Imágenes de páginas
PDF
EPUB

les historiens et les poëtes impose l'obligation de les rapporter. En effet, elles se sont introduites et si bien maintenues jusqu'à présent dans l'instruction classique, qu'il ne semble guère plus permis de les ignorer que d'y ajouter foi.

La classification systématique donnée par l'auteur aux matériaux de son second volume ne sera pas non plus à l'abri de toute critique. On demandera s'il y a toujours une distinction bien réelle entre les guerres qualifiées utiles et celles que l'ambition commande; si les prétextes et les excuses manquent jamais à un peuple impatient d'accroître ses domaines et sa puissance; si, comme M. Poirson finit par en convenir, toutes les guerres des Romains durant le 11. siècle avant notre ère, n'ont pas été, à deux ou trois exceptions près, injustes et funestes; s'il leur en est revenu d'autres fruits que des conquêtes inutiles et des vices qui ont amené leur propre asservissement. L'auteur ne définissant point les guerres de position, cette expression pourra sembler obscure: exprime-t-elle une idée distincte! n'est-ce que l'occasion ou le complément de l'ambition? Il faut noter que ces deux mots, souvent répétés, ne le sont pas constamment dans le même ordre. Peut-être aussi prétendra-t-on que les expéditions militaires d'une nation et ses affaires intérieures ont entre elles des rapports trop continuels et trop intimes, pour qu'il soit à propos de n'entamer le récit des secondes qu'après avoir terminé celui des premières: une division si tranchante ne doit-elle pas entraîner des répétitions ou laisser quelque obscurité sur certains détails de chacun de ces deux tableaux? On ajoutera que Tite-Live, Tacite et les plus grands historiens de l'antiquité ont suivi l'ordre chronologique, sauf les modifications accidentelles que l'intérêt des narrations pouvoit conseiller ou prescrire; que cette méthode paroît plus sûre qu'une distribution fondée seulement sur les genres et les espèces des faits ou sur les jugemens que l'on porte de leur nature, de leurs causes, de leurs résultats; qu'enfin, si ces théories contribuent à éclaircir ét à compléter l'histoire, c'est quand elles l'accompagnent ou la suivent, non quand elles la dominent et la disposent toute entière. Nous croyons pourtant que l'ordre artificiel établi dans le second tome de cette nouvelle histoire romaine peut se recommander au moins comme une sorte de méthode mnémonique: sans doute, il doit aider à saisir et à retenir les notions si multipliées et si diverses que rassemble ce volume.

Les formes de cet ouvrage, aussi bien que sa disposition, montrent que l'auteur n'a négligé aucune étude, aucun soin, pour le rendre instructif et classique. Dans les narrations, son style a fort souvent la noblesse et la pureté des modèles antiques dans lesquels il en a

puisé les matériaux. S'il ne s'est pas toujours préservé de l'influence des exemples récens et des nouvelles doctrines littéraires, les expressions et les constructions où l'on pourroit en découvrir les traces sont en assez petit nombre, et ne se rencontrent guère que dans les préambules théoriques ou dans les réflexions qui suivent les récits. Nous citerons le mot incidentellement, qu'on a pris, depuis peu, T'habitude de substituer, fort mal à propos, ce semble, à incidemment (1). Les considérations sur les Gracques commencent par cette phrase: « Il faut examiner quels élémens de succès pour les ambitieux, » d'esclavage pour Rome, les actes des Gracques, de l'aristocratie, du » sénat et des consuls, mirent dans le domaine des révolutions. » Autrefois on auroit annoncé plus simplement qu'on alloit rechercher comment les actions des Gracques, de leurs partisans et de leurs adversaires, ont contribué aux succès des ambitieux, à l'esclavage du peuple, et aux révolutions de la république : on n'eût pas mis dans un domaine des élemens de succès et d'esclavage, et nous doutons que des expressions si vagues, si obscures, si peu cohérentes, puissent enrichir beaucoup notre langue. Nous avons cru devoir les remarquer dans un ouvrage consacré à l'instruction de la jeunesse, et digne en effet de cette destination par l'utilité, l'exactitude et l'enchaînement de la plupart des développemens qu'il renferme.

DAUNOU.

LE PANTCHA-TANTRA, ou les cinq Ruses, fables du brahme Vichnou-Sarma; Aventures de Paramarta et autres contes; le tout traduit pour la première fois sur les originaux indiens M. l'abbé J. A. Dubois, ci-devant missionnaire dans le Meissour, &c., avec cette épigraphe :

par

Les fables ne sont pas ce qu'elles semblent être;

Le plus simple animal nous y tient lieu de maître :

Une morale nue apporte de l'ennui,

Le conte fait passer le précepte avec lui. LA FONTAINE.

