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pétence des conseils coloniaux serait restreinte au rôle des conseils consultatifs de nos départemens, et nos quatre colonies tropicales enverraient sept députés au Palais-Bourbon. Deux articles insérés dans la loi des finances de 1841 sont comme un acheminement à cette grande mesure. Les recettes et dépenses intégrales des colonies figurent présentement au budget de l'état, où n'apparaissaient auparavant que les subventions servies par la métropole. En 1842, l'ensemble des dépenses générales ou locales, ayant dépassé les recettes de 2,233,740 fr., il a fallu grever de pareille somme le budget national, pour couvrir ce déficit.

Si l'affranchissement est prononcé, le vieux mécanisme de l'administration coloniale se trouvera insuffisant; il faudra en multiplier, en assouplir les ressorts. L'esclave, en obtenant des droits, acceptera des devoirs. Il n'était justiciable que de l'arbitraire du maître; il aura à répondre devant l'autorité de toute infraction aux lois et à la morale. Beaucoup de méfaits qu'on ne prend pas même la peine de constater aujourd'hui seront considérés un jour comme des délits punissables, qu'il faudra châtier, si on ne peut les prévenir. En renonçant aux bénéfices du despotisme, chaque propriétaire fermera son hôpital, sa prison, ses écoles. Il sera donc nécessaire de remplacer la discipline de la servitude par un ensemble d'institutions appropriées aux sociétés libres. La section dans laquelle M. de Broglie a envisagé l'abolition de l'esclavage dans ses rapports avec le maintien de l'ordre public annonce cette puissance d'organisation qui distingue l'homme d'état véritable du théoricien rêveur. Force militaire, police civile et judiciaire, religion, bienfaisance, éducation, tout est prévu, tout est réglé jusque dans les moindres détails financiers. Comme il importe d'apprécier avec exactitude ce qu'il en doit coûter à la métropole pour la régénération de ses colonies, nous devons consigner ici les résultats généraux de cette partie du Rapport. La force militaire de nos colonies à esclaves est ainsi répartie :

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Si l'émancipation était accordée, les deux premières colonies réclameraient la formation de plusieurs compagnies d'artillerie, de gendarmerie, de chasseurs des montagnes. Un plus grand déploiement de force armée ne serait pas nécessaire à la Guyane et à Bourbon. La dépense pour les régimens de nouvelle création se répartirait comme il suit :

GUADELOUPE.
MARTINIQUE.

Première année: 1,130,000 fr.
2,196,000
3,326,000 fr.

Années suivantes: 618,000 fr. 1,211,000 1,829,000 fr.

Quant à l'administration de la justice, M. de Broglie, rappelant l'insuccès des juges spéciaux anglais, conseille avec raison au gouvernement de ne créer

que des magistratures régulières et permanentes. Il suffirait de bien déterminer la compétence des magistrats en exercice, de leur donner au besoin des suppléans, d'augmenter le nombre des justices de paix. La dépense annuelle pour les quatre colonies n'excéderait pas 269,500 fr.

A la fermeture des cachots particuliers, il faudra ouvrir de nouvelles prisons publiques. Huit maisons centrales de détention, et quarante-quatre geôles à proximité des justices de paix, nécessiteraient un déboursé de 1,620,000 f., pour premier établissement, et une charge annuelle de 34,000 f. L'éducation d'une race déchue commande aussi des sacrifices très dispendieux : il faudra appeler les humbles missionnaires des congrégations enseignantes, multiplier les salles d'asile et les écoles primaires. La dépense prévue s'élèverait en matériel à la somme de 1,740,000 francs, et en personnel à la somme de 488,100 fr.; cette dernière somme constituerait seule une dépense annuelle.

