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chez les Bouddhistes du nord et chez ceux du midi. Une chose qu'il est naturel d'en conclure, c'est que les colonies religieuses qui ont le mieux conservé l'idiome parlé doivent remonter à une époque plus ancienne que les autres; et cette supposition est confirmée par les traditions qui font voir le bouddhisme parlé dans les contrées septentrionales antérieurement à la conversion des habitans de Ceylan. La langue mère a pu s'altérer et donner naissance au dialecte dérivé, pendant les siècles qui se sont écoulés entre les deux prédications; ou plutôt la religion de Bouddha a pu pénétrer ou se perpétuer dans les régions où le pali étoit établi, et adopter, en se popularisant, cet idiome secondaire, au lieu du samscrit. Il faut donc rechercher parmi les dialectes actuellement établis dans l'Hindoustan, quels sont ceux qui offrent le plus grand nombre de rapports avec le pali: c'est l'objet des deux derniers paragraphes du chapitre IV.

Les Singalois, outre la dénomination commune de pali, donnent encore à ce dialecte le nom de mangata, et les Barmans celui de magata ou magada bâsâ. Ce nom avoit induit Leyden à supposer que le pali pourroit être l'idiome magadhi, ou le langage particulier de la province de Magadha ou de Béhar. Le Magadha est la patrie de Bouddha, et c'est une raison de plus de penser que la langue de ses sectateurs en pourroit être originaire. MM. Burnouf et Lassen comparent le dialecte magadhi avec le pali, le pracrit et le samscrit, et ils y trouvent des signes d'altération plus marqués, une dégénération plus prononcée. Dans l'ordre où l'on a coutume de ranger les dialectes dérivés, selon leur analogie avec la langue mère, le magadhi n'occuperoit que la quatrième place; et dans tous les cas où le magadhi s'éloigne du pracrit, il s'éloigne également du pali. Ces observations empêchent nos auteurs d'admettre l'opinion de Leyden à cet égard. Toutefois leur comparaison, dont nous sommes loin de contester la justesse, n'ayant pu s'opérer que sur le dialecte magadhi moderne, altéré par l'usage que le peuple en a fait depuis bien des siècles, on seroit tenté de croire que le pali pourroit être l'ancien magadhi, le dialecte provincial en usage dans le Béhar au temps de Bodhisatoua, lors de cette seconde rédaction des livres sacrés qui les a fait passer à Ceylan. MM. Burnouf et Lassen pensent que le nom de magadha a pu être donné au pali, parce que celui de magadha auroit été étendu du Béhar à l'Hindoustan entier, de sorte que cette dénomination indiqueroit seulement son origine indienne. L'autre hypothèse, que nous soumettons à leur jugement, nous paroîtroit encore plus plausible.

Le pracrit proprement dit est le langage des Djaïnas, secte reli

gieuse qui a beaucoup d'analogie avec les Bouddhistes: c'est de plus le premier et le principal des dialectes dérivés du samscrit. A ce double titre, la comparaison.qu'on en peut faire avec le pali méritoit de fixer l'attention des deux auteurs: aussi y ont-ils consacré l'une des sections les plus étendues et les plus savantes de leur Essai. Nous devons ici, comme pour le chapitre III, passer sous silence les particularités grammaticales qui constituent la base du raisonnement, pour arriver à la conclusion, qui est que les deux dialectes sont presque identiques, et que, de même que le pali est dérivé du samscrit, de même le pracrit paroît dérivé du pali, de sorte que l'antériorité du pali des Bouddhistes sur le pracrit des Djaïnas paroît complètement dé

montrée.

