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qui s'avancent sans aucun moteur apparent, en sorte qu'on seroit tenté de les prendre pour un phénomène naturel, puis passent rapidement, n'ayant presque d'autre obstacle à vaincre que la résistance de l'air, et disparoissent bientôt, emportant avec elles et l'homme qui dirige chacune d'elles, et le charbon qui les alimente, et le convoi qu'elles conduisent. Sont-elles arrivées au terme de leur voyage, cet homme ferme une soupape, et tout ce grand mouvement cesse, tout ce long convoi de chariots s'arrête presque instantanément. Ce même homme peut, à sa volonté, porter la machine en avant ou la forcer de repousser le convoi en arrière: il est maître de tous ses mouvemens, et elle lui obéit, comme un cheval docile obéit à la main de son conducteur.

Maintenant, si l'on veut soumettre ces machines à un examen réfléchi, si l'on veut reconnoître quel avantage on doit trouver à les employer de préférence aux chevaux, il faut savoir quelle dépense de combustible elles exigent pour fournir, pendant un temps donné le même effort qu'un nombre donné de chevaux; et cette dépense une fois connue, on peut se décider entre ces deux sortes de moteurs, d'après le prix comparatif du charbon, et de la nourriture des chevaux, dans les localités où la route est ou doit être établie. Cette question importante a été long-temps négligée en Angleterre, parce que les machines locomotives n'étoient encore appliquées qu'au service des houillères de Newcastle; et, dans ce pays, l'abondance du charbon exploité est souvent presque embarrassante, en sorte qu'on ne songeoit nullement à tenir un compte exact d'une dépense dont l'importance étoit nulle on ne tentoit même pas de la diminuer par aucun perfectionnement de construction; et aujourd'hui encore ces machines ont un mode de chauffage d'une imperfection extrême. On peut cependant trouver une évaluation assez exacte de leur dépense actuelle, dans l'exposé des expériences nombreuses auxquelles M. Wood les a soumises, en les éprouvant concurremment avec des chevaux sur les mêmes chemins de fer et dans les mêmes circonstances; et c'étoit là une condition indispensable de cette comparaison, puisque la résistance opposée au moteur peut être modifiée par la forme des axes, par celle des bandes dont la voie est composée, et par d'autres causes que nous avons déjà signalées. Peut-être doit-on regretter que cet habile ingénieur n'ait pas pu choisir pour ses essais des routes d'une pente à-peu-près uniforme, sur lesquelles les chevaux auroient pu développer leur action d'une manière plus avantageuse que sur les pentes très-irrégulières dont il s'est servi; et c'est à cette cause sans doute que tiennent les écarts singuliers qui se rencontrent dans ses

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différentes expériences sur la force des chevaux. En supposant toutefois que les résultats de M. Wood donnent une approximation suffisante de la vérité, on trouvera que, pour développer un effort égal à celui qu'un seul cheval exerceroit dans une heure, une machine locomotive brûle environ douze kilogrammes de houille, ce qui montre combient la consommation de ces machines est plus grande que celle des machines ordinaires de nos manufactures, où la dépense nécessaire pour produire la force d'un cheval ne s'évalue généralement qu'à cinq ou six kilo-' grammes par heure. Mais la disproportion est encore plus grande que ces nombres ne semblent l'indiquer, parce que l'unité abstraite de force qui est depuis long-temps adoptée et employée sous le nom d'un cheval, dans les évaluations comparatives de la puissance des machines à vapeur, représente une quantité de force bien supérieure à celle d'un cheval ordinaire, en sorte que la dépense nécessitée dans une machine locomotive pour obtenir cette unité de force, ou la dépense d'un cheval de charbon, monteroit à quatorze ou quinze kilogrammes par heure. Sans doute cette disproportion pourroit être diminuée par divers perfectionnemens; mais on voit que, jusqu'à présent, il seroit faux de croire que ces machines puissent être employées par-tout et dans toutes les circonstances, comme on l'avoit d'abord annoncé. Telles qu'elles sont maintenant, leur emploi doit être borné à des situations où le charbon est à très-bas prix, comme au milieu d'exploitations houillères, tandis qu'il y auroit une véritable imprudence à hasarder un pareil système de moteurs dans des situations où le charbon seroit rare et d'un prix élevé. Ainsi, sur le chemin de fer qu'on projette d'établir de Paris au Havre, il ne conviendroit probablement pas d'employer pour moteur des machines locomotives; car, outre le prix déjà assez élevé du charbon à Paris, la machine, pour effectuer son trajet dans la Picardie et la Normandie, devroit emporter avec elle la quantité de charbon nécessaire à tout le voyage, quantité qui, pour une machine de huit chevaux, semblable à celle de Newcastle, monteroit à six tonnes environ, et diminueroit d'une manière sensible le poids utile dont la machine pourroit effectuer le

transport.

