographie, Strabon a cité Scylax; cependant il s'y rencontre bien d'autres endroits qui ont une grande analogie avec notre périple; d'où vient donc qu'il ne l'a point cité ailleurs! le voici, je pense: j'ai déjà fait observer que Dicéarque et Scymnus de Chio, dans les passages relatifs à la Grèce, où ils se rapprochent le plus de notre périple, ne parlent jamais de Scylax. Tous les passages de Scylax cités par les anciens ne se rapportent qu'à l'Asie mineure (2): il en résulte une grande proba

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

(1) Strab. XII, p. 566. Tr. fr. tom. IV, 6, p. 87. M. Gail fils a cru pouvoir tirer de ce passage de Strabon une preuve de la haute antiquité de Scylax. Scylax est cité par Strabon (en cet endroit) comme un ancien géographe auquel il remonte comme à une des premières sources géographiques (p. 3). Mais il a donné au mot @por un sens absolu, tandis qu'il n'a qu'un sens relatif: Strabon ne veut dire rien autre chose, sinon que le fait dont il parle a été rapporté d'abord par Scylax et ensuite par Denys de Chalcis, auteur des Origines des villes; ce qui prouve seulement que Scylax est plus ancien que ce Denys, dont l'époque est d'ailleurs inconnue. Strabon et Denys d'Halicarnasse sont les premiers qui le citent. (2) On ne peut objecter que ces vers de Festus Rufus Avienus ( Or. mar. v. 370.) Sed ad columnas quidquid interfunditur Unda astuantis, stadia septem vix ait Damastes esse. Caryandæus Scylax

-

Medium fluentum inter columnas adserit

Tantum patere, quantum æstus Bospori est.

passage de Scylax auquel le poëte fait allusion, n'existe pas dans notre périple, et n'a jamais pu y être, puisque la largeur du détroit des colonnes y est indiquée comme étant d'un jour de navigation (p. 1), ce qui est fort différent de sept stades; mais, comme cette mesure de sept stades est précisément celle que notre périple donne au Bosphore de Thrace, je crois qu'Avienus a fait tout simplement une confusion de deux faits distincts, d'où est résulté un rapprochement inexact: au lieu de dire que, selon Scylax, la largeur du détroit des colonnes est égale à celle du Bosphore, il auroit dû dire que la largeur de ce détroit, selon Damastès, étoit égale à celle que Scylax donnoit au Bosphore. Les citations des anciens, si souvent faites de mémoire, présentent des erreurs bien plus fortes que ce malentendu. C'est là, je crois, la vraie explication de cette difficulté.

bilité que le livre de Scylax ne contenoit que le périple des côtes qui formoient le littoral de l'Asie mineure, depuis le Bosphore jusqu'en Cilicie. Cet ouvrage seroit alors la source d'où cette portion de notre périple auroit été tirée; et par-là on expliqueroit ce fait constaté plus haut, que la description des côtes de l'Asie mineure annonce une époque antérieure à la retraite des Dix mille: dans ce cas, le Scylax de Strabon a pu vivre dans le cours du v. siècle avant J. C., ce qui rend trèsbien compte de l'épithète d'ancien que lui donne ce géographe. Voici, à l'appui de cette conjecture, un fait qui jusqu'ici n'a trouvé d'explication satisfaisante dans aucun système: Artémidore, dans les extraits donnés par Marcien d'Héraclée, énumérant les auteurs qui ont laissé des périples, soit généraux, soit partiels, tels qu'Apellas de Cyrène, Euthymène de Marseille, Philéas d'Athènes, Androsthène de Thasos, &c., cite Scylax de Caryande et Botthæus, qui tous deux ont indiqué les distances maritimes par jours et nuits, et non point par stales (1). Comme, dans notre périple, les distances sont évaluées aussi souvent en stades. qu'en jours, on n'a su comment lui appliquer ce passage si formel. Le baron de Sainte-Croix, fidèle à son système d'interpolations, suppose que toutes les mesures en stades ont été introduites dans le périple par quelques copistes (2); mais se tirer ainsi d'une telle difficulté, c'est convenir qu'on ne peut la résoudre. Je remarque que, précisément dans la partie de notre périple comprise entre le Bosphore de Thrace et la Cilicie, il n'y a pas une seule mesure qui ne soit exprimée en jours et nuits; il est donc bien vraisemblable que le périple de Scylax, dont parle Marcien d'Héraclée, est celui-là même que Strabon a cité, et que c'étoit un périple partiel, borné à la description de cette étendue de côtes.

