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CHAPITRE PREMIER

LE GOUVERNEMENT DU DUC DE BEDFORD

AU NORD DE LA LOIRE

I. LES ORGANES DU GOUVERNEMENT ANGLAIS. - II. L'ADMINISTRATION DU
III. LES EXIGENCES DU GOUVERNEMENT ANGLAIS.

DUC DE BEDFORD.

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I. LES ORGANES DU GOUVERNEMENT ANGLAIS1

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OUR que l'établissement des Anglais en France fût durable, il fallait d'abord qu'ils eussent un chef capable de remplacer Henry V, et une armée solide. Pendant les premières années du nouveau règne, ils eurent cette armée et ce chef. Jean de Lancastre, duc de Bedford, avait trente-trois ans à la mort de son frère. C'était un homme de haute stature, aux traits énergiques et durs. Il avait les qualités et les défauts de sa race et de sa famille. Administrateur exact et équitable, fin politique, il sut toujours être affable et conciliant quand il le jugea à propos; mais c'était un froid calculateur, très avide, arrogant et capable de cruauté. Il menait à Paris et à Rouen un train vraiment royal. Il s'était fait allouer une pension de plus de cent mille livres tournois, et il accumulait en France et en Angleterre hôtels, terres et seigneuries. Il faisait main basse sur tout ce

1. SOURCES. Ordonnances, t. XIII. Stevenson, Letters and papers illustrative of the wars of the English in France, 1861-1864, 3 vol. Jarry, Le compte de l'armée anglaise au siège d'Orléans, Mémoires de la Société archéologique de l'Orléanais, t. XXIII. Joubert, Documents inédits sur la guerre de Cent Ans dans le Maine, Revue du Maine, 1889.

OUVRAGES A CONSULTER. Longnon, Etendue de la domination anglaise à l'époque de Jeanne d'Arc, Revue des Questions historiques, t. XVIII. Ch. de Beaurepaire, Administration de la Normandie sous la domination anglaise, Mém. de la Soc. des Antiquaires de Normandie, t. XXIV. Boucher de Molandon et de Beaucorps, L'armée anglaise vaincue par Jeanne d'Arc, Mémoires de la Soc. archéologique de l'Orléanais, t. XXIII. Mlle de Villaret, Campagnes des Anglais dans l'Orléanais, 1893. Aubert, Histoire du Parlement de Paris, t. I, 1894. Du Motey, Exmes pendant l'occupation anglaise, Bull. de la Soc. historique de l'Orne, t. VIII.

2. On voit son portrait dans le Livre d'heures de la duchesse de Bedford (British Museum).

LE DUC DE BEDFORD.

COMPOSITION
DE L'ARMÉE
ANGLAISE.

SOLDE,

DISCIPLINE.

qui lui plaisait. Les magnifiques vitraux du château de Coucy et les débris de la librairie du Louvre, achetés par lui à vil prix, furent expédiés en Angleterre. Aidé de ses favoris, il dilapida en quelques années la collection de tapisseries de Charles VI, une des plus riches qui aient jamais existé : il n'en resta rien. Ces satisfactions personnelles qu'il trouvait dans la conquête anglaise, et l'intérêt qu'il avait à la maintenir, joints à ses talents de politique et d'homme de guerre, faisaient de Bedford l'homme le plus capable de recueillir la succession de Henry V. La fortune des Lancastres était en bonnes mains. Jusqu'au moment où les victoires de Jeanne d'Arc amenèrent la dislocation du gouvernement anglais en France, Bedford réussit à maintenir intacte l'excellente organisation de son armée. Cette armée consistait en «<< retenues », compagnies d'effectif variable, souvent très petites. La retenue était recrutée, à l'aide d'engagements volontaires, par un capitaine anglais, qui la commandait et l'administrait. Elle comprenait, en grande majorité, des Anglais, et un certain nombre de sujets français, venus surtout des domaines bourguignons. La solde était élevée. Un banneret touchait 4 sols sterling par jour; un chevalier 2 sols. L'homme d'armes, qui était généralement un noble, avait 8 deniers s'il combattait à pied, et 12 s'il était monté. Les archers, trois fois plus nombreux que les hommes d'armes, avaient 6 deniers1. A cette solde, payée intégralement et sans retards, se joignait le produit des rançons et du butin. Mais il était interdit aux gens de guerre de vivre sur l'habitant. Le capitaine d'une retenue, quand il passait contrat avec le duc de Bedford, promettait de « faire garder les peupples et sugiez obéissanz au roy, de toutes forces, violences, pilleries, roberies, prinses de vivres, chevaulx et austres bestiaulx et de toutes exactions quelconques ». Il est vrai qu'il ne faut pas se fier absolument à ce texte officiel, auquel on peut opposer plusieurs documents, notamment un bail passé à Hauville en 1423 : <«< S'il advient que dedans ledit terme les boeufs baillés au fermier pour le labour ou le harnois fussent perdus par Anglois, gens d'armes, brigans ou autres gens, le preneur n'en rendra rien. » Mais c'était beaucoup que les Anglais reçussent une solde et ne fussent pas, comme les Armagnacs, contraints à voler pour vivre. Plus tard, quand leur solde cessa de leur être allouée régulièrement, ils devinrent pillards comme les autres.

