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naturaliste, qui n'est, dans la théologie chrétienne, que l'écho de la transcendance absolue de Dieu enseignée dans le Judaïsme, furent conjurés en partie par la doctrine de la rédemption et par l'affirmation de la toute-présence de Dieu; mais au fond les dogmes de l'orthodoxie sont une longue trahison du principe chrétien.

Dieu reste toujours au delà du monde, et il n'y intervient que par intervalles, pour produire quelques coups d'État; au lieu de l'effusion du nouvel esprit sur tous les croyants, de la permanence de l'action divine sur tous les hommes de franche volonté, l'inspiration est localisée dans un livre ou un corps hiérarchique; ce qui devait être le patrimoine commun, est devenu le monopole de quelques-uns; au lieu d'un Christ, qui est le primus inter pares et dont les expériences religieuses doivent se reproduire dans tous les cœurs purs, on nous présente un Christ hybride, mélange contradictoire de deux natures et dont nous ne pouvons nous approprier les attributs; l'intimité, l'union avec Dieu n'appartient plus à l'humanité, à tout homme qui s'affranchit de la nature; elle est le privilége d'un être étrange, produit artificiel d'une métaphysique aventureuse. Tous ces dogmes forment l'apogée de ce mouvement d'enthousiasme, qui porta la chrétienté à exalter le Christ et à traduire, dans l'élévation de sa personne, sa foi au principe nouveau, dont il était l'introducteur dans la société humaine; mais l'apogée de ce mouvement dogmatique a failli être l'écueil sur lequel le Christianisme a paru sombrer: peu s'en est fallu que le Christ ne fût relégué, par cette humanité, qui l'avait déifié, dans le vague d'une entité métaphysique.

La crise que nous traversons était nécessaire; il fallait qu'elle éclatât, si le Christianisme ne devait pas périr.

Notre génération, avide de réalité, fait rentrer le Christianisme dans l'ordre historique, et le Jésus qu'elle a rendu à la conscience humaine se tient debout et n'est plus suspendu dans les nuages. Le Christ redevient l'initiateur d'une nouvelle manière d'être et de vivre, et nous aimons son caractère, sa conscience religieuse pratique; nous y lisons la prophétie de ce que nous devons être. Entre lui et nous, pas de différences essentielles, spécifiques : ce ne sont que différences de degrés.

Dès que la science fait rentrer une personnalité ou une religion dans l'ordre historique, montre ses points d'attache dans l'état antérieur de la civilisation ou de la conscience religieuse; dès que l'enchaînement des faits n'est plus rompu, pour laisser place à une intervention surnaturelle, l'orthodoxie crie à l'impiété, comme si l'orgueil humain révolté entreprenait sur les droits de Dieu et voulait restreindre l'étendue de ses pouvoirs. On pose d'un ton solennel ce dilemme, auquel il n'est pas difficile d'échapper: Si le christianisme est le fait du développement historique, il n'est pas de création divine; il est l'œuvre de l'homme. L'objection serait pressante s'il y avait, comme dit Malebranche, une nature à qui Dieu eût fait part de sa puissance et qu'il laissât quelquefois agir sans y prendre part, de la même manière qu'un prince laisse agir ses ministres. Mais c'est là le point de vue du déisme, qui fait de la nature une sorte de Dieu, se suffisant à ellemême le lendemain de la création; et l'orthodoxie simplifie vraiment trop le problème en le posant dans ces termes. Elle veut réduire les adversaires actuels du surnaturel, ceux qu'elle aime parfois à faire soupçonner de panthéisme, et elle pose la question sur le terrain du déisme. Ne serait-ce pas un aveu indirect de complicité

FONTANÈS.

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avec ce système? Ne serait-ce pas la preuve que l'orthodoxie est saturée de déisme, et que, livrée à sa pente naturelle, pour résoudre les questions métaphysiques, elle part toujours des prémisses dualistes? Mais la philosophie moderne n'imagine pas que la nature soit le principe des effets ordinaires, pour réserver à l'action de Dieu les grands moments, les actes solennels de l'histoire; elle affirme que l'Esprit absolu est la cause suprême toujours agissante, qu'il n'y a point d'entr'actes dans le drame divin, et que les lois du monde sont l'expression de l'essence divine et le témoignage de son activité.

