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des marchands et la science des transactions. Les seigneurs et les rois, dans un intérêt fiscal, assurèrent la sécurité des marchands qui s'y rendaient, supprimèrent en leur faveur le droit de représailles et le droit d'aubaine, suspendirent pendant la durée de leur séjour l'effet des actions qui les menaçaient. C'est dans les foires que naquirent les premières juridictions commerciales connues en France. La loyauté des contrats était garantie de la façon la plus rigoureuse. Enfin, pour mettre de la rapidité dans les opérations, on adopta peu à peu des usages ingénieux et savants. C'est ainsi qu'aux foires de Champagne, les marchands, pour ne pas perdre leur temps en paiements, réglaient mutuellement leurs comptes le dernier jour, par un jeu d'écritures: le principe des Chambres de compensation était trouvé.

LA GUERRE

DE CENT ANS

La guerre de Cent Ans ruina les marchands français et chassa les marchands étrangers. Les routes étaient infestées de brigands, coupées de fondrières. Beaucoup d'entre elles disparurent sous l'en- ET LE COMMERCE. vahissement des broussailles. On laissa les rivières s'envaser. Les péages furent arbitrairement multipliés par les seigneurs et même par les officiers royaux. Les halles des villes tombèrent en ruines. Au temps de la domination anglaise, la foire du Lendit cessa de se tenir. Il en fut de même des foires de Champagne, depuis bien longtemps d'ailleurs en décadence le commerce entre la Flandre et l'Italie se faisait maintenant par les Alpes et le Rhin. Les foires de Genève héritèrent la clientèle que perdaient Beaucaire et les autres marchés de la France méridionale.

Au début du règne de Charles VII, les Français du royaume de Bourges n'avaient plus de relations commerciales avec le dehors que par la Rochelle et les ports du Languedoc. Or les marchands de la Hanse allemande avaient cessé de fréquenter la Rochelle, et le trafic océanique était accaparé par les Bretons et les Castillans. Sur la Méditerranée, tous les anciens grands ports français étaient en décadence Montpellier, victime d'affreuses épidémies, était dépeuplée; Aigues-Mortes s'ensablait; Narbonne n'avait plus de communication facile avec la mer, depuis la rupture du barrage de l'Aude au XIVe siècle. Les négociants du Languedoc n'entretenaient plus de rapports réguliers avec l'Orient. S'ils se risquaient à envoyer un vaisseau dans le Levant, il y avait toute chance pour qu'ils ne le revissent plus : les pirates musulmans, catalans, génois, pullulaient. Les Marseillais eux-mêmes remontaient le Rhône dans leurs barques et descendaient sur les rives pour faire des prisonniers. Enfin des concurrences inattendues naissaient pour la France condamnée à l'inertie : les sujets du duc de Savoie se mirent à commercer directement avec Barcelone

JACQUES CŒUR.

PROCÉDÉS DE
JACQUES CŒUR.

et Chypre; ce prince permit aux marchands bourguignons et flamands d'avoir des vaisseaux à Villefranche, près de Nice, pour trafiquer avec le Levant.

Il suffisait cependant d'un homme d'intelligence et de volonté pour reconquérir à la France les débouchés dont on l'évinçait. Jacques Cœur le démontra. Avant que la guerre de Cent Ans fût terminée, il édifia, à son profit et au profit de la France, une prodigieuse fortune commerciale. C'était, dit Thomas Basin, « un homme sans littérature, mais très intelligent, d'un esprit ouvert et industrieux pour les affaires ». Ajoutez qu'il savait admirablement choisir ses auxiliaires, qu'il était complètement dénué de scrupules et d'une ambition illimitée. Il avait pour devise: A vaillants cœurs rien impossible. Son père, pelletier à Bourges, lui laissa quelque bien. Dès les premières années du règne de Charles VII, Jacques Cœur s'associa avec le maître des monnaies de Bourges, Ravant le Danois, et chercha avec lui des profits frauduleux dans la fabrication d'espèces de mauvais aloi. Il fut poursuivi, grâcié avec ses complices en 1429, et chercha une autre voie. Au mois de mai 1432, à une époque où la France était plongée dans la plus lamentable détresse, il s'en alla dans le Levant acheter des épices. Au retour, la nef qui le portait fit naufrage en vue de Calvi. Il put aborder en Corse dans une barque, avec ses compagnons, mais les insulaires les dépouillèrent « jusqu'à la chemise ». Cœur revint en France dénué de tout. Il ne se découragea point. Renseigné de ses propres yeux sur les conditions du trafic méditerranéen, il parvint en quelques années à prendre la première place dans le Levant. Jacques Cœur prépara son succès avec une habileté consommée. Il gagna la faveur du roi et obtint divers offices qui le mirent hors de pair parmi les marchands français. « Commis sur le fait de l'argenterie » en 1438, puis argentier en titre, il tenait à la cour, en cette qualité, magasin d'étoffes, de meubles, de denrées de toutes sortes, pour satisfaire aux besoins et aux caprices quotidiens du roi et de son entourage. Il parvint même à intéresser le roi à ses opérations commerciales il put dire un jour qu'«< entre le roy et luy, il y avoit un papier de compte secret ». Conseiller du roi, commissaire aux États de Languedoc, visiteur général des gabelles de Languedoc, cet habile homme put imposer ses volontés à la bourgeoisie du Midi, embrigader parmi ses facteurs les marchands qui lui paraissaient capables de le servir, écraser les autres sous le poids de ses privilèges et de son crédit officiel. Il eut sous ses ordres un personnel d'élite, entièrement dévoué à ses intérêts, et dont il fit la fortune tels Jean de Villages, son chef d'escadre, qui épousa sa nièce; Guillaume de Varye, son premier comptable, qui entra plus tard au service de Louis XI comme

