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intérieures; on pourrait lui donner pour devise ce mot hardi, dont on a voulu lui faire un crime: « Il y a plus de plaisir à courir le lièvre qu'à le prendre ».

Ce n'est pas le maître que rêvent les natures paresseuses, les hommes d'autorité, ceux qui veulent se reposer dans un dogme tout fait: mais il sera recherché par tous ceux qui sont jaloux d'apprendre à penser. S'il est vrai que « la pente de notre génie national a toujours été de préférer à la marche pesante des démonstrations rigoureuses, l'allure vive et légère de la satire qui instruit en amusant »; personne n'a mérité plus que lui d'être un des nôtres. Il excite la curiosité, il révèle les difficultés des questions et les côtés faibles des théories officielles; il nous délivre de tout ce bagage de notions, de conventions et de préjugés, qui embarrassent et alourdissent un jeune esprit et l'empêchent de poursuivre la vérité; en un mot, il vous émancipe; et quand on sort de son école, on laisse là béquilles et lisières; on se tient debout sur ses pieds, on sait marcher.

En littérature, comme en théologie, il a nettoyé les écuries d'Augias; il a ouvert des voies nouvelles, inspiré des travaux originaux, réveillé l'enthousiasme et il est le père de la critique moderne. Macaulay l'appelle le premier critique européen sans contestations; Goethe lui a rendu le titre d'homme de génie que dans sa modestie il avait repoussé ; et Schiller a inscrit dans ses Xénies la plus brillante épitaphe, qu'oa devrait graver sur son tombeau :

Vivant, on t'honorait comme un des dieux;
Mort, ton esprit règne sur tous les esprits! »>

LE

CHRISTIANISME

MODERNE

ÉTUDE SUR LESSING

CHAPITRE PREMIER (').

ŒUVRES THÉOLOGIQUES DE LESSING.

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Origine et caractère de cette polémique. — [Nathan

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le Sage. Conte des Trois anneaux. Education du genre humain. Lessing et les francs-maçons.

L'activité théologique de Lessing se concentre dans les deux ou trois dernières années de sa vie, et nous pouvons ranger sous trois chefs les œuvres qui nous livreront le secret de sa pensée. Ce sont d'abord les nombreuses répliques provoquées par la controverse qu'il soutint avec Gæze et qui sont réunies sous le nom d'Anti-Goze, la pièce célèbre de Nathan le Sage, et l'Éducation du genre humain.

Pendant que Lessing était fixé à Hambourg, il avait reçu communication d'un manuscrit important. C'était

(1) Pour la partie biographique, comme pour l'analyse des différentes œuvres de Lessing, nous renvoyons le lecteur à l'ouvrage de M. Crouslé Lessing et le goût français en Allemagne. Paris, chez Durand, 1863. Livre distingué, puisé aux meilleures sources et auquel nous n'avons à reprocher qu'un patriotisme un peu ombrageux et trop d'hésitation sur toutes les questions philosophiques ou religieuses.

FONTANÈS.

1

l'œuvre d'un professeur de langues orientales au gymnase de cette ville, Samuel Reimarus, et qui portait ce titre significatif d'Apologie pour les adorateurs de Dieu suivant les lumières de la raison.

Lessing avait été frappé de la rigueur avec laquelle l'auteur déduisait ses objections et révélait les côtés faibles de l'apologétique traditionnelle. Il lui semblait approcher de l'idéal d'un digne adversaire de la religion chrétienne et il souhaitait que Dieu suscitât bientôt un homme qui n'approchât pas moins de l'idéal d'un digne défenseur de la religion. Pour hâter la réalisation de ce vœu il crut ne pouvoir rien tenter de plus efficace que de publier les écrits de ce rationaliste. Profitant de la franchise de censure dont jouissaient les publications tirées du fonds de manuscrits déposés à la bibliothèque de Wolfenbuttel, dont il était l'administrateur, il publia, dès 1774, sous le nom de Fragments tirés des papiers d'un anonyme, une première partie de cet ouvrage. C'était le chapitre sur la Tolérance des déistes et son apparition ne causa pas une bien vive sensation. Le siècle commençait à être gagné à ces idées de tolérance, qui respectent les personnes sans rien rabattre de la sévérité à l'endroit de la doctrine. A différents intervalles parurent les autres chapitres qui étaient moins innocents. Celui, entre autres, qui était intitulé « De l'impossibilité d'une Révélation à laquelle tous les hommes puissent accorder une foi solide» et, celui où les témoignages de la résurrection étaient soumis à une critique implacable. Dès ce moment, le monde théologique fut en feu les pamphlets, les mandements, les prédications se multiplièrent pour dénoncer l'impie, le blasphémateur qui, sans pudeur et sans courage, s'abritait derrière une fiction pour déchaîner sur la société un esprit

d'incrédulité. Cette fureur ne pouvait faire reculer un homme de la trempe de Lessing, et au milieu de cette tempête de haines dévotes il publia le dernier fragment et le plus hardi: Les desseins de Jésus et de ses disciples.