Aujourd'hui, l'esclave annulé par l'âge ou les infirmités reste forcément à la charge du spéculateur qui a exploité sa jeunesse. Les affranchis que la misère ou l'inconduite auront réduits à l'impuissance tomberont à la charge du public, et il y aura nécessité d'ouvrir à ces malheureux des infirmeries et des lieux de refuge. Il existe déjà dans les colonies des hôpitaux où l'on reçoit les militaires, les indigens de la classe libre, et les noirs du domaine colonial. En laissant à la charge des maîtres les esclaves que l'émancipation trouvera en état d'invalidité, il suffira de construire huit hospices nouveaux, comprenant 2,110 lits on évalue à 678,000 francs la dépense primitive, et à 80,000 francs la dépense annuelle en personnel, entretien et médicamens. Le clergé colonial, tel qu'il est constitué, ne paraît pas devoir être à la hauteur de sa nouvelle mission: pour en agrandir, pour en épurer le cadre, il suffirait d'une faible allocation annuelle, imputable sur un crédit déjà ouvert au département de la marine.

:

En résumé, la mise de fonds première pour réédifier la société coloniale serait de 7,364,000 fr., et le surcroît des dépenses annuelles de 2,718,500 fr. De compte fait, l'intérêt de l'indemnité, le transfert déjà effectué du budget colonial au compte de l'état, le surcroît prévu des dépenses administratives, représentent une rente annuelle de plus de 11 millions dont la métropole accepterait la charge. En se plaçant au point de vue des intérêts financiers, on se demande quels avantages la France aurait à espérer en dédommagement de cet énorme sacrifice?

Puisque, dans les idées régnantes, la fondation des colonies a pour but de réserver à l'industrie métropolitaine des marchés privilégiés à l'abri des concurrences commerciales et des perturbations de la politique extérieure, il faut entretenir ces marchés dans un état florissant. Malgré leur détresse actuelle, nos quatre colonies à sucre sont encore notre sixième débouché (1).

(1) Elles viennent après les États-Unis, l'Angleterre, les États sardes, l'Espagne et la Suisse.

L'échange des produits entre elles et la France entretient un roulement annuel de plus de 120 millions de francs, ce qui est environ la seizième partie de toutes nos transactions extérieures. Les droits perçus en France sur les sucres seulement dépassent 30 millions. La navigation coloniale occupe 10,000 marins, et elle représente les quatre septièmes de notre navigation au long cours, les pêches exceptées. Or, l'affranchissement des noirs devant avoir pour effet de créer une population de consommateurs, augmentera, dans une proportion remarquable, les bénéfices de ce mouvement commercial. Ce n'est pas là une conjecture gratuite. Invoquons encore une fois l'expérience anglaise. Les exportations de la Grande-Bretagne aux Indes occidentales et à Maurice, évaluées en francs et en nombre ronds, donnent les résultats suivants :

Moyenne des quatre dernières années de l'esclavage (1830–33).

69 millions. des quatre années de l'apprentissage (1834-37). . . 85 ... des quatre premières années du régime libre (1838-41). 100 Il y a, nous le savons, un temps d'arrêt dans cet accroissement. Depuis deux ans, les demandes faites à l'Europe ont été moins considérables. Il est au moins présumable qu'après les premières fluctuations, l'excédant de la vente, au profit de l'industrie britannique, ne restera pas inférieur à 25 p. 100. Les chances paraissent plus belles encore pour l'industrie française. Que la fabrication perfectionnée écarte la concurrence du sucre de betterave, que mille ressources négligées aujourd'hui soient fécondées, et l'on verra le mouvement d'échange entre la France et ses colonies obéir à une merveilleuse progression. Le trésor prélèvera sur ces transactions bien au-delà de ses avances, et il se trouvera, en définitive, qu'un sacrifice commandé par la politique et par la morale aura été un placement avantageux. Le seul dédommagement à espérer pour la métropole consistant dans les bénéfices que promet une grande extension de son commerce extérieur, il est évident que le système le plus favorable au développement de l'industrie coloniale sera en réalité le moins dispendieux. Cette dernière considération est décisive en faveur du projet appuyé par la majorité de la commission coloniale.

Qu'il y ait urgence de régénérer nos colonies, c'est ce qu'on ne saurait mettre en doute. Pour être efficace et durable, la réforme économique, conçue dans l'intérêt de la race blanche, doit se combiner avec l'affranchissement des noirs. Lorsqu'à la session prochaine le débat sera ouvert solennellement sur l'abolition de l'esclavage, on ne manquera pas d'exagérer les difficultés de l'entreprise, les sacrifices qu'elle impose, les dangers qu'elle entraîne. Aux clameurs de l'égoïsme, aux frayeurs menteuses ou réelles, il suffira d'opposer ces nobles paroles de M. le duc de Broglie « Les grandes choses ne sont grandes que parce qu'elles sont difficiles; les grandes nations ne sont grandes que parce qu'elles font de grandes choses. »

A. COCHUT.

UN

HOMME SÉRIEUX.