Tel est. l'ensemble des faits et des raisonnemens contenus dans l'Essai sur le pali. Le résumé en est présenté en très-peu de mots à la fin de l'ouvrage ; et nous aurions pu, comme on l'a fait dans un rapport adressé sur ce sujet au conseil de la Société asiatique, transcrire ici ce résumé, s'il n'eût offert la répétition d'une partie de ce que l'on vient de lire dans notre extrait. Après les observations de détail et les considérations générales qui sont rassemblées dans l'ouvrage, on a voulu faire l'application des unes et des autres au contenu des manuscrits pali que l'on conserve à la Bibliothèque du Roi. Ainsi ces manuscrits, qui avoient été si utiles aux recherches de MM. Burnouf et Lassen, ont à leur tour été éclairés par le résultat de leur travail. Ils sont au nombre de dix, formant ensemble seize volumes, dont plusieurs avoient passé, sur des indications fautives, pour des livres siamois, et dont aucun n'avoit pu être déchiffré jusqu'à ce jour. Le plus considérable est un beau livre envoyé de Sian par les missionnaires et contenu dans sept boîtes. Le titre de Boromat qu'on y voit inscrit n'est pas le véritable: ce dernier signifie en pati le livre des principes religieux. On y trouve un exposé de la doctrine philosophique de Bouddha, offrant pour le fond et pour l'arrangement une analogie marquée avec le vocabulaire pentaglotte que nous avons fait connoître en 1811. Outre les extraits qu'on a tirés de ce manuscrit, et qui contiennent un assez grand nombre de passages en pali, avec une traduction en latin et en samscrit, on en a donné sur la planche 111 un specimen, avec l'alphabet particulier qui s'y rapporte. Le Phatimokkha est un second ouvrage pali écrit sur une seule feuille de quatre aunes trois quarts de long, pliée cinquante-quatre fois sur elle-même, à la manière d'un paravent. Le P. Paulin en avoit donné l'indication d'après Carpanus, et, précédemment, la Loubère en avoit aussi

transcrit quelques lignes. MM. Burnouf et Lassen font connoître ce manuscrit de la même manière que le premier, par des extraits et par un fac-simile. C'est une sorte d'ouvrage liturgique ou de rituel, à l'usage des prêtres de Siam, communément appelés talapoins. Le n. n'est malheureusement qu'un fragment. Ce seroit, s'il étoit complet, le plus intéressant de cette précieuse collection: on y trouve des commentaires sur quelques-uns des noms de Bouddha, contenus dans la première section du vocabulaire pentaglotte; et comme ces noms sont, dans le manuscrit pali, arrangés de la même manière que dans le vocabulaire, on a lieu de croire que l'ouvrage entier jetteroit beaucoup de jour sur la nomenclature philosophique que contient ce dernier. Six autres manuscrits sur des sujets religieux offrent un mélange de pali et de siamois: mais le plus remarquable de tous ceux que possède le cabinet du Roi est celui dont le P. Paulin avoit parlé, d'après un exemplaire tout semblable de la bibliothèque de la Propagande, et dont Buchanan avoit donné une paraphrase rédigée par le P. San-Germano. Čet admirable manuscrit est formé de feuilles enduites d'un vernis doré, et offre une écriture carrée qui a fourni l'un des alphabets les plus curieux de l'Essai sur le pali. C'est un dialogue sur les devoirs des religieux, sous le titre de Kammouva. La magnificence extérieure de ce manuscrit l'avoit depuis long-temps fait exposer aux yeux du public dans les galeries de la Bibliothèque du Roi; mais il y étoit indiqué comme un manuscrit siamois, parce qu'on n'avoit pas songé à le conférer avec les specimens qu'avoient publiés le P. Paulin (1) et Amaduzzi (2). Les extraits qu'on en donne ici sont infiniment plus satisfaisans, et la planche lithographiée en représente l'écriture avec une parfaite exactitude. Les notices dont nous venons de parler suffisent assurément pour l'objet qu'on s'est proposé dans l'Essai sur le pali, et elles ajoutent en quelque sorte aux richesses du cabinet du Roi, puisque c'est faire une véritable acquisition que d'obtenir l'intelligence de livres qu'on ne pouvoit ni comprendre ni déchiffrer. Toutefois l'intérêt même des matières contenues dans ces ouvrages semble appeler de nouveaux détails et des développemens plus étendus; et c'est un travail qu'on est en droit d'attendre de celui des auteurs de l'Essai sur le pali qui peut ultérieurement se livrer à un examen plus approfondi des mêmes

manuscrits.

L'ouvrage est terminé par une table de tous les mots pali, tant

(1) Mus. Borg. Velletr. codd. mss. p. 11. -- (2) Alph. Barm, tab. ad p. xlv.