1. La livre sterling, divisée en 20 sols de 12 deniers chacun, valait alors près du double de la livre sterling actuelle, en valeur intrinsèque. D'autre part, les métaux précieux étant bien plus rares que de nos jours, leur pouvoir d'achat était plus considérable; cette valeur relative ne peut d'ailleurs être fixée avec précision. Un sol sterling valait donc, en poids, 2 fr. 50 de notre monnaie, et avait une valeur relative notablement supérieure. 2. De Beaurepaire, Etat des campagnes de la Haute-Normandie, p. 22.

CHAPITRE PREMIER

LE GOUVERNEMENT DU DUC DE BEDFORD AU NORD DE LA LOIRE

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I. LES ORGANES DU GOUVERNEMENT ANGLAIS. II. L'ADMINISTRATION DU DUC DE BEDFORD. - III. LES EXIGENCES DU GOUVERNEMENT ANGLAIS.

I. LES ORGANES DU GOUVERNEMENT ANGLAIS1

POUR

OUR que l'établissement des Anglais en France fût durable, il fallait d'abord qu'ils eussent un chef capable de remplacer Henry V, et une armée solide. Pendant les premières années du nouveau règne, ils eurent cette armée et ce chef. Jean de Lancastre, duc de Bedford, avait trente-trois ans à la mort de son frère. C'était un homme de haute stature, aux traits énergiques et durs. Il avait les qualités et les défauts de sa race et de sa famille. Administrateur exact et équitable, fin politique, il sut toujours être affable et conciliant quand il le jugea à propos; mais c'était un froid calculateur, très avide, arrogant et capable de cruauté. Il menait à Paris et à Rouen un train vraiment royal. Il s'était fait allouer une pension de plus de cent mille livres tournois, et il accumulait en France et en Angleterre hôtels, terres et seigneuries. Il faisait main basse sur tout ce

1. SOURCES. Ordonnances, t. XIII. Stevenson, Letters and papers illustrative of the wars of the English in France, 1861-1864, 3 vol. Jarry, Le compte de l'armée anglaise au siège d'Orléans, Mémoires de la Société archéologique de l'Orléanais, t. XXIII. Joubert, Documents inédits sur la guerre de Cent Ans dans le Maine, Revue du Maine, 1889.

OUVRAGES A CONSULTER. Longnon, Etendue de la domination anglaise à l'époque de Jeanne d'Arc, Revue des Questions historiques, t. XVIII. Ch. de Beaurepaire, Administration de la Normandie sous la domination anglaise, Mém. de la Soc. des Antiquaires de Normandie, t. XXIV. Boucher de Molandon et de Beaucorps, L'armée anglaise vaincue par Jeanne d'Arc, Mémoires de la Soc. archéologique de l'Orléanais, t. XXIII. Mlle de Villaret, Campagnes des Anglais dans l'Orléanais, 1893. Aubert, Histoire du Parlement de Paris, t. I, 1894. Du Motey, Exmes pendant l'occupation anglaise, Bull. de la Soc. historique de l'Orne, t. VIII.

2. On voit son portrait dans le Livre d'heures de la duchesse de Bedford (British Museum).

LE DUC DE BEDFORD.

COMPOSITION
DE L'ARMÉE
ANGLAISE.

SOLDE,

DISCIPLINE.