Paris, 1816, xvj et 415 pages in-8.o

DANS l'avertissement mis par M. Colebrooke à la tête de l'édition

(1) On dit accidentel et accidentellement parce qu'accident n'est que substantif; mais incident s'emploie aussi comme adjectif, phrase incidente, &c. Il n'y a donc aucune raison de forge- l'adjectif incident.l, ni l'adverbe incidentellement au lieu d'incidemment.

du Hitoupadésa, qui a été publiée à Serampore en 1810, ce savant a fait remarquer que l'auteur de cet ouvrage, écrit en sanscrit, dit, à la fin de sa préface, qu'il en a puisé les matériaux dans le Pantcha-tantra et dans d'autres livres, manière de s'exprimer qui fait assez connoître que c'est principalement du Pantcha-tantra qu'il a emprunté les maximes et les apologues dont se compose le Hitoupadésa. « Le » Pantcha-tantra, dit M. Colebrooke, est divisé en cinq chapitres, » ainsi que l'indique le sens de son nom. Il se compose, comme le » Hitoupadésa, d'apologues, qu'un savant brahme, nommé Vichnou» Sarma, récite pour l'instruction de ses élèves, les fils d'un monarque » indien; mais il contient une plus grande variété de fables et un dialogue plus étendu que ce dernier ouvrage... ; et, en comparant » le Pantcha-tantra avec les traductions persanes des fables de Pilpay » actuellement existantes, on trouve que, soit pour l'ordre des fables, >> soit pour la manière dont elles sont racontées, il s'accorde plus » exactement avec ces traductions, que ne le fait le Hitoupadésa. »

Dans mon mémoire historique sur le livre intitulé Calila et Dimna, mémoire qui se trouve en tête de l'édition que j'ai donnée, en 1816, du texte arabe de ce livre, j'ai hasardé la conjecture que les rapports trouvés par M. Colebrooke entre le Pantcha-tantra et le livre de Calila, eussent peut-être paru plus exacts et plus nombreux, si ce savant eût pris pour objet de comparaison le texte arabe d'EbnAlmokaffa, et non la traduction persane de Hosaïn Vaëz, dans laquelle l'original arabe a éprouvé toute sorte de suppressions et d'interpolations.

Nous pouvons aujourd'hui nous former une idée plus exacte du Pantcha-tantra, le célèbre auteur du dictionnaire de la langue sanscrite, M. Wilson, ayant adressé à la Société royale asiatique de la GrandeBretagne et de l'Irlande une analyse complète du Pantcha-tantra, accompagnée de divers extraits traduits de ce livre, et ce travail ayant été publié dans la seconde partie du tome I." des Transactions de cette société. M. Wilson a comparé en détail le Pantcha-tantra avec le Hitoupadésa et le livre arabe de Califa et Dimna; et il résulte évidemment de cette comparaison, que, comme l'avoit dit M. Colebrooke, il y a bien plus de conformité entre le livre arabe et le Pantcha-tantra, qu'entre le même livre et le Hitoupadésa. L'auteur du mémoire nous apprend que les manuscrits du Pantcha-tantra ne sont pas rares dans l'Inde : il pense qu'il eût été à souhaiter qu'on eût publié cet ouvrage préférablement au Hitoupadésa; mais les rapports intimes et très-nombreux qu'il y a entre les deux livres, lui paroissent un motif suffisant pour rendre superflue une traduction

du Pantcha-tantra. C'est ce qui l'a déterminé à faire une analyse comparée de cet ouvrage, et pour diminuer la sécheresse d'une semblable analyse, et donner en même temps une idée du mérite de cette composition, il y a joint la traduction de plusieurs apologues.

En même temps que la Société asiatique de Londres faisoit imprimer le mémoire de M. Wilson, M. l'abbé Dubois, ancien missionnaire dans l'Inde, où il a exercé ses fonctions pendant une trentaine d'années, et membre de la Société asiatique de Paris, livroit à l'impression l'ouvrage qui est l'objet de cet article, je veux dire une traduction française du Pantcha-tantra, faite d'après trois versions en divers dialectes de l'Inde, et il n'a pas oublié de parler, dans sa préface, de la grande ressemblance qu'il y a entre le Pantcha-tantra et le Hitoupadésa: ce dernier ne lui paroît être qu'un abrégé du premier qui contient un bien plus grand nombre de fables; cependant il n'ose l'affirmer : « Peut» être aussi, dit-il, celui-ci (le Pantcha-tantra) est-il une copie » de l'Hitt-Opadessa (c'est ainsi qu'il écrit), considérablement augmentće » dans les temps modernes. » Cette conjecture nous paroît suffisamment réfutée, et par le témoignage même de l'auteur du Hitoupadésa, qui assure avoir pris ses matériaux, en grande partie du moins, dans le Pantcha-tantra, et par la comparaison des deux ouvrages sanscrits avec la rédaction arabe, qui n'est que la traduction de celle qui a été faite en pehlvi, d'après un original indien, au temps de Nouschiréwan.