simples que composés, qui y ont été cités et expliqués. Le nombre s'en élève à plus de six cents, et c'est un vocabulaire absolument neuf qu'il faut ajouter à ceux qu'on possédoit pour les autres langues de l'Inde. Les mots pali y sont, comme dans le corps de l'ouvrage, transcrits en lettres latines; mais, pour les passages samscrits qui sont répandus en assez grand nombre dans l'Essai, on a fait usage des beaux caractères samscrits dont la Société asiatique de Paris doit une fonte à la munificence de sa majesté le roi de Prusse. Les planches ont été dessinées par l'un des deux auteurs, avec un soin, une élégance et une exactitude qui en font un digne ornement d'un livre déjà si recommandable. La Société asiatique a accueilli ce travail, et elle a fait les frais de l'impression. Elle doit s'applaudir de l'avoir vu naître dans son sein, et d'avoir eu les moyens d'en faire jouir le public. De pareilles productions honorent ceux qui les composent et ceux qui sont en état de les encourager. On remarque dans celui-ci un excellent esprit de critique, une discussion lumineuse, une méthode très-philosophique, beaucoup de faits nouveaux et de considérations d'un haut intérêt (i). Sans séparer la part que chacun des deux auteurs a prise à ces recherches, on peut dire que l'un s'annonce comme le digne disciple d'un maître illustre, et que l'autre se montre capable de soutenir avec honneur un nom déjà célèbre dans l'université. J. P. ABEL-RÉMUSAT.

Principes de lA CHIMIE établis par les expériences, ou Essai sur les proportions définies dans la composition des corps, par Th. Thomson, professeur de chimie à l'université royale de Glasgow, &c., publiés avec l'assentiment de l'auteur. Paris; chez Crevot, rue de l'École de Médecine, n.° 3, 1825, 2 vol. in-8.o xj, 451 et 502 pages.

C'EST assurément une chose bien remarquable dans l'histoire des

(1) C'est encore une circonstance fort heureuse pour les auteurs de l'Essai sur le pali, que la publication de leur ouvrage soit, comme il paroît, entrée pour quelque chose dans la détermination que vient de prendre le chevalier Alexandre Johnston, de publier la traduction et peut-être le texte de plusieurs ouvrages pali, historiques, religieux et grammaticaux, qui font partie de la collection précieuse qu'il a formée durant son séjour à Ceylan. Cette publication est annoncée par un prospectus que nous ferons prochainement connoître.

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sciences d'expérience et d'observation, que la renommée si différente qui est attachée aux noms des auteurs des découvertes du premier ordre. Ainsi Lavoisier est placé à la tête des chimistes par ses travaux sur la combustion, tandis que le nom de l'allemand Wenzel est à peine cité dans le straités de chimie; cependant, dans l'année même (1777) où le chimiste français présentoit à l'Académie des sciences les conclusions générales des travaux qu'il avoit entrepris depuis long-temps pour apprécier le rôle de l'air dans la combustion, Wenzel publioit en Allemagne une Théorie des affinités des corps; il prouvoit, par des analyses d'une exactitude surprenante pour le temps, que les poids des alcalis et des terres, ou plus généralement les poids des bases salifiables, sont entre eux dans un rapport constant, quelle que soit la nature de l'acide auquel ces bases se combinent. Il déduisoit de ce fait général une conséquence importante; c'est que des sels neutres qui se décomposent réciproquement doivent produire deux nouveaux sels neutres. Ces belles observations, qui aujourd'hui sont les exemples les plus frappans des proportions définies suivant lesquelles les corps se combinent, n'eurent, pour ainsi dire, aucune influence sur les progrès de la science: ceux qui lurent le livre de Wenzel n'y virent que des analyses de sels; ils n'aperçurent pas le principe qu'elles établissent, ni conséquemment tout ce qui résultoit de ce principe pour la composition des corps en général, A cette époque, la chimie étoit réduite à la théorie de la combustion; les uns la trouvoient toute entière dans les mémoires de Lavoisier; les autres, moins prévenus pour les idées nouvelles, tenoient plus ou moins à l'hypothèse de Stahl. Si quelque chose démontre combien sont rares les hommes qui font avancer les sciences par leurs propres méditations, en comparaison de ceux qui se bornent à développer quelques points secondaires de doctrine déjà connus, c'est sans doute l'exemple que nous venons de citer, II falloit, au reste, que les idées de Wenzel eussent bien peu de rapport avec les idées dominantes, pour qu'elles ne fissent pas plus de sensation en 1792, 1793 et 1794, lorsque Richter les reproduisit dans ses Élémens de stachyométrie.

Les travaux de Wenzel ne prirent leur place dans l'histoire de la science qu'à l'époque où les recherches de Proust, de Dalton, de GayLussac, de Wollaston, de Berzelius, &c., concoururent à faire adopter le système atomistique comme l'hypothèse la plus heureusement imaginée pour lier les phénomènes que les corps présentent, quand on les envisage sous le rapport de la constance du petit nombre des proportions, où ils forment les composés chimiques les mieux carac

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