Malgré les protestations intéressées des vieux systèmes, qui n'ont plus assez d'élasticité pour se transformer, il reste acquis, que la philosophie de l'immanence est bien. plus favorable à l'épanouissement du principe chrétien que la théorie supranaturaliste à la considérer de près, elle n'est au fond, que l'expression, dans la langue de la métaphysique, de ce sentiment joyeux de communion avec Dieu, qui est la grande originalité du Christianisme. Nous sommes donc tranquilles sur l'avenir du Christianisme: il n'est pas atteint par la caducité des théologies et des philosophies, qui ont prétendu le représenter, et il ouvre une série nouvelle, qui ne sera pas moins féconde. Les jours que nous traversons ne sont pas sombres et désolés; non, c'est l'heure charmante du renouveau. L'espérance de Lessing se réalise le Christianisme entre dans son troisième âge.

CHAPITRE VII

VOLTAIRE ET LESSING.

Rapports personnels de ces deux grands hommes.- Pièces à tendance. - Critique d'Alzire. - Chateaubriand et le Dernier des Abencé:rages. - La religion de Zaïre.

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- Bacon et la Révélation. - Voltaire procède de Bacon et de Locke. Insuffisance de son déisme. Le xvIIIe siècle manque du sens historique et religieux.-Conciliation de la religion naturelle et des religions positives.

Conclusion.

Goethe a dit quelque part : « Il en est des nations » comme des familles. Quand une famille a longtemps » yécu, la nature finit par produire un individu qui con» centre en lui les qualités de tous ses ancêtres, rassem»ble toutes les dispositions éparses, ou seulement indi» quées jusqu'alors, et les incarne en sa personne dans >> toute leur perfection; de même le bonheur veut parfois » que tous les mérites, toutes les qualités d'une nation » apparaissent dans un individu. » Lessing a été pour le peuple allemand ce personnage-type, et la France du xvII siècle lui oppose pour émule Voltaire. Quelles que soient les différences qui séparent ces deux génies et leur assignent des rangs divers, il faut toute la susceptibilité du patriotisme allemand, pour s'offenser de ce parallèle et le déclarer absurde. Tous deux ont eu le goût et l'ardeur de la propagande, et ils ont excellé à prendre tous les genres, à manier toutes les armes, pour s'emparer de l'attention du public et l'entraîner dans leur parti. Tous deux ont laissé dans leur patrie un long sillon, que le flot du temps n'a pas recou

vert; et si Lessing a signalé, comme une vigie heureuse, de nouvelles terres où il a conduit son peuple, Voltaire, qui ne peut lui disputer cette supériorité, a répandu son esprit et son influence par delà les frontières de son pays; il a fait sur place une trouée moins profonde; mais il a atteint par ses écrits un plus grand public, et ce n'a pas été une hyperbole de ses disciples, pleurant la mort du maître, que d'écrire sur son mausolée : «Son esprit est partout». Tous deux ils ont exprimé, dans leur carrière pleine d'accidents, de luttes et de guerres, ce trait caractéristique de ce siècle ardent, l'action. « L'homme est né » pour l'action comme le feu tend en haut et la pierre en >> bas. J'écris pour agir», dit le patriarche de Ferney, qui a livré plus de cent batailles et mené à bonne fin plus d'une campagne contre le fanatisme et la barbarie obstinée des lois. Et Lessing, qui n'a pas la gloire d'avoir été le centre et le chef d'opérations d'ensemble, qui s'est battu en volontaire, portant ses coups partout où la sottise et le mensonge entretenaient le despotisme et l'injustice, Lessing a bien justifié cette définition de l'homme, qu'il avait proposée, «<l'homme n'est pas créé pour disputailler, mais » pour agir ». Tous deux ont eu l'honneur d'ameuter contre eux la foule des dévots et de s'avancer dans l'histoire à travers les insultes et les anathèmes de l'Église : ils sont tous deux des réprouvés, des tisons arrachés de l'enfer. Tous deux traqués, persécutés pour les hardiesses de leur pensée, ils ont dû se couvrir du voile de l'anonyme, renier parfois leurs écrits, pour échapper à la proscription. Tous deux, ils ont poussé le bon sens jusqu'au génie, et ils ont préservé la raison humaine de cette faiblesse maladive, qui l'énerve et la conduit à l'abdication; ils ont entretenu chez leur peuple cette gaieté de l'esprit, qui est la marque

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