M. l'abbé Dubois ajoute, il est vrai, que « le cinquième et dernier » Tantra ne se trouve pas dans l'Hitt-Opadessa, et paroît être une >> interpolation à l'original; d'ailleurs, ajoute-t-il, le style dans lequel » il est écrit, diffère de celui des quatre premiers: c'est le seul des » cinq où la ruse et la fourberie ne sont pas employées pour arriver >> aux fins proposées. » Ces observations prouvent peu de chose: en effet, quant à la première, M. l'abbé Dubois n'ayant point traduit d'après le texte sanscrit, n'a pu juger que bien imparfaitement de la différence du style, qu'il allègue; et la seconde n'a pour fondement que la signification qu'il donne au mot Tantra, signification qui nous semble problématique ; d'ailleurs fût-elle certaine, je ne sais trop quelle induction on pourroit en tirer contre la priorité du Pantchatantra sur le Hitoupadésa.

M. Wilson paroît n'avoir observé aucune différence de style entre le cinquième Tantra et les précédens. Il fait seulement remarquer que, dans les deux derniers Tantras, les réflexions et les citations, qui semblent, dans les précédens, hors de toute proportion avec les apologues, deviennent beaucoup moins nombreuses; circonstance qui

augmente, sinon l'utilité, du moins l'intérêt de l'ouvrage, et dont la cause lui paroît être, ou que le premier auteur de ce recueil avoit épuisé, dans les trois premiers. Tantras, les matériaux qu'il avoit amassés, ou bien que les deux derniers ont reçu dans la suite moins d'additions et d'interpolations.

Je dois dire un mot de la signification du mot Tantra, que M. l'abbé Dubois a rendu par ruse, et qui, suivant M. Colebrooke, signifie chapitre, et est traduit par section dans le mémoire de M. Wilson. Ce mot se trouve dans le dictionnaire sanscrit du même M. Wilson, p. 350, et, entre ses nombreuses significations, il semble que celle qui convient le mieux ici, est celle de cause ou instrument propre à produire plusieurs effets [cause common to two or more results; the instrument or means of more than one effect ], ou peut être celle de vrai moyen d'effectuer quelque chose [ the right way of doing any thing]. Tantra est aussi le nom qu'on donne à certains livres religieux qui enseignent des formules mystiques et des rites appropriés au culte de quelques divinités, ou employés pour produire des effets surnaturels, et c'est pour cela que, dans le vocabulaire intitulé Amara coscha (p. 187 de l'édition de M. Colebrooke), ce mot est rendu entre autres significations par sacred book; et peut-être seroit-il permis de supposer que c'est par métaphore que le recueil d'apologues dont il s'agit auroit été appelé les cinq Tantras, comme si l'on avoit voulu dire que les leçons qu'il renferme ont un pouvoir magique et surnaturel pour réformer les mœurs et corriger les mauvaises inclinations naturelles à l'homme. M. Wilson, au surplus, nous apprend que, dans l'usage commun, ce recueil d'apologues est plus connu sous la dénomination de Pantchopakhyana, ce qu'on peut traduire par cinq (collections d') aventures: «c'est sous ce nom, dit-il, qu'on peut rencontrer cet ouvrage dans » la plupart des contrées de l'Inde. ».

M. l'abbé Dubois témoigne pareillement que la connoissance du Pantcha-tantra est vulgaire dans l'Inde; mais il paroît avoir cru que ce livre n'étoit pas originairement écrit en langue sanscrite. « L'Hitt » Opadessa, dit-il, est composé en vers sanscrétans et dans un style >> fleuri, tandis que le Pantcha-tantra se trouve écrit en prose dans » tous les idiomes du pays. Il a été sans doute mis dans ce style » pour l'intelligence du vulgaire, c'est-à-dire, des Indiens qui n'en

tendent pas le sanscrétan, ni le haut style de la poésie, dans >> lequel sont écrites presque toutes les compositions du pays. Cet » ouvrage est du très-petit nombre de ceux dont les brahmes per» mettent la lecture au peuple; aussi est-il universellement lu par

« AnteriorContinuar »