Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Rien ne montre mieux ce souci que la réforme des monnaies. Tandis que Charles VII, pour se procurer les ressources dont il usait si mal, recourait aux tristes artifices du règne précédent, Bedford tâchait de mettre en circulation au nord de la Loire une bonne monnaie d'or et d'argent. Jusqu'en 1427, tous les ateliers des pays conquis et ceux des domaines que le duc de Bourgogne possédait en France fabriquèrent des pièces à l'effigie de Henry VI et, dès que le Mans fut pris, en 1425, la frappe des monnaies anglo-françaises y commença. Les maîtres, les ouvriers, les changeurs, furent étroitement surveillés, les pièces de mauvais aloi du «< soi-disant dauphin >> décriées en de multiples ordonnances, qui d'ailleurs ne réussirent pas à empêcher la circulation de la monnaie faible.

Le Normand Thomas Basin nous dit que le duc de Bedford était «< humain et juste, et aimé des Français de son parti ». Ce souci de justice et de mansuétude lui a inspiré son œuvre la plus belle, la réforme du Châtelet de Paris. Ému des plaintes qui s'élevaient contre l'administration de la justice dans cette cour et contre le régime de la prison, il chargea son Conseil et le Parlement de Paris d'étudier ensemble la question et de remédier aux « exactions, tromperies et mengeries ». De la « grant et meure deliberacion >> de l'assemblée sortit une longue ordonnance en 185 articles. Ce remarquable règlement garantit le public contre la corruption, l'avidité et la paresse des gens de loi. Les écritures, dont on abusait tant au xve siècle, les dépens et les dommages-intérêts, les salaires des divers officiers sont limités et taxés avec soin et détail. Les abus dans l'exécution des sentences sont réprimés sévèrement. Les sommes que le geôlier reçoit des prisonniers, pour leur entretien, sont fixées dans un tarif, variable selon la condition sociale du captif. Les prisons doivent être tenues proprement, et chaque lundi le prévôt visitera les prisonniers pour écouter leurs plaintes.

ADMINISTRATION

DU RÉGENT.

LES MONNAIES.

RÉFORME

DU CHÂTELET.

CONFRERIES,

Les privilèges des villes et des corporations furent l'objet de VILLES, MÉTIERS, nombreuses chartes confirmatives. Les rigoureux statuts qui pesaient sur les travailleurs anglais et fixaient le taux de leurs salaires ne pénétrèrent pas en France. Le régent laissa même se multiplier les confréries, dont le gouvernement avait si peur en Angleterre.

En Normandie surtout, Bedford se montra un maître équitable et conciliant. Il respecta scrupuleusement les vieilles institutions et la coutume du pays; il fit bonne justice et punit sévèrement les méfaits des soldats; il tâcha d'oublier et de faire oublier les résistances acharnées que Henry V avait rencontrées et brisées, en particulier à Caen et à Rouen. Le régent réduisit la rançon des Rouennais et leur rendit les clefs de leur ville; il accorda aux habitants de Caen

VILLES

NORMANDES.

DÉBUTS

DE L'UNIVERSITÉ
DE CAEN.

ABANDON

DU SYSTÈME

ANGLAISE.

la confirmation de leurs franchises et leur donna une Faculté de droit, malgré les réclamations de l'Université de Paris. En pratique, d'ailleurs, les privilèges municipaux furent souvent violés par les capitaines anglais, mais il semble que ce fut toujours contre la volonté du régent.

Enfin il laissa s'écrouler le système de colonisation, odieux à la population française, que son frère avait essayé de pratiquer en DE COLONISATION Normandie. Henry V s'était cru assez fort pour donner à certaines villes, comme Harfleur, une population exclusivement anglaise, et pour constituer dans la campagne normande une féodalité nouvelle et obéissante, en attribuant à sa noblesse la plus grande partie des terres. Il avait édicté la peine de mort contre les immigrés coupables d'avoir repassé la Manche sans sa permission. Cette mesure atroce prouve assez que les colons anglais étaient vite las de leur nouveau séjour, de l'insécurité où il leur fallait vivre et de l'hostilité qu'ils lisaient sur les visages. Tout en continuant à récompenser par des donations de terres françaises les services de ses capitaines, Bedford renonça à ces inutiles rigueurs. Bon nombre d'Anglais retournèrent en Angleterre, abandonnant les terres incultes et les maisons délabrées qu'on leur avait données et qu'il ne fallait guère songer à remettre en état, dans ce pays ruiné par la guerre de partisans. Ainsi Bedford voulait être juste et il avait, semble-t-il, l'ambition de devenir populaire. Il avait la vue exacte de la politique qu'il fallait suivre pour habituer le pays conquis à la domination anglaise et pour la faire aimer. Mais la tâche était au-dessus de ses forces et de son habileté. La guerre et la nécessité d'achever la conquête l'obligeaient à élargir les plaies dont souffrait la France du nord, désolée déjà par la lutte entre Armagnacs et Bourguignons, et par les rudes campagnes de Henry V. Les opérations qu'il ordonnait aboutissaient inévitablement à la dévastation. Puis les pays soumis aux Anglais étaient ravagés par les partisans du roi de Bourges. Bedford n'a jamais pu nulle part assurer la sécurité des routes, ni celle des propriétés; jamais il n'a pu empêcher, même au cœur de la Normandie, ni les incursions des capitaines de Charles VII, ni les coups de main des « rebelles ».