On a beaucoup célébré en Angleterre, et, d'après les Anglais, on a célébré aussi en France les vitesses singulières de ces moteurs nouveaux. On a avancé que ces machines pouvoient transporter des marchandises pesantes, telles que la houille, l'ardoise, la pierre à bâtir, avec une étonnante célérité ; et l'on est parti de là pour assurer qu'elles seroient bientôt employées à transporter des marchandises

légères, ou des hommes, avec des vîtessés bien supérieures à celles des voitures publiques ordinaires menées par des chevaux. Cette idée, dégagée de tout le merveilleux dont on l'a entourée, ne contient rien d'absolument invraisemblable. En effet, la vitesse absolue du cheval est nécessairement limitée par la nature de sa constitution et des forces physiques qui lui ont été départies: quelque effort qu'il fasse, il ne peut dépasser ces limites, tandis que le moteur mécanique; qui peut, comme lui, se transporter lui-même et transporter des fardeaux, devient dès-lors, comme tout instrument, susceptible de modifications et de perfectionnemens presque indéfinis, et peut ainsi atteindre des vitesses supérieures aux vitesses extrêmes du cheval ; peut-être même ces perfectionnemens ne seroient-ils fort difficiles, ni à inventer, ni à mettre en pratique. C'est ainsi, par exemple, que M. Wood a trouvé qu'une même machine, en brûlant une même quantité de combustible et chargée d'un même poids, mais étant montée sur des roues de différens diamètres, parcourt dans le même temps des espaces proportionnels aux diamètres de ces roues. Ce résultat singulier s'explique en observant que la friction des engrenages et des autres parties agissantes de la machine est toujours la même pendant la durée d'un coup de piston, indépendamment de la forme des roues, en sorte que la machine ne devra surmonter cette friction qu'une seule fois, en parcourant un espace égal au développement de la circonférence de ses grandes roues, tandis qu'avec d'autres moitié moindres, elle devroit surmonter deux fois la même résistance pour parcourir le même espace. Mais nous pouvons assurer ici que, jusqu'à présent, ces machines, telles qu'elles sont, ne peuvent, sur un terrain horizontal, conduire de pesans convois avec une vitesse de plus de deux lieues et demie à l'heure. M. Wood prétend même qu'elles ne pourront dépasser ce terme, et il s'élève avec force contre les spéculateurs qui déjà les annoncent comme devant parcourir quatre, cinq ou même sept lieues à l'heure. Mais, sans vouloir juger d'un avenir que nous ne connoissons pas, nous pouvons déclarer au moins exagérés les pompeux récits de ceux qui ont prétendu qu'elles avoient déjà atteint ce degré de perfection. On a cité, par exemple, une machine du chemin de Darlington à Stokton qui entraînoit soixante-dix tonnes avec une vitesse de cinq lieues à l'heure; mais on n'a pas dit que le chemin de Darlington, dans une grande partie de son étendue, est tracé sur une pente assez sensible pour que des chariots puissent descendre seuls, abandonnés à l'action de la gravité. D'ailleurs, si la machine se mouvoit avec cette vitesse extraordinaire,

dans les premiers temps de l'ouverture du chemin, il n'en est plus ainsi maintenant, puisque, avec des convois de cinquante-cinq tonnes; elle ne parcourt que six à huit milles dans une heure, comme l'auteur de cet article peut l'assurer. En général, on peut remarquer que ceux qui ont le plus exalté les avantages de ces machines, ont rarement cru devoir spécifier les pentes exactes des chemins sur lesquelles elles avoient déployé ces vitesses prodigieuses. Cette notion étoit pourtant un élément indispensable de la question, et il est singulier qu'on ait pu la négliger ainsi.

