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les campagnes de Normandie et de Guyenne, l'artillerie de Charles VII lui assurera une supériorité incontestable. Les Anglais craindront désormais les batailles rangées, et se confineront le plus souvent dans leurs places fortes; mais l'architecture militaire ne s'étant pas modifiée aussi rapidement que l'artillerie, les canons français auront vite fait de démolir leurs remparts.

Pour compléter l'œuvre de défense du royaume, il aurait fallu reconstituer une marine. Depuis la destruction du clos des Galées de Rouen et la perte de la Normandie, le roi de France n'avait plus ni flotte ni chantiers. L'auteur du Débat des hérauts d'armes exprimait vers 1456 les regrets qu'en éprouvaient les partisans de la guerre maritime <«< Je prie à Dieu, s'écrie le héraut de France en s'adressant au héraut d'Angleterre, qu'il doint au roy de France cuer et courage de vous faire guerre à la mer, car ce sont les verges de quoy il vous peut chastier et refroider vostre hault couraige. »>

La nouvelle organisation, malgré ses lacunes, mit un terme à la terrible anarchie militaire qui ruinait et dépeuplait le royaume, et elle permit de reconquérir la Normandie et la Guyenne en de courtes et triomphales campagnes. Enfin elle eut des conséquences politiques très considérables, sur lesquelles les contemporains ne se sont pas abusés autant qu'on pourrait le croire. Le roi avait maintenant une armée régulière, une cavalerie soldée, une infanterie recrutée directement dans la plupart des provinces du royaume1, sans intervention des seigneurs. La guerre terminée, il gardera ses Compagnies d'ordonnance, et ses Francs-Archers resteront toujours prêts à marcher. En fait, l'armée permanente était fondée, au profit de la monarchie.

II. ANARCHIE EN ANGLETERRE. PRÉLUDES DE LA GUERRE DES DEUX ROSES2

MARINE.

ANARCHIE

ENDANT que la monarchie française se réorganisait, la désorganisation de la société et de la monarchie anglaises, déjà EN ANGLETERRE. visible à l'époque du soulèvement des travailleurs, en 1381, s'achevait, et la guerre civile se préparait parmi les adversaires de Charles VII.

La formation d'une aristocratie très riche, très brutale, échappant à toute autorité, est le fait capital qui explique la guerre des Deux Roses. Au xve siècle, les lords transforment en prairies les terres anglaises, épuisées par la monotonie des cultures, et s'enrichissent

1. Il faut toujours excepter, bien entendu, les domaines des grands vassaux les plus puissants, tels que les ducs de Bourgogne et de Bretagne.

2. OUVRAGES A CONSULTER. Outre Stubbs et Ramsay: James Gairdner, The Paston Letters, nouvelle édition, 1900-1901 (excellente introduction historique).

LA HAUTE ARISTOCRATIE. LIVRÉE ET

MAINTENANCE.

PUISSANCE

DU PARLEMENT.

LA CHAMBRE
DES COMMUNES

ET L'ANARCHIE

FÉODALE.

