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Je lis au vingt-unième vers: Adepti estis ea pace optimum domicilium, semoti illâ redditi à contentione et reatu, ce qui est certainement beaucoup plus obscur que l'arabe, et peu latin; et au vingtdeuxième vers: Vos ambo, altissimo honoris gradu constituti, ortu ex Maaddo nobiles, feliciter res vestras agite! Qui thesauri gloria copiam facit, ipse magnus evadit. Le traducteur paroît n'avoir pas senti,.1.° que le vingt-deuxième vers étoit une suite du vingt-unième, comme l'indique clairement le mot be, qui n'est à l'accusatif que comme attribut de lal; 2.° que lavas, qui a le sens de l'optatif, forme à lui seul une proposition qui doit être considérée coinme en parenthèse. En outre il n'a pas entendu le mot qu'il rend par copiam facere. Le sens de ces deux vers est donc, en le paraphrasant: « Vous avez » rétabli la paix entre les deux tribus ennemies, de la manière la plus » excellente, sans rien faire qui pût vous mériter le reproche d'avoir » manqué à ce qu'exigeoient de vous les liens du sang, et de vous » être écartés de l'équité, et vous plaçant par-là dans un rang distingué, >> au milieu des grands hommes descendus de Maadd. Puissiez-vous » être toujours dirigés [vers les actions nobles et généreuses]! Car » l'homme qui sacrifie, comme vous l'avez fait, un trésor de gloire, » s'élève au faîte de la grandeur. »

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Et si l'on vouloit traduire mot à mot: Vous vous êtes trouvés placés, en fait de pacification, dans une excellente position, éloignés, à cet égard, d'une opiniâtre résistance et de crime, grands au milieu de la haute illustration de Maadd. Puissiez-vous être bien dirigés! Le trésor de gloire qu'ont sacrifié les princes dont le poëte célèbre la générosité, ce sont les richesses qu'ils avoient acquises par leurs victoires et enlevées à leurs ennemis.

Rien n'exige une plus sévère attention des traducteurs que les temps par lesquels il convient de rendre les verbes arabes, parce que les deux temps de ces verbes peuvent, suivant les circonstances, signifier le passé, le présent et le futur. Faute d'avoir observé que tous les verbes des vers 30, 31, 32 et 33, sont sous l'influence de l'adverbe conjonctif de temps, le traducteur les a tous rendus par le prétérit, tandis qu'il falloit les rendre par le futur ou le présent indéfini. Ce ne sont point des faits que le poëte raconte; ce sont des vérités générales et absolues qu'il énonce, et le commentaire de Zouzéni sur le trente-troisième vers pouvoit rappeler cela au traducteur. Je vais donner la traduction de ce passage. « Vous savez ce que >> c'est que la guerre, et votre propre expérience vous l'a appris: ce » n'est pas par des rapports suspects que vous en avez conçu l'idée.

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»Toutes les fois que vous la susciterez, elle vous apparoîtra avec la » même horreur: toutes les fois que vous exciterez sa fureur, elle » s'irritera et causera un funeste incendie. Elle vous broiera comme » la meule broie les grains dont la farine tombe sur le drap étendu » pour la recevoir: deux fois chaque année elle concevra, et chaque » fois elle enfantera une double progéniture. Elle donnera le jour à » des enfans de funeste présage, plus fâcheux pour vous que ne le » fut, pour l'antique tribu d'Ad, l'impie Kodar; elle les allaitera, elle les sevrera. Les fruits de sa fécondité seront pour vous plus abon»dans que ne le sont, pour les habitans des villages de l'Irak, les » boisseaux de grains et les pièces d'argent qu'ils retirent de la cul»ture de leurs champs. »

Je craindrois, si je poussois plus loin ce genre d'observations, de fatiguer les lecteurs et de donner, contre mon intention, une idée défavorable de l'ouvrage de M. Rosenmüller. Les inexactitudes que j'ai relevées sont communes au plus grand nombre des éditions et des traductions de poésies arabes qui ont été publiées, et je ne me suis attaché à les signaler que dans l'intérêt de cette littérature, et pour prouver de plus en plus combien il est essentiel de fonder l'étude de la langue arabe sur une connoissance solide et approfondie de la grammaire.

SILVESTRE DE SACY.