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Vitrail conservé au Musée de Bourges. Vue de la poupe les armes de Jacques Cœur
figurent sur le bordage). Un seul mat avec dunette et une grande voile carrée.
F. de Lasteyrie, Histoire de la peinture sur verre.

D'après

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général des finances ». Les députés aux États de Languedoc et les magistrats municipaux faisaient ce que voulait le puissant Jacques Cœur. On lui votait des subventions, on exemptait d'impôts ses. marchandises; pour son plus grand avantage, on édictait de nouveaux tarifs, on réparait les ports et les canaux.

COMPTOIRS

La principale maison de commerce de Jacques Cœur fut établie d'abord à Montpellier, puis à Marseille. La grande source de ses ET ENTREPRISES richesses fut le commerce maritime. Sa flotte exportait en Orient les DE JACQUES CŒUR, denrées occidentales, rapportait d'Alexandrie et de Beyrouth les étoffes du Levant, les tapis de la Perse, les parfums de l'Arabie, les fourrures du Nord, les épices et les porcelaines de l'Extrême-Orient. En même temps, elle transportait les passagers chrétiens et musulmans. Elle faisait aussi la traite des esclaves. Au retour, elle remontait le Rhône ou bien, triomphant de la concurrence catalane et italienne, allait approvisionner le marché de Barcelone. Jacques Cœur fut un type achevé de brasseur d'affaires, apte à toutes les spéculations, prompt à saisir tous les moyens de faire fructifier ses capitaux. Dès que la trêve de 1444 fut signée, il se mit à trafiquer avec les marchands d'Angleterre. Il avait une manufacture de soieries à Florence et une foule d'entreprises en France. Il exploitait les mines du Lyonnais; il avait la fourniture du sel à Tours, à Loches, à Montrichard, à Busançais, à Bourges. Il avait une teinturerie à Montpellier, une papeterie à Rochetaillée. Ce qu'il ne produisait pas lui-même, il allait le demander directement aux producteurs pour se passer des intermédiaires, il avait d'innombrables comptoirs en France et sur les rives de la Méditerranée.

CÉLÉBRITÉ

La fortune de Jacques Cœur fut proverbiale au xve siècle. « La gloire de son maistre fit-il esbruire (retentir) en toutes nations et DEJACQUES CŒUR. terres, et les fleurons de sa couronne fit-il resplendir par les longtaines mers », s'écriait Georges Chastellain. Jacques Coeur, en effet, avait rendu à la France, dans le Levant un prestige que désormais,

pendant de longs siècles, elle ne perdit plus. Il avait réveillé autour VÉRITABLE RÔLE de lui une prodigieuse activité économique. Il ne faut pas toutefois DE JACQUES CŒUR. grandir démesurément son rôle dans l'histoire du commerce, et on a eu tort de présenter ses entreprises comme des innovations. Enfin, quelques résultats qu'ait produits son initiative personnelle, il est évident qu'avec la fin de la guerre de Cent Ans coïncida tout naturellement une renaissance commerciale. Jacques Coeur n'avait pas attendu le retour de la prospérité publique pour fonder sa fortune, et c'est en quoi il montra son génie, mais cette renaissance commerciale se serait produite sans lui1.

1. Sur la disgrâce de Jacques Cœur, voir plus loin, chap. v. § 1.

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