par l'élevage des moutons. Certains y adjoignent le commerce en gros. Le butin fait en France, l'argent tiré des malheureux paysans normands devenus leurs tenanciers, achèvent de redorer leurs blasons. Ils emploient leurs richesses à se créer une cour, un conseil, une armée. L'usage de « livrée et maintenance », déjà réputé dangereux au xive siècle, est devenu général; chaque lord entretient des centaines, parfois des milliers d'hommes, vêtus d'une livrée à ses armoiries, et armés pour maintenir ses querelles. Ces spadassins se recrutent facilement parmi les soldats revenus de France. Ainsi les habitudes barbares contractées par les Anglais pendant la conquête de la France s'exercent maintenant aux dépens de l'Angleterre. Les guerres privées recommencent. Les offices publics sont occupés par les créatures des lords. S'il y a procès, le shériff choisit un jury dont le verdict plaira à la partie la plus puissante. Quelque juré veut-il faire la mauvaise tête? Il rencontre, au retour, des gens qui lui apprennent le savoir-vivre à coups de dague. Les lettres de la famille Paston, qui vécut sous les règnes de Henry VI et d'Edouard IV, décrivent une société où la force est devenue la seule garantie de sécurité. Pour rétablir l'ordre en Angleterre, il aurait fallu un homme de génie ou un parlement qui fit son devoir. Ni l'un ni l'autre ne se rencontra. Le système parlementaire avait fait de grands progrès sous les Lancastres. Les subsides accordés par la Chambre des communes étaient affectés à des dépenses déterminées d'accord avec elle, et elle se faisait rendre compte de leur emploi. Elle exigeait, avant le vote de l'impôt, le redressement de ses griefs, et ses pétitions devenaient, sans modification, des statuts du royaume. Les délibérations étaient libres. Les conseillers du roi étaient nommés avec l'assentiment du Parlement, qui fixait leur salaire et pouvait les mettre en accusation. Si nous comparons le Parlement anglais et les États Généraux de France, le contraste est éclatant; malgré tout, comme le pouvoir du roi d'Angleterre n'est pas limité par une constitution nette, ni par une série suffisamment longue de précédents, le prince peut, du jour au lendemain, retirer les concessions qu'il a faites et gouverner à sa guise : la Chambre des communes se défie sans cesse de lui, est toujours prête à reconnaître pour son champion un lord puissant qui tiendra tête au roi, et ainsi elle se fait complice de l'anarchie féodale.

D'ailleurs, par leur recrutement, les députés des communes sont maintenant les serviteurs de la noblesse. Le système électoral a fait en 1430 un progrès à rebours. Le droit de vote est réservé dans les comtés aux riches francs-tenanciers et aux chevaliers. On écarte les « électeurs sans aveu ». Les « Communes >> ne représentent

donc pas
la nation, mais l'aristocratie. C'est encore une raison pour
qu'elles ne prennent aucune mesure énergique contre les fauteurs de
désordre.

Le roi Henry VI, devenu majeur le 6 décembre 1442, était un lettré et un dévot, consciencieux, humble et charitable, un homme de paix, incapable de gouverner ce peuple indocile, un mystique, dépaysé dans ce monde de passions exaspérées. Sa jeune femme, Marguerite d'Anjou, très belle, très ambitieuse, prit tout de suite autorité sur lui, et par elle monta au pouvoir le négociateur de son mariage et de la trêve de 1444, le comte de Suffolk, partisan de la paix.

Le malentendu entre Henry VI et ses sujets fut alors complet. La reine, cette Française sans dot, fut dès le premier jour impopulaire. La haine qu'elle inspirait redoubla lorsque, pour lui complaire, Henry VI promit de livrer la ville du Mans et tout ce qu'il possédait dans le Maine à son beau-père (22 décembre 1445). Suffolk ne tarda pas à être accusé de trahison par la rumeur publique. Le duc de Gloucester, favori du peuple, se voyait déjà roi d'Angleterre. En 1447, Suffolk se décida à le faire arrêter comme conspirateur. Au bout de cinq jours, le duc mourut dans sa prison, probablement d'une attaque de paralysie. Six semaines après, le vieux cardinal Beaufort s'éteignait aussi : c'était le dernier homme de cette génération qui eût à la fois assez de sagesse pour désirer une politique d'ordre et de paix, et assez d'autorité pour imposer quelque respect à l'opposition. La guerre civile était maintenant fatale à brève échéance.

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ENRY VI et Suffolk désiraient une paix définitive. Le jeune roi écrivait le 21 août 1444 à Charles VII qu'il avait hâte de voir finir ces « pestilensieuses guerres qui tant ont duré ». Un an après, il recevait cordialement à Londres les ambassadeurs français, qui venaient lui faire des offres de paix. Mais les négociations n'aboutirent pas. Tout de suite des difficultés s'élevèrent, qui montraient

1. SOURCES. Stevenson, Narratives of the expulsion of the English from Normandy, 1863. OEuvres de Robert Blondel, édit. Héron, 1891-1893. Chroniques citées au § 1; Chron. de Chartier, t. II et III; Martial d'Auvergne, Vigilles, t. II. Stevenson, Letters and papers; documents publiés dans la Chronique de Math. d'Escouchy, t. III, la Chron. du Mont-SaintMichel, t. II, la Revue rétrospective normande, 1837.