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HISTOIRE DES CROISADES; première, seconde et troisième parties, contenant l'histoire des six premières croisades, par M. Michaud: 4. édition, revue, corrigée et augmentée, 3 vol. in-8.*

NOTRE habitude n'est pas de revenir sur des livres dont nous avons déjà rendu compte, soit que ces livres, une fois soumis au jugement du public et honorés de son suffrage, n'aient pas besoin de notre foible recommandation, soit qu'emportés dans le mouvement rapide qui crée à chaque instant de nouvelles jouissances pour de nouveaux besoins, ils aient cessé d'intéresser la génération qui les vit éclore et qui les a vus mourir; mais l'ouvrage dont nous allons entretenir une seconde fois nos lecteurs, mérite à tous égards cette honorable exception. II n'eût tenu qu'à M. Michaud de croire, d'après la faveur universelle avec laquelle son premier travail avoit été accueilli, qu'il ne manquoit rien au mérite de cet ouvrage, non plus qu'à son succès, et il semble

qu'il eût pu se contenter de reproduire un livre qui avoit réussi, sans y rien changer, sans y rien ajouter, par respect même pour cette opinion publique, qui l'avoit adopté tel qu'il étoit. Mais l'historien des croisades s'est cru seul d'autant plus obligé d'user de sévérité envers lui-même, qu'on le traitoit avec plus d'indulgence. Il a découvert des imperfections et aperçu des lacunes dans une composition où la critique n'avoit remarqué qu'une rare exactitude jointe à un vif intérêt: d'un très-bon livre, il en a refait un tout nouveau, qui est devenu excellent; et pour mettre dans le titre même autant de modestie qu'il avoit mis de conscience dans l'ouvrage, ce n'est encore que par les mots d'édition revue, corrigée et augmentée, expressions banales dont on a tant abusé pour des livres qui n'avoient été ni corrigés ni dignes de l'être, que M. Michaud a désigné tant de changemens importans et d'additions considérables. Une persévérance si soutenue et un zèle si scrupuleux méritoient bien sans doute d'être signalés à la reconnoissance du public: on yoit aujourd'hui si peu d'écrivains, même jaloux de leur renommée, employer à perfectionner un livre la peine qu'ils se donnent pour le faire imprimer, que c'est presque un phénomène littéraire que cette nouvelle édition de l'Histoire des croisades, ainsi accrue de nouvelles recherches et améliorée par de nouveaux efforts, et nous devons féliciter M. Michaud de nous avoir donné à-la-fois un si bon livre et un si bon exemple.

Ce ne sont pas encore là les seuls motifs que nous ayons pour appeler de nouveau l'attention publique sur un ouvrage si recommandable en lui-même. L'époque où nous sommes et les événemens qui se passent autour de nous, ont fait d'un livre produit par vingt années de travaux, presque un livre de circonstance; le sujet mème de ce livre, l'opposition au croissant et le zèle contre l'islamisme, sont devenues des passions presque contemporaines. Grâce à cet esprit nouveau dont nous sommes animés, et à ces événemens dont nous sommes témoins, les croisades, qui n'étoient, il y a quelques années encore, qu'un fait inintelligible pour le vulgaire, et à peine apprécié par le philosophe, sont rentrées dans le domaine des faits ordinaires et dans l'ordre des combinaisons politiques. Il n'est plus maintenant personne qui ne comprenne ou même qui ne partage l'enthousiasme avec lequel nos ancêtres se précipitoient contre le musulman à la délivrance des saints lieux: le zèle pour la croix, et la fureur contre le croissant, ces deux grands mobiles des opérations d'outre-mer, ces deux sources fécondes de dévouemens si généreux et d'actions si héroïques, ont reparu de nos jours, peu s'en faut avec

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le caractère et sous les traits du moyen âge; et l'esprit du XII. siècle semble être redevenu tout-à-coup celui du XIX. A la vérité, ce nouvel enthousiasme des croisades ne se produit pas sous des formes exactement pareilles. Mais, malgré cette différence des temps et des idées, la disposition actuelle des esprits n'en est pas moins favorable à l'ouvrage de M. Michaud. L'intérêt du livre s'est accru de tout celui que les circonstances y ajoutent beaucoup de gens qui ne concevoient pas, à l'époque où elle parut pour la première fois, qu'on pût écrire l'histoire des croisades, et qui se trouvent aujourd'hui presque disposées à la recommencer, se féliciteront du moins de la lire. On en saisira mieux l'esprit, on en appréciera mieux le mérite, et sous ce rapport encore, l'ouvrage de M. Michaud pourra paroître neuf, même à ceux pour qui il ne seroit pas nouveau.