Les considérations précédentes nous amènent ici à entrer dans quelques détails sur l'ouvrage de M. Gray, dont l'enthousiasme pour les chemins de fer est l'image fidèle de cette ardeur immodérée de spéculations qu'une abondance extrême de capitaux avoit excitée il y a quelque temps en Angleterre. On peut même se former une idée de l'exaltation des esprits auxquels il s'adresse, aussi bien que de l'étendue de ses projets à lui-même, par le titre suivant, qu'il a donné à son ouvrage : Observations sur un chemin de fer général, ou nouvelle méthode d'exécuter les transports sur terre à l'aide de la vapeur, méthode qui dispense de l'emploi des chevaux pour toutes les voitures publiques, et dont on montrera la supériorité immense sur tous les moyens pitoyables de transport appliqués maintenant aux routes ordinaires et aux chevaux. Sans s'arrêter à calculer la quantité énorme de capitaux qui devroient être jetés à-la-fois dans l'exécution d'un projet aussi vaste, sans considérer les obstacles de toute nature que cette exécution rencontreroit, M. Gray adresse une pétition au parlement pour provoquer l'établissement, désormais indispensable, de son grand chemin de fer; et déjà il voit toute l'Angleterre couverte de routes à crémaillères sur lesquelles montent et descendent, avec une égale rapidité, ses fameuses machines locomotives, conduisant ainsi trois diligences chargées, de Londres à Liverpool en douze heures, et de Londres à Edimbourg en vingt-quatre. Déjà, dans la certitude complète où il est du succès de sa spéculation, il cherche quel emploi utile on pourra donner aux chevaux qui désormais ne seront plus employés aux transports. Sans doute un esprit actif peut prévoir avec une grande vraisemblance les avantages éloignés d'un nouveau système de communication intérieure généralement plus rapide, et sur-tout moins coûteux que tout ce qui a été exécuté jusqu'alors: mais, s'il est sage, il les prévoit en silence, et se borne, pour le moment, à indiquer les applications les plus nécessaires et les plus faciles auxquelles cette nouvelle invention peut être soumise. Il sait que l'expérience seule

peut persuader les esprits à la longue et leur inspirer cette conviction intime dont il est rempli lui-même; tandis que celui qui, par une résolution brusque, veut introduire tout-à-coup, sur une échelle immense, des inventions inusitées, et briser ainsi violemment des intérêts depuis long-temps formés ou des habitudes depuis long-temps établies, ne parvient jamais à un succès durable. Nous venons de voir tout-à-l'heure M. Wood condamnant les éloges outrés donnés aux machines locomotives; et si cet habile ingénieur a cru devoir s'élever contre leurs imprudens admirateurs en Angleterre même, où l'abondance des capitaux semble admettre une sorte de témérité dans les entreprises, combien n'est-il pas plus nécessaire de combattre aussi en France ces mêmes assertions exagérées qui s'y sont déjà introduites depuis que les chemins de fer ont commencé à devenir l'objet de l'intérêt général! Leur résultat infaillible seroit d'exciter un engouement passager pour ce genre de constructions publiques, et des espérances de bénéfices énormes que ne pourront ensuite satisfaire les premiers essais; et alors cet enthousiasme déçu seroit remplacé par une insouciance aussi absolue, ou même par un éloignement pour toute entreprise de cette nature: alors la France seroit pour longtemps privée des avantages réels que l'introduction des chemins de fer peut apporter à son commerce intérieur. Présenter au public ces espérances impossibles à réaliser, c'est donc retarder l'essor de l'industrie, bien loin de contribuer à ses progrès; c'est fournir des armes à l'agiotage et à l'intérêt de quelques spéculateurs avides d'exploiter l'enthousiasme public pour leur profit individuel. Telle ne seroit pas sans doute l'intention de ceux qui mettroient d'abord en avant de semblables idées; mais tel seroit l'effet inévitable de leurs assertions; et cet effet est assez dangereux pour qu'il nous ait paru nécessaire de prévenir ici contre elles l'attention de nos lecteurs.

ÉDOUARD BIOT (fils).

HISTOIRE ROMAINE, depuis la fondation de Rome jusqu'à l'établissement de l'empire, par M. Aug. Poirson, professeur d'histoire au college royal de Henri IV. Paris, imprimerie de Fain, librairie de Colas, 1825 et 1826, 2 vol. in-8.o Tome I, jusqu'à la fin de la seconde guerre punique, xl

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