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mation, qui aurait dû être le résultat d'une sévère recherche. Car en introduisant sous le nom d'âme, au milieu des phénomènes observés, un sujet, incapable d'être lui-même observé, il a prétendu, non-seulement que ce groupe de phénomènes, à cause de leur analogie intérieure, récla mait un principe d'explication spécial, mais encore que ce principe ne serait trouvé que dans l'hypothèse d'un être substantiel particulier.

La question de savoir s'il est possible de traiter la psychologie comme une science distincte, ou s'il est néces saire de la rattacher aux autres sciences naturelles, comme une de leur dépendance, serait résolue d'après la vérité ou la fausseté de ce préjugé que nous voyons revenir dans la formation de toute langue, et que nous devons compter pour cela au nombre des produits les plus constants de la réflexion humaine. On pourrait croire qu'il vaut mieux ici. comme au début des autres sciences naturelles, laisser ce point indécis, et attendre d'une parfaite observation des phénomènes qui nous sont donnés séparément, le juge ment à porter sur la nature du principe invisible auque il faut les ramener. Cependant l'inévitable imperfectio des observations psychologiques ne nous permet pas de prévoir qu'un pareil délai soit ici aussi avantageux qu'i l'est ailleurs. L'observateur de la nature dispose de moyens si précis pour mesurer les phénomènes qui