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Nous avons sur la piété de Jeanne un touchant témoignage, celui de son amie d'enfance, de son amie de cœur, Haumette, plus jeune de trois ou quatre ans. Que de fois, dit-elle, j'ai été chez son père, et couché avec elle, de bonne amitié1........ C'était une bien bonne fille, simple et douce. Elle allait volontiers à l'église et aux saints lieux. Elle filait, faisait le ménage, comme font les autres filles.... Elle se confessait souvent. Elle rougissait, quand on lui disait qu'elle était trop dévote, qu'elle allait trop à l'église. » Un laboureur, appelé aussi en témoignage, ajoute qu'elle soignait les malades, donnait aux pauvres. « Je le sais bien, dit-il; j'étais enfant alors, et c'est elle qui m'a soigné. »

Tout le monde connaissait sa charité, sa piété. Ils voyaient bien que c'était la meilleure fille du village. Ce qu'ils ignoraient, c'est qu'en elle la vie d'en haut absorba toujours l'autre et en supprima le développement vulgaire. Elle eut, d'âme et de corps, ce don divin de rester enfant. Elle grandit, devint forte et belle, mais elle ignora toujours les misères physiques de la femme. Elles lui furent \

1. « Stetit et jacuit amorose in domo patris sui. » Déposition d'Haumette, Procès ms. de Révision.

2. « A ouy dire à plusieurs femmes que la ditte Pucelle.... onques n'avoit eu.... » Déposition de son vieil écuyer, Jean Daulon, Procès ms. de Révision.

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épargnées, au profit de la pensée et de l'inspiration religieuse. Née sous les murs mêmes de l'église, bercée du son des cloches et nourrie de légendes, elle fut une légende elle-même, rapide et pure, de la naissance à la mort.

Elle fut une légende vivante.... Mais la force de vie, exaltée et concentrée, n'en devint pas moins créatrice. La jeune fille, à son insu, créait, pour ainsi parler, et réalisait ses propres idées, elle en faisait des êtres, elle leur communiquait, du trésor de sa vie virginale, une splendide et toutepuissante existence, à faire pâlir les misérables réalités de ce monde.

Si poésie veut dire création, c'est là sans doute la poésie suprême. Il faut savoir par quels degrés elle en vint jusque-là, de quel humble point de départ.

Humble à la vérité, mais déjà poétique. Son village était à deux pas des grandes forêts des Vosges. De la porte de la maison de son père, elle voyait le vieux bois des chênes'. Les fées hantaient ce bois; elles aimaient surtout une certaine fontaine près d'un grand hêtre qu'on nommait l'arbre des fées, des dames. Les petits enfants y suspendaient des couronnes, y chantaient. Ces anciennes

1. « Que on voit de l'huys de son père. » Procès, interrog. du 24 février 1431, p. 71, éd. Buchon, 1827.

2. Ibidem, p. 69.

dames et maîtresses des forêts ne pouvaient plus, disait-on, se rassembler à la fontaine; elles en avaient été exclues pour leurs péchés1. Cependant l'Église se défiait toujours des vieilles divinités locales; le curé, pour les chasser, allait chaque année dire une messe à la fontaine.

Jeanne naquit parmi ces légendes, dans ces rêveries populaires. Mais le pays offrait à côté une tout autre poésie, celle-ci, sauvage, atroce, trop réelle, hélas! la poésie de la guerre.... La guerre! ce mot seul dit toutes les émotions; ce n'est pas tous les jours sans doute l'assaut et le pillage, mais bien plutôt l'attente, le tocsin, le réveil en sursaut, et dans la plaine au loin le rouge sombre de l'incendie.... État terrible, mais poétique; les plus prosaïques des hommes, les Écossais du bas pays, se sont trouvés poëtes parmi les hasards du border; de ce désert sinistre, qui semble encore maudit, ont pourtant germé les ballades, sauvages et vivaces fleurs.

Jeanne eut sa part dans ces romanesques aventures. Elle vit arriver les pauvres fugitifs, elle aida, la bonne fille, à les recevoir; elle leur cédait son lit et allait coucher au grenier. Ses parents furent aussi une fois obligés de s'enfuir. Puis, quand le flot des brigands fut passé, la famille re

1. Propter earum peccata. » Procès de Révision, déposition de Béatrix.

vint et retrouva le village saccagé, la maison dévastée, l'église incendiée.

Elle sut ainsi ce que c'est que la guerre. Elle comprit cet état antichrétien, elle eut horreur de ce règne du diable, où tout homme mourait en péché mortel. Elle se demanda si Dieu permettrait cela toujours, s'il ne mettrait pas un terme à ces misères, s'il n'enverrait pas un libérateur, comme il l'avait fait si souvent pour Israël, un Gédéon, une Judith?... Elle savait que plus d'une femme avait sauvé le peuple de Dieu, que dès le commencement il avait été dit que la femme écraserait le serpent. Elle avait pu voir au portail des églises sainte Marguerite, avec saint Michel, foulant aux pieds le dragon'.... Si comme tout le monde disait, la perte du royaume était l'œuvre d'une femme, d'une mère dénaturée, le salut pouvait bien venir d'une fille. C'est justement ce qu'annonçait une prophétie de Merlin; cette prophétie, enrichie, modifiée selon les provinces, était devenue toute lorraine dans le pays de Jeanne d'Arc. C'était une pucelle des marches de Lorraine qui devait sauver le royaume. La prophétie avait pris pro

1. Voy. les actes des Bollandistes, au 20 juillet. Sainte Marguerite voit apparaître le diable sous la forme d'un dragon; elle le met en fuite par un signe de croix. Elle s'échappe de la maison de son mari en habit d'homme : « Tonsis crinibus in virili habitu. » Legenda aurea Sanctorum, cap. CXLVI, éd. 1489.

2. Cette Pucelle devait venir du bois chenu; or il se trouvait

bablement cet embellissement, par suite du mariage récent de René d'Anjou avec l'héritière du duché de Lorraine, qui, en effet, était très-heureux pour la France.

Un jour d'été, jour de jeune, à midi, Jeanne étant au jardin de son père, tout près de l'église1, elle vit de ce côté une éblouissante lumière, et elle entendit une voix : « Jeanne, sois bonne et sage enfant; va souvent à l'église. » La pauvre fille eut grand'peur.

Une autre fois, elle entendit encore la voix, vit la clarté, mais dans cette clarté de nobles figures dont l'une avait des ailes et semblait un sage prud'homme. Il lui dit : « Jeanne, va au secours du roi de France, et tu lui rendras son royaume. » Elle répondit, toute tremblante: « Messire, je në suis qu'une pauvre fille; je ne saurais chevaucher, ni conduire les hommes d'armes. » La voix répliqua : « Tu iras trouver M. de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, et il te fera mener au roi. Sainte Catherine et sainte Marguerite viendront t'assister. Elle resta stupéfaite et en

un bois appelé ainsi à la porte même du village de Jeanne d'Arc: « Quod debebat venire puella ex quodam nemore canuto ex partibus Lotharingiæ. » Déposit. du premier témoin de l'enquête de Rouen. Notices des mss., t. III, p. 347.

1. Procès, interrogat. du 22 février, p. 59, édition Buchon, 1827.

2. Ibidem.

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