BEDFORD ne peut
RETABLIR
L'ORDRE.

MISÈRE

DE LA FRANCE
ANGLAISE.

Pour nous dépeindre la misère de la France anglaise, tous les documents concordent. Les riches voient leurs revenus s'anéantir. Ouvriers, marchands, paysans, chôment et crient misère. Les villes sont pleines d'édifices et de maisons en ruines. Les champs sont envahis par les ronces et les arbustes, et les laboureurs ne se croient en sécurité qu'autour des places fortes. Bedford a beau distribuer à ses fidèles, Anglais ou Français, « chasteaulx, maisons, fours, moulins, estangs, bois, héritages, terres, seigneuries »; il a beau leur recom

mander de les remettre en état et de les entretenir; malgré toutes les ordonnances du monde, ils laissent, déclare le régent, << les choses dessusdites, à eulx ainsy données, en grant ruine, gast et désolation ». Ils démolissent les maisons pour vendre les pierres, les poutres et les châssis, coupent les arbres, et puis s'en vont, car la campagne est inhabitable.

A Paris, la misère et l'émigration dépeuplent peu à peu la ville. Les loyers ont baissé des deux tiers; même à ce prix, on ne trouve que difficilement des locataires solvables : « ceux à qui les louages ont été faits s'en vont chascun jour, sans rien payer, et mettent les clefs dessoubs l'huis, sans dire adieu à leur hoste1. » Des milliers de maisons sont abandonnées par leurs propriétaires, qui ne peuvent plus payer les rentes hypothécaires dont elles sont grevées. Maints édifices religieux tombent en ruines. Le chapitre de Notre-Dame, dont les domaines ne rapportent plus rien, doit vendre, morceau par morceau, les pièces d'orfèvrerie de son trésor, et ne trouve qu'à grand'peine des acquéreurs. A l'Hôtel-Dieu, à la léproserie de SaintLazare, on ne sait où trouver de l'argent pour soigner et nourrir les pauvres.

A Rouen, dans la banlieue, dans tout le diocèse, dans toute la Normandie, on n'entend parler que d'églises effondrées ou incendiées, de couvents abandonnés par les moines, d'hôpitaux et de maladreries où l'on ne peut plus continuer les œuvres de charité. Le pays de Caux est inculte et infesté par les loups. En Basse-Normandie, Pontorson, dans un acte de 1434, est appelée « la feue ville de Pontorson ». Pour définir l'état de la province, il suffira de dire qu'elle est obligée de s'approvisionner de blé en Angleterre. Aussi bon nombre de paroisses n'ont plus d'habitants; les uns ont péri de misère, et les autres ont émigré en Bretagne, en Flandre, à l'étranger.

Dans toute la Picardie, les faubourgs et les environs des villes sont ravagés par les routiers. Quantité d'églises et de monastères sont en ruines. Les paysans du Beauvaisis et du Valois n'ont même plus assez de grains pour faire les semailles. Dans cette région, la résistance des Armagnacs, comme le vicomte de Breteuil, qui tenait bon dans le château de Chantilly, exaspérait la cruauté des Anglais. Ils détruisirent le fameux monastère de la Victoire, qui rappelait la victoire de Philippe-Auguste à Bouvines. Une autre abbaye célèbre, Saint-Germer, n'avait plus aucune ressource, et les moines allaient quêter leur pain dans les environs. Soissons, trois fois assiégée pendant les luttes entre Armagnacs et Bourguignons, ne pouvait se

1. Document judiciaire de 1432: Revue des Sociétés savantes, 1863, t. I, p. 206.

LA MISÈRE
A PARIS.

LA MISÈRE

EN NORMANDIE.

LA MISÈRE EN PICARDIE ET EN VALOIS.

LA MISÈRE

relever de ses désastres. A Laon, le doyenné de l'église Saint-Pierre restait vacant, les revenus étant anéantis.

En Champagne et en Brie, on dénonce vainement au régent les EN CHAMPAGNE. brigandages des soldats bourguignons et même des Anglais, et les exactions des possesseurs d'offices. L'assemblée générale des habitants de Troyes élit en 1423 un comité de trente membres, chargé d'organiser l'approvisionnement de la ville, devenu très malaisé. Au dire des Rémois, leur pays est « presque tout inhabité, désert et désolé ». Et, en effet, dans toute la Champagne, des villages entiers sont dépeuplés; les cultivateurs sont morts de faim ou bien sont partis pour l'Allemagne. Sur les bords de l'Yonne et de la Vanne, la désolation est telle que les domaines du chapitre de Sens ne rapportent plus un denier. A Sens, quantité de maisons sont vides; les deux antiques monastères de Sainte-Colombe et de Saint-Pierre-leVif tombent en ruines. Beaucoup d'autres abbayes, dans la Champagne et la Brie, ont été abandonnées par leurs moines, réduits au vagabondage et à la mendicité.

