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que les gens de la ville crurent qu'en un moment il n'y aurait plus de fossés. Les Anglais commencèrent à s'éblouir, comme à Orléans; ils croyaient voir une nuée de papillons blancs qui voltigeaient autour du magique étendard. Les bourgeois, de leur côté, avaient grand'peur, se souvenant que c'était à Troyes que s'était conclu le traité qui déshéritait Charles VII; ils craignaient qu'on ne fit un exemple de leur ville; ils se réfugiaient déjà aux églises; ils criaient qu'il fallait se rendre. Les gens de guerre ne demandaient pas mieux. Ils parlementèrent, et obtinrent de s'en aller avec tout ce qu'ils avaient.

Ce qu'ils avaient, c'étaient surtout des prisonniers, des Français. Les conseillers de Charles VII qui dressèrent la capitulation n'avaient rien stipulé pour ces malheureux. La Pucelle y songea seule. Quand les Anglais sortirent avec leurs prisonniers garrottés, elle se mit aux portes, et s'écria: « 0 mon Dieu! ils ne les emmèneront pas! » Elle les retint en effet, et le roi paya leur rançon.

Maître de Troyes le 9 juillet, il fit le 15 son entrée à Reims; et le 17 (dimanche) il fut sacré. Le matin même, la Pucelle mettant, selon le précepte de l'Evangile, la réconciliation avant le sacrifice, dicta une belle lettre pour le duc de Bourgogne; sans rien rappeler, sans irriter, sans humilier personne, elle lui disait avec beaucoup de tact et de

noblesse : « Pardonnez l'un à l'autre de bon cœur, comme doivent faire loyaux chrétiens. »

Charles VII fut oint par l'archevêque de l'huile de la sainte ampoule qu'on apporta de SaintRemi. Il fut, conformément au rituel antique1, soulevé sur son siége par les pairs ecclésiastiques, servi des pairs laïques et au sacre et au repas. Puis il alla à Saint-Marcou toucher les écrouelles 2. Toutes les cérémonies furent accomplies, sans qu'il y manquât rien. Il se trouva le vrai roi, et le seul, dans les croyances du temps. Les Anglais pouvaient désormais faire sacrer Henri; ce nouveau sacre ne pouvait être, dans la pensée des peuples, qu'une parodie de l'autre.

Au moment où le roi fut sacré, la Pucelle se jeta à genoux, lui embrassant les jambes et pleurant à chaudes larmes. Tout le monde pleurait aussi.

On assure qu'elle lui dit : « O gentil roi, maintenant est fait le plaisir de Dieu qui voulait que je fisse lever le siége d'Orléans, et que je vous amenasse en votre cité de Reims, recevoir votre saint sacre, montrant que vous êtes vrai roi, et qu'à vous doit appartenir le royaume de France. »

1. Voy. Varin, Archives de Reims, et mes Origines du droit. 2. Un anonyme du xiie siècle parle déjà de ce don transmis à nos rois par saint Marculphe. Acta SS. ord. S. Bened., t. VI. M. de Reiffenberg donne la liste des auteurs qui en ont fait mention. Notes de son édition de Barante, t. IV, p. 261.

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La Pucelle avait raison; elle avait fait et fini ce qu'elle avait à faire. Aussi, dans la joie même de cette triomphante solennité, elle eut l'idée, le pressentiment peut-être, de sa fin prochaine. Lorsqu'elle entrait à Reims avec le roi, et que tout le peuple venait au-devant en chantant des hymnes : « O le bon et dévot peuple! dit-elle.... Si je dois mourir, je serais bien heureuse que l'on m'enterrât ici! Jeanne, lui dit l'archevêque, où croyezvous donc mourir? Je n'en sais rien, où il plaira à Dieu.... Je voudrais bien qu'il lui plût que je m'en allasse garder les moutons avec ma sœur et mes frères.... Ils seraient si joyeux de me revoir!... J'ai fait du moins ce que Notre-Seigneur m'avait commandé de faire. » Et elle rendit grâces en levant les yeux au ciel. Tous ceux qui la virent en ce moment, dit la vieille chronique, « crurent mieux que jamais que c'estoit chose venue de la part de Dieu1. »

III.