qui lui plaisait. Les magnifiques vitraux du château de Coucy et les débris de la librairie du Louvre, achetés par lui à vil prix, furent expédiés en Angleterre. Aidé de ses favoris, il dilapida en quelques années la collection de tapisseries de Charles VI, une des plus riches qui aient jamais existé : il n'en resta rien. Ces satisfactions personnelles qu'il trouvait dans la conquête anglaise, et l'intérêt qu'il avait à la maintenir, joints à ses talents de politique et d'homme de guerre, faisaient de Bedford l'homme le plus capable de recueillir la succession de Henry V. La fortune des Lancastres était en bonnes mains. Jusqu'au moment où les victoires de Jeanne d'Arc amenèrent la dislocation du gouvernement anglais en France, Bedford réussit à maintenir intacte l'excellente organisation de son armée. Cette armée consistait en « retenues »>, compagnies d'effectif variable, souvent très petites. La retenue était recrutée, à l'aide d'engagements volontaires, par un capitaine anglais, qui la commandait et l'administrait. Elle comprenait, en grande majorité, des Anglais, et un certain nombre de sujets français, venus surtout des domaines bourguignons. La solde était élevée. Un banneret touchait 4 sols sterling par jour; un chevalier 2 sols. L'homme d'armes, qui était généralement un noble, avait 8 deniers s'il combattait à pied, et 12 s'il était monté. Les archers, trois fois plus nombreux que les hommes d'armes, avaient 6 deniers'. A cette solde, payée intégralement et sans retards, se joignait le produit des rançons et du butin. Mais il était interdit aux gens de guerre de vivre sur l'habitant. Le capitaine d'une retenue, quand il passait contrat avec le duc de Bedford, promettait de « faire garder les peupples et sugiez obéissanz au roy, de toutes forces, violences, pilleries, roberies, prinses de vivres, chevaulx et austres bestiaulx et de toutes exactions quelconques ». Il est vrai qu'il ne faut pas se fier absolument à ce texte officiel, auquel on peut opposer plusieurs documents, notamment un bail passé à Hauville en 1423 : <«< S'il advient que dedans ledit terme les bœufs baillés au fermier pour le labour ou le harnois fussent perdus par Anglois, gens d'armes, brigans ou autres gens, le preneur n'en rendra rien. » Mais c'était beaucoup que les Anglais reçussent une solde et ne fussent pas, comme les Armagnacs, contraints à voler pour vivre. Plus tard, quand leur solde cessa de leur être allouée régulièrement, ils devinrent pillards comme les autres.

1. La livre sterling, divisée en 20 sols de 12 deniers chacun, valait alors près du double de la livre sterling actuelle, en valeur intrinsèque. D'autre part, les métaux précieux étant bien plus rares que de nos jours, leur pouvoir d'achat était plus considérable; cette valeur relative ne peut d'ailleurs être fixée avec précision. Un sol sterling valait donc, en poids, 2 fr. 50 de notre monnaie, et avait une valeur relative notablement supérieure. 2. De Beaurepaire, Etat des campagnes de la Haute-Normandie, p. 22.

Avant le paiement de la solde, des revues d'effectif et de matériel étaient passées par des commissaires royaux, qui étaient le plus souvent des fonctionnaires civils. C'étaient aussi des juges civils qui connaissaient des délits commis par les soldats anglais.

Les retenues étaient dispersées en petites garnisons sur toute l'étendue des pays conquis. Lorsqu'on entreprenait une campagne importante, des renforts venus d'Outre-Manche formaient ordinairement le noyau de l'armée d'opérations; pour achever de la constituer, les garnisons anglaises de France envoyaient des détachements. On affaiblissait ainsi la défense des places; mais cet expédient était commandé par les circonstances: le budget du « roi de France et d'Angleterre » ne pouvait suffire à la levée de nombreuses armées. L'effectif des troupes anglaises résidant en France fut toujours très restreint la garnison de Cherbourg était de 160 hommes, celle de Rouen de 75, celle d'Évreux de 12. Pour des opérations de premier ordre, comme le siège d'Orléans, on ne parvenait à rassembler que quelques milliers de combattants. Mais la tenue et la discipline de ces troupes, sans être parfaites, étaient très supérieures à celles des armées armagnaques.

CONTRÔLE

ET JUSTICE
MILITAIRE.

EFFECTIFS.

L'armée anglaise n'avait ni connétable, ni maréchaux. Elle était COMMANDEMENT. placée sous l'autorité d'un lieutenant du roi, qui donnait immédiatement ses ordres aux capitaines de retenues. Ces lieutenants du roi d'Angleterre étaient souvent des stratégistes de valeur. Charles VII, durant les premières années de son règne, n'eut pas un seul homme de guerre comparable aux chefs des armées anglaises.

Mais il ne suffisait pas de conquérir les domaines de Charles VII. Le difficile était de les gouverner.

LIMITES

ANGLAISE.

En 1422, outre les sénéchaussées du Bordelais, du Bazadais et des Landes, qu'ils tenaient depuis de longues années, les Anglais DE LA DOMINATION avaient à gouverner en France la Normandie et l'Ile-de-France, une grande partie de la Picardie et de la Champagne; les pays entre Seine et Loire étaient entamés, et le flot de l'invasion pénétrera vite jusqu'aux rives de la Loire. A l'ouest de ces pays de domination anglaise, les Bretons vivaient à l'écart, comme désintéressés de la lutte; à l'est, le duc de Bourgogne reconnaissait la souveraineté de Henry VI pour ses fiefs français : Bourgogne, Artois, Flandre française.

La région occupée par les Anglais au nord de la Loire était la plus riche du royaume; mais leur domination n'y était point partout assurée et sans partage. Ils n'avaient pas réussi à exterminer les bandes des capitaines armagnacs; en Champagne surtout, elles tenaient encore les champs. Dans les pays contigus aux domaines de Philippe le Bon, il avait fallu faire une part au duc de Bourgogne

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