TROISIÈME PARTIE.'

XII.

Nous avons dit que plusieurs fois déjà Mme de Pontailly avait été obligée de combattre de toutes les forces de sa raison ce désir de plaire encore qui, à une certaine époque de leur vie, tourmente plus ou moins les femmes. Au trouble secret que lui causait l'insoumission de son cœur s'était joint tout récemment le malaise qui accompagne le désœuvrement de l'esprit. En faisant place au dédain, son engouement pour André Dornier lui avait laissé un vide pénible, quoiqu'il ne fût pas nouveau dans l'histoire de ses prédilections littéraires. Cette lacune dans son existence intellectuelle n'était pas, il est vrai, fort difficile à remplir, et les petits vers du vicomte y eussent suffi sans doute, si elle se fût décidée à y avoir recours; mais cette pensée seule la plongeait dans une étrange rêverie. Aux yeux de la

(1) Voyez les livraisons du 15 juin et du 1er juillet.

marquise, la valeur de la poésie et l'agréable tournure du poète se confondaient tellement, que peu à peu il lui devint à peu près impossible de penser à l'une sans songer en même temps à l'autre. De tous les hommes en qui depuis six ans elle avait cru successivement reconnaître un mérite supérieur, aucun, il faut en convenir, ne possédait les manières élégantes, le vif regard, le sourire caressant qui rehaussaient les œuvres poétiques du vicomte. Parmi les gens de talent, la beauté est une exception si rare, que, lorsqu'elle se rencontre, son attrait devient presque irrésistible. Aussi déjà Mme de Pontailly comparait mentalement Moréal à lord Byron, le seul poète contemporain qui ait eu la figure de son génie.

A mesure que la marquise subissait le charme qui l'entraînait vers Me protégé de son mari, sa nièce lui devenait importune, et bientôt ce sentiment prit le caractère d'une véritable aversion. Eh quoi! ce jeune et beau poète, destiné peut-être à illustrer son pays, déposerait ses lauriers aux pieds d'une petite fille sans instruction comme sans usage, et à coup sûr incapable de le comprendre! Cette idée n'était-elle pas odieuse? C'est qu'on avait vu plus d'un talent né pour l'immortalité avorter tristement par l'effet d'une union mal assortie? Et quel malheur pour l'art lorsqu'un de ces aiglons tombait au filet d'une créature vulgaire et inintelligente qui, par mesure d'économie domestique, croyait faire merveille en lui coupant les ailes! Tel serait sans doute le destin du vicomte s'il épousait Mile Chevassu, cette pensionnaire insignifiante qui n'avait pour elle que la beauté qu'on a toujours à dix-huit ans. Alors adieu l'inspiration brûlante, adieu l'élan sublime, adieu la fantaisie aux ailes diaprées et chatoyantes, adieu la poésie, adieu l'art!

Par amour pour l'art, ce fut là du moins le seul motif qu'elle s'avoua, Mme de Pontailly décida qu'elle ne contribuerait en aucune manière au mariage d'Henriette et du vicomte.

Le soir, la marquise conduisit sa nièce à l'Opéra; Moréal fut un des premiers hommes qu'elles aperçurent au balcon, mais elles ne se communiquèrent pas leur remarque. Malgré le désir qu'il en avait, le vicomte n'osa se présenter dans la loge de Mme de Pontailly, car il y entrevoyait au dernier plan le buste sévère de M. Chevassu. Poussé par ce besoin de locomotion qui tourmente en pareil cas les amoureux, il quitta sa stalle pendant un entr'acte, et sans doute il allait rôder mélancoliquement près de la loge interdite, lorsque dans le corridor il rencontra le marquis.

-Pas d'enfantillage, lui dit celui-ci en l'arrêtant par le bras; le

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