Cependant il ne semble pas que M. Michaud ait compté, pour le succès de son entreprise, sur les passions du moment, dussent-elles être aussi fortes et aussi durables que celles qui, dans le moyen âge, donnèrent naissance aux croisades. La manière ferme et impartiale dont il envisage ces sanglantes expéditions, le jugement sévère qu'il porte sur leur conduite, sur leurs principes, sur leurs résultats, prouvent que l'historien des croisades ne partage pas le fanatisme de ses héros, et qu'en résistant à l'enthousiasme du XI. siècle, il sauroit au besoin conserver, au milieu de celui du nôtre, tout le calme de sa raison. Loin d'avoir voulu rédiger l'histoire des croisades d'après un système arrêté d'avance, ou conformément à une opinion en vogue, M. Michaud proteste au contraire, dans l'exposition qui précède cette histoire, qu'il n'a eu dessein d'écrire que sous la seule inspiration des faits et dans le seul intérêt de la vérité. Mais je ne sais si l'honorable historien n'a pas poussé ce scrupule un peu trop loin, en ne se proposant, comme il le dit lui-même, d'autre intention et d'autre but que de dire la vérité à mesure qu'il la trouvoit, et comme il la trouvoit. Cette manière de présenter son travail n'en donneroit, je crois, une idée ni assez exacte, ni assez avantageuse. Qu'un historien procède, dans la recherche des faits et dans le choix des matériaux, avec cette sage circonspection qu'exprime ici M. Michaud; qu'il n'admette dans sa composition que des détails avérés, de ces vérités qu'il trouve en cheminant pas à pas sur le terrain qu'il a choisi, c'est sans doute son premier devoir : mais là ne se borne pas la tâche d'un historien, tâche que M. Michaud a si bien remplie. Il doit encore, de ces élémens épars, de ces détails isolés, composer un tout, un ensemble, qui permette d'envisager l'événement accompli, dans sa

totalité, aussi bien que dans chacune de ses parties. Si l'historien se contentoit d'exposer des vérités de détail à mesure qu'il les trouve, et comme il les trouve, c'est-à-dire, des faits qui, bien qu'exacts en euxmêmes, se modifient souvent par d'autres faits qui suivent ou qui précèdent, et plus souvent encore changent de caractère et de nature, d'après leurs conséquences plus ou moins prochaines, d'après leurs résultats plus ou moins directs, la vue du lecteur courroit risque de s'égarer dans cette foule de détails entre lesquels il n'apercevroit ni suite ni liaison nécessaires. Il nous semble que lorsqu'un événement est depuis long-temps consommé, tel qu'il doit être pour entrer complètement dans le domaine de l'histoire, et tel assurément qu'est le sujet traité par M. Michaud, on peut, après avoir étudié le sujet dans toutes ses parties, l'envisager et le présenter dans son ensemble, et ramener tous les innombrables détails dont il se compose, sous une vue principale et dominante, sans que cela nuise à la vérité générale, non plus qu'aux vérités particulières. Je dois avouer que M. Michaud, par un excès de cette réserve que j'étois tenté de fui reprocher tout-àl'heure, déclare que nous ne sommes point encore venus au moment d'examiner les opinions opposées dont les croisades ont été l'objet. S'il en étoit ainsi, il faudroit renoncer à juger jamais les croisades, et conséquemment à en écrire l'histoire : car si le moment de prononcer une opinion saine, éclairée et impartiale, sur des expéditions qui ont cessé depuis tant de siècles, et dont les résultats sont depuis si long-temps détruits ou consommés, si ce moment, ainsi que le pense M. Michaud, n'étoit pas encore arrivé pour les hommes qui lui ressemblent, je ne vois pas quand il arriveroit. L'histoire de la Grèce et de Rome n'est pas plus morte pour nous, que ne l'est celle des croisades; et conséquemment à la doctrine de notre auteur, il faudroit peut-être attendre encore quelques siècles pour prononcer sur la fondation de Rome, ou tout au moins sur la dissolution de la république. Heureusement pour nous, M. Michaud ne s'est pas asservi aussi rigoureusement à ses propres principes, et ses scrupules n'ont pas enchaîné sa plume. Il a très-bien apprécié les croisades dans leurs élémens et dans leurs résultats, tout en en exposant l'histoire avec l'enchaînement et l'intérêt que comportoit le sujet : son livre dépose ainsi contre sa théorie, et ce livre a trop bien réfuté l'auteur, pour qu'il ne me pardonne pas luimême d'avoir essayé de le contredire.

Mais c'est sur-tout à nos lecteurs que je dois demander excuse, pour une discussion qui m'a entraîné si loin de l'objet de cet article, et je ne puis mieux faire désormais que de m'interdire toute digression,

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