Que la compilation de notre périple ait été l'ouvrage d'un Scylax dont l'histoire n'a point parlé, ou qu'on ait appliqué à la compilation entière le nom d'un des auteurs qui avoient été mis à contribution c'est ce qu'il est maintenant impossible de décider: mais la dernière conjecture mérite la préférence; car il me paroît à-peu-près certain que l'auteur de cette compilation vivoit à Athènes; en effet, en parlant

(1) Οὗτοι δὲ ἑκάτεροι διὰ τῶν ἡμερησίων πλῶν ἢ διὰ τῶν ταδίων τὰ διασηματα τῆς Jardans edúrwoar, p. 63, tom. 1, Huds. Au lieu de mv, le texte porte xwr, qui est absurde; Vossius a lu nr, dont le sens est clair, mais qui n'est peutetre pas fort grec en ce sens. Je lis mar, leçon très-voisine du texte; car les deux leçons, mises en lettres capitales, se ressemblent extrêmement, HXON, HAON: il n'y a rien de plus commun que la confusion du II et du H, du X et du A. — (2) Pag 379.

de l'isthme de Corinthe, il dit que le chemin à travers cet isthme est de 40 stades, depuis la mer (de Corinthe) jusqu'à notre mer, pòs ThY Minu danawav (1): cette expression, pour désigner le golfe Saronique, annonce assez clairement un Athénien.

A quelle époque cette compilation a-t-elle été rédigée! Cette question, sur laquelle on a tant insisté, me paroît insoluble. Dans l'état où j'ai mis la discussion, il n'y auroit plus que les indications tirées du style dont on pourroit se servir; mais celui du périple convient au siècle d'Alexandre aussi bien qu'à celui de Polybe: aussi les partisans de l'ancienneté de ce livre, le baron de Sainte-Croix (2) et M. Gail fils, ont-ils été obligés de supposer qu'il avoit été traduit de l'ionien en langage commun; hypothèse toute gratuite, et j'ajoute bien peu probable pour un livre de ce genre; car le grand nombre d'anciens périples écrits dans le dialecte ionien avoit tellement habitué à voir ce dialecte employé pour de tels ouvrages, qu'au second siècle de notre ère, Arrien le choisit pour la rédaction de ses Indiques, qui contiennent le périple de Néarque.

Dodwell, d'après le passage de Suidas, a conjecturé que le rédacteur du périple étoit contemporain de Polybe: on lui a objecté que ce Scylax n'auroit pu manquer de glisser dans son livre quelque trace de l'époque à laquelle il vivoit. Cet argument négatif n'est pas sans force; mais il ne suffiroit pas à lui seul pour faire rejeter f'opinion du savant anglais. L'histoire de la géographie fournit plus d'un exemple de compositions géographiques rédigées à une époque récente, et qui cependant ne présentent aucune trace de cette époque. Par exemple, S. Basile le Grand, dans un résumé géographique assez détaillé, s'appuie uniquement sur la géographie d'Ephore (3), laissant de côté ou ignorant les résultats des découvertes de sept siècles ; Nicéphore Blemmide, au XIII. siècle de notre ère, a rédigé un abrégé géographique (wapía ouvo), qui n'est qu'un extrait fidèle du poëme de Denys le Périégète; et si, ne connoissant pas plus Nicéphore Blemmide que nous ne connoissons l'auteur du périple dit de Scylax, nous étions obligés de chercher son époque dans les faits géographiques qu'il énonce, nous pourrions nous tromper

(1) Pag. 15, Huds. 34, Gron. - (2) M. Gail, frappé de la difficulté qui résulte, pour son hypothese, de ce que le périple est écrit dans le dialecte commun, dit que personne n'a fait jusqu'ici cette objection (pag. 56). Cependant M. Sainte-Croix l'a faite et résolue depuis long-temps de la même manière (p. 380, Ac. inscr. tom. XLII).- (3) In Hexaëmeron; Opp. 1, 27, sq.