OUVRAGES A CONSULTER. Cosneau, Richemont; Alb. Sarrazin, Jeanne d'Arc et la Normandie, 1896; Joubert, Négociations relatives à l'évacuation du Maine, Rev. du Maine, t. VIII; Vallet de Viriville, Gilles de Bretagne, Rev. des Quest. histor., t. IV, 1868; Delisle, Hist. de SaintSauveur-le-Vicomte, 1867; G. Dupont, Hist. du Cotentin, t. II, 1873; Du Motey, Exmes pendant l'occupation anglaise, Bull. de la Soc. histor. de l'Orne, 1889; Ch. de Beaurepaire, Les Etats de Normandie sous Charles VII, Travaux de l'Acad. de Rouen, 1875.

HENRY VI

ET MARGUERITE

D'ANJOU.

LEUR

IMPOPULARITÉ.

HENRY VI

ET LA PAIX.

GILLES

DE BRETAGNE.

la mauvaise volonté des Anglais et l'impuissance de leur roi. Les capitaines des places anglaises en France ne voulaient pas de la paix. Le capitaine du Mans refusa de livrer cette ville, que Henry VI avait promis de rendre à son beau-père René d'Anjou. Il fallut la menace d'un assaut pour forcer la garnison anglaise à sortir (16 mars 1448). En quête d'un gîte, elle alla s'installer sur les frontières de la Normandie et de la Bretagne, à Saint-James-de-Beuvron et à Mortain. Cette infraction à la trêve provoqua les protestations de Charles VII et du duc de Bretagne.

Or le nouveau duc de Bretagne, François Ier (1442-1450), était depuis deux ans déjà complètement brouillé avec les Anglais, que son père, le cauteleux Jean V, avait toujours su ménager. Séduit par les avances et les cadeaux de Charles VII, François était allé en personne lui faire hommage. Son frère, Gilles de Bretagne, était au contraire un ami personnel de Henry VI et un allié des Anglais. François Ier, d'accord avec Charles VII, l'avait fait arrêter et jeter en prison (1446). La nouvelle de cette violence avait causé un vif émoi à la cour de Henry VI le roi d'Angleterre et Suffolk eux-mêmes avaient pensé à se venger. C'est pourquoi ils laissèrent la garnison du Mans s'établir à Saint-James; le duc de Somerset, qui gouvernait alors à Rouen, refusa grossièrement de recevoir les plaintes du roi de France et du duc François, et les Anglais préparèrent un coup Sac de fougères, de main pour s'emparer de Fougères, qui était par son industrie une des villes les plus prospères de la Bretagne. Le 24 mars 1449, un capitaine espagnol qui commandait la garnison anglaise de Verneuil, François de Surienne, s'empara par surprise de Fougères, la mit à sac, et y fit un énorme butin. Le duc de Somerset, qui avait fourni à François de Surienne ses munitions, le désavoua publiquement, mais refusa de donner satisfaction au duc de Bretagne.

CHARLES VII
ET LA GUERRE.

LES

REPRESAILLES.

C'était fournir des prétextes et des raisons aux conseillers de Charles VII, qui désiraient la guerre. Le roi lui-même y était décidé. Par son ordre, Jean Jouvenel des Ursins avait compulsé les titres du Trésor des Chartes et avait composé pendant la trêve un Traicté compendieux de la querelle de France contre les Anglois, pour éclairer la conscience du roi. Par une argumentation serrée, qu'appuyaient des pièces justificatives, l'évêque était arrivé à conclure qu'Edouard III n'avait jamais eu aucun droit sur la couronne de France, et que les rois de France avaient des droits sur la couronne d'Angleterre.

Charles VII laissa d'abord à ses capitaines toute liberté de représailles, sans rompre officiellement la trêve. Le 16 mai 1449, Jean de Brézé et Robert Floquet enlevèrent Pont-de-l'Arche; d'autres

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VINNQUIVO

PORTRAIT DE CHARLES VII.

Peinture de Jean Foucquet. Le roi, représenté à l'age de quarante ans environ, porte un chapeau bleu foncé orné de broderies d'or, une robe rouge garnie de fourrures; ses mains reposent sur un coussin de brocart. Inscr.: Le tres victorieux roy de France Charles septiesme de ce nom. Musée du Louvre.

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