LA MISÈRE DANS

LE CHARTRAIN
ET LE MAINE.

Dans les comtés avoisinant la Loire, les Anglais ne peuvent même pas établir une apparence de gouvernement régulier, car il leur faut se battre chaque jour. Pour les habitants, c'est un régime de terreur perpétuelle. L'évêque de Chartres calcule qu'il ne lui reste plus que sept livres de revenus, sur dix mille; les bénéfices de son diocèse ne valent plus rien, et personne n'en veut. Les habitants du Maine sont écrasés par les Anglais de contributions de toutes sortes; bienheureux encore s'ils ne sont pas rançonnés en même temps par les Français. Le prieuré de Solesmes n'a plus que cinq moines. Le monastère de Saint-Calais est réduit en cendres. Au Mans, l'abbaye de Saint-Pierre de la Couture est dévastée; celle de Saint-Vincent ne touche pas le dixième de ses revenus, et son église est démolie.

Dans ces pays que Bedford avait rêvé de pacifier et d'attacher pour toujours à la dynastie des Lancastres, le désordre et la détresse dureront autant que la domination anglaise.

POLICE ANGLAISE.

III. LES EXIGENCES DU GOUVERNEMENT ANGLAIS1

ᎠᎬ

E ce peuple exaspéré par la misère, le duc de Bedford exigea deux choses une fidélité stricte et de l'argent.

Les prises d'armes, les complots, et même les témoignages de sympathie pour la cause de Charles VII furent châtiés avec cruauté. Les

1. SOURCES. Outre les sources indiquées aux § 1 et 2: Pierre Cochon, Chronique normande,

grandes villes furent étroitement surveillées par une police secrète. Les voyageurs étaient épiés, les correspondances saisies. A Paris, André Boisseau reçoit chez lui son père, âgé et presque aveugle, qui vient de Tours, ville armagnaque : ils sont tous deux mis en prison. Jean du Pré, boulanger, héberge son frère, qui arrive aussi du pays armagnac, «< souffrant de froidure et de pauvreté » ; il est arrêté, comme coupable de n'avoir pas livré son frère à la justice. Jeannette Bonfils est bannie quelque temps, pour avoir entretenu une correspondance avec un maître des monnaies de Charles VII, Jean Rontier, son amoureux. A Troyes, la police s'enquiert de l'opinion que chaque bourgeois professe à l'égard des Anglais; les suspects sont obligés de fournir des répondants. Autant que possible, on exige de chaque individu un serment au début de la régence, tous les Parisiens, même les «< vachers et porchers des abbayes », durent jurer « d'être bons et loyaux au duc de Bedfort, et de nuire de tout leur povoir à Charles, qui se disoit roy de France ». Tous ceux qui refusaient le serment étaient expulsés et privés de leurs biens. Les terres et les maisons abandonnées au nord de la Loire par les compagnons de Charles VII furent également confisquées. Bedford put ainsi, comme Henry V, se montrer généreux envers les capitaines anglais, les chevaliers et les officiers du duc de Bourgogne, et les Français qui s'étaient ralliés à la cause anglaise.

Ces << Français reniés » furent comblés de faveurs. On leur prodigua les fonctions grassement payées. Perrinet Leclerc fut fait monnayer en la Monnaie de Paris, pour avoir jadis ouvert la capitale aux massacreurs bourguignons. Un modeste officier de finances, Pierre Surreau, devint receveur général de Normandie; il amassa en peu de temps une grosse fortune et son hôtel de Rouen regorgeait d'objets précieux. Les bouchers de la Grande Boucherie de Paris obtinrent la confirmation de leurs privilèges, rétablis depuis peu. Un d'eux, Jean de Saint-Yon, devint trésorier et gouverneur général des finances de Henry VI pour le royaume de France, et conseiller du régent. Les privilèges des bouchers de Chartres, jadis abolis par le dauphin, furent remis en vigueur. Ces corporations, par la violence de leur ferveur bourguignonne, paraissaient mériter une faveur spéciale.

Tirer de l'argent d'un pays si misérable, était malaisé, mais nécessaire. La Chambre des Communes déliait difficilement les cordons de sa bourse. Si la classe guerrière anglaise désirait la conti

éd. Beaurepaire, 1870. Demaison, Une assemblée d'États en 1424, Travaux de l'Académie de Reims, t. LXXIII. J. Félix, Inventaire de Pierre Surreau, 1892.

OUVRAGES A CONSULTER. Ch. de Beaurepaire, Les Etats de Normandie sous la domination anglaise, 1859. Sur Bedford et le clergé, études de Grassoreille dans les Mémoires de la Soc. de l'Histoire de Paris, 1882, et de Soullié, dans la Revue de Champagne, 1890.

CONFISCATIONS.

FAVEURS AUX FRANÇAIS RENIÉS.

LA QUESTION
D'ARGENT.

« AnteriorContinuar »