Au premier rang des polémistes qui se distinguèrent par la violence de leurs attaques, Goze, le premier pasteur à la cathédrale de Hambourg, se signala par son zèle et la fécondité de sa plume. Goze n'était ni un méchant homme, ni un esprit médiocre et sans lettres. Lessing, pendant son séjour à Hambourg, avait appris à le connaître, et il faisait état de ses connaissances bibliographiques et de son amour pour les collections de bibles et les premières éditions de la traduction de Luther. Ses amis lui avaient souvent reproché ses rapports avec ce pasteur, et lui demandaient avec malice, si ce n'était pas le bon vin du Rhin du prêtre qui l'attirait chez lui. Ce que Lessing aimait chez ce théologien, c'était son esprit logique et tout d'une pièce : il a toujours eu horreur des caractères lâches et inconséquents, et l'homme du passé, gardien inexorable de la tradition, lui a toujours paru plus digne de respect que l'hétérodoxe qui s'arrête à mi-chemin et n'est pas plus fidèle à la raison qu'à la foi. Aussi ne s'était-il pas attaché aux libres penseurs pour soutenir Alberti contre Goze.

Certes, il n'avait rien à objecter au fond des choses; la suppression de l'article De diabolo dans la doctrine chrélienne, et des malédictions contre les païens dans la liturgie, ne pouvaient blesser sa foi; mais avec un sûr instinct il prévoyait le débordement de ces doctrines relâchées et de cette sensibilité féminine, qui s'effrayent d'une doctrine accusée comme d'une haine vigoureuse du mal, et qui trahissent ainsi les intérêts de la haute spéculation comme

ceux de la vraie morale. Aussi dans une réunion où il rencontra Alberti, il soutint le point de vue de Goze et s'écria que « si nous devons aimer notre prochain comme nous» mêmes, nous devons aussi appeler la colère de Dieu sur >> ceux qui la méritent » (1).

Mais l'heure de la rupture avait sonné et Goze s'était jeté dans l'arène avec cette vigueur et cette impétuosité que Lessing avait admirées jusque-là en artiste. Il a lu, s'écrie-t-il, les objections que Lessing oppose au « Frag» mentiste avec plus de tristesse encore que ces Frag»ments si grossiers, si blasphématoires, et il l'engage à » songer à son lit de mort et à ne pas se fermer la voie du >> repentir ». Goeze n'épargna aucun moyen pour réduire son ennemi, ni les excès de la polémique, ni les dénonciations il ameuta contre lui tous les corps constitués, les consistoires, et jusqu'au conseil aulique de l'Empire ; il réussit même à entraîner dans ses fureurs séniles le chef du rationalisme, Semler, qui s'oublia jusqu'à écrire que Lessing avait mérité d'être envoyé dans une maison de fous.

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Le lion était harcelé, relancé jusque dans sa tannière, il n'allait pas tarder à faire entendre sa voix. Pendant le cours de cette année fatale 1778, où il perdait la compagne bien-aimée de sa vie, il fit paraître avec une rapidité qui tenait du prodige, tous ces pamphlets étincelants de

(1) N'en déplaise à Lessing, ce refus d'Alberti de lire dans la liturgie la malédiction contre les païens nous touche comme la protestation d'une conscience protestante, et nous ne pouvons pas oublier que les réformes et les progrès ont toujours commencé par l'insurrection d'une conscience honnête. Au commencement de ce siècle, vers 1820, il était encore d'usage à Genève d'excommunier nominativement du haut de la chaire. M. le professeur Chenevière, qu'on a toujours rencontré sur la brèche pour repousser le vieux calvinisme, se refusa nettement à lire une de ces excommunications, et il a eu l'honneur, par sa noble résistance, de mettre fin à cet usage suranné et de replacer l'individu sous sa responsabilité directe.

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