de douze ou treize cents ans. La seule chose qui nous avertiroit de la méprise, ce seroit le style, où le philologue exercé sauroit bien reconnoître les traces d'une époque plus récente. Si l'on applique ces exemples au périple dit de Scylax, on voit qu'il n'est pas très-sûr de prendre l'époque des faits géographiques les plus récens pour celle de la rédaction de l'ouvrage; ils montrent seulement la limite au-dessus de laquelle on ne peut la placer, mais ils laissent dans une grande incertitude sur la limite inférieure. Le caractère du style atteste bien que la rédaction est beaucoup plus ancienne que celle qui fui étoit assignée par Vossius le père dans la période Lyzantine. Pour moi, en rapprochant du style l'ensemble des faits qui composent l'ouvrage, je me sens fort enclin à en placer la rédaction entre l'an 356 et la mort d'Alexandre. Cette opinion me semble la plus probable et la plus concordante avec toutes les données; ce qui ne m'empêche pas d'avouer que je ne vois pas quelle raison solide on pourroit opposer à celui qui préféreroit l'époque admise par Dodwell, ou même une époque un peu plus récente encore.

Mais ce qui n'est point incertain, ce qui résulte clairement de l'ensemble de ces observations, c'est que le périple est réellement une compilation, et que les diverses parties en ont été tirées de matériaux, d'une date approximativement connue, dont les plus récens sont du règne de Philippe de Macédoine. Ce résultat étoit plus nécessaire à établir que la date précise de la rédaction, date qu'il me paroît maintenant impossible de déterminer autrement que par des suppositions plus ou moins probables; mais qui, heureusement, n'est d'aucune importance pour l'histoire de la géographie.

LETRONNE.

DISCOURS sur les révolutions de la surface du globe, et sur les changemens qu'elles ont produits dans le règne animal; par M. le baron G. Cuvier: troisième édition française. Paris, 1825, in-8.o

SECOND EXTRAIT (1).

Nous sommes arrivés, avec M. le baron Cuvier, à l'époque la plus importante dans l'histoire des révolutions survenues à notre planète ;

(1) Voyez le cahier de décembre 1825, p. 789..

c'est celle qui marque le commencement de l'âge où nous vivons, et où dut s'opérer le plus récent de ces grands changemens, celui qui fit prendre aux continens la forme que nous leur voyons aujourd'hui. Il reste donc à examiner ce qui s'est passé à la surface du globe. depuis qu'elle a été mise à sec pour la dernière fois. Cet examen peut avoir plus d'un genre d'intérêt: il s'applique à des événemens plus rapprochés de nous et qui nous touchent, pour ainsi dire, plus directement; il peut conduire à déterminer le temps où remonte la dernière révolution terrestre, et par conséquent l'établissement de nos sociétés actuelles; et ce résultat, l'un des plus importans de la saine géologie, est d'autant plus précieux, qu'il rattache, par une chaîne non interrompue, l'histoire civile à l'histoire de la nature.

En mesurant les effets produits dans un temps donné par les causes qui agissent aujourd'hui, et en les comparant avec les effets qu'elles ont produits depuis qu'elles ont commencé d'agir, on parvient à fixer à-peu-près l'instant où leur action a pris son origine: ce principe, dont on ne sauroit contester la justesse, pourvu qu'on n'en fasse l'application qu'à des phénomènes dont la marche est invariable et qui soient de nature à n'avoir pu être ni totalement interrompus, ni considérablement modifiés depuis l'époque dont il est question, suppose des observations attentives et plusieurs fois réitérées, si l'on veut éviter les chances d'erreur qui pourroient résulter de l'influence de causes purement locales ou de perturbations imprévues. On borne à quatre le nombre des effets de ce genre qui ont dû commencer à s'exercer immédiatement après la dernière retraite des eaux, et qui ne semblent avoir éprouvé depuis cet événement aucune altération de quelque importance. Les escarpemens ont formé, par des éboulemens, des collines de débris qui en recouvrent le pied. Les fleuves ont pris leur cours actuel et ont entraîné des parties solides qui ont donné naissance aux attérissemens. La végétation a produit le terreau; et celle qui opère à la surface des eaux marécageuses, a donné naissance aux tourbières. La mer a exercé son action érosive sur les falaises, et les dunes ont obéi à la force du vent. On ne comprend pas dans cette énumération les volcans, qui n'ont que des éruptions irrégulières, et qui d'ailleurs pourroient avoir existé sous la mer, avant qu'elle eût laissé les continens à sec. Mais on y ajoute un autre genre de renseignemens propres à contrôler ceux qu'on tire de ces faits purement physiques : ce sont les souvenirs des colonies humaines qui, depuis la même époque, ont, dit l'auteur, commencé ou recommencé à se répandre et à faire des établissemens dans les lieux dont la nature l'a permis.

« AnteriorContinuar »