Jeanne est trahie et livrée.

Telle fut la vertu du sacre et son effet tout-puissant dans la France du nord, que dès lors l'expédition sembla n'être qu'une paisible prise de pos

1. Chronique de la Pucelle, collection Petitot, t. VIII, p. 206, 207, Notices des mss., t. III, p. 369, déposition de Dunois.

session, un triomphe, une continuation de la fête de Reims. Les routes s'aplanissaient devant le roi, les villes ouvraient leurs portes et baissaient leurs ponts-levis. C'était comme un royal pèlerinage de la cathédrale de Reims à Saint-Médard de Soissons, à Notre-Dame de Laon. S'arrêtant quelques jours dans chaque ville, chevauchant à son plaisir, il entra dans Château-Thierry, dans Provins, d'où, bien refait et reposé, il reprit vers la Picardie sa promenade triomphale.

Y avait-il encore des Anglais en France? on eût pu vraiment en douter. Depuis l'affaire de Patay, on n'entendait plus parler de Bedford. Ce n'était pas que l'activité ou le courage lui manquât. Mais il avait usé ses dernières ressources. On peut juger de sa détresse par un seul fait qui en dit beaucoup; c'est qu'il ne pouvait plus payer son parlement, que cette cour cessa tout service, et que l'entrée même du jeune roi Henri ne put être, selon l'usage, écrite avec quelque détail sur les registres, « parce que le parchemin manquait1.

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Dans une telle situation, Bedford n'avait pas le choix des moyens. Il fallut qu'il se remît à l'homme

1. « Ob defectum pergameni et eclipsim justiciæ. >> Registre du parlement, cité dans la préface du tome XIII des Ordonnances, p. LXVII. « Pour escripre les plaidoieries et les arretz.... plusieurs fois a convenu par nécessité..., que les greffiers.... à leurs despens aient acheté et paié le parchemin. » Archives, registres du parlement, samedi, 20o jour de janvier 1431.

qu'il aimait le moins, à son oncle, le riche et tout-puissant cardinal de Winchester. Mais celuici, non moins avare qu'ambitieux, se faisait marchander et spéculait sur le retard'. Le traité ne fut conclu que le 1er juillet, le surlendemain de la défaite de Patay. Charles VII entrait à Troyes, à Reims; Paris était en alarmes, et Winchester était encore en Angleterre. Bedford, pour assurer Paris, appela le duc de Bourgogne. Il vint en effet, mais presque seul; tout le parti qu'en tira le régent, ce fut de le faire figurer dans une assemblée de notables, de le faire parler, et répéter encore la lamentable histoire de la mort de son père. Cela fait, il s'en alla, laissant pour tout secours à Bedford quelques hommes d'armes picards; encore fallut-il qu'en retour on lui engageât la ville de Meaux'.

Il n'y avait d'espoir qu'en Winchester. Ce prêtre régnait en Angleterre. Son neveu, le protecteur Glocester, chef du parti de la noblesse, s'était perdu à force d'imprudences et de folies. D'année

1. Dès le 15 juin, on presse des vaisseaux pour son passage; les conditions auxquelles il veut bien aider le roi, son neveu, ne sont réglées que le 18; le traité est du 1er juillet, et le 16, le régent et le conseil de France en sont encore à prier Winchester de venir et d'amener le roi au plus vite. Voy. tous ces actes dans Rymer, 3o éd., t. IV, p. 144-150.

2. On lui donna en outre vingt mille livres, pour payement de gens d'armes. Archives, Trésor des chartes, J, 249, quittance du 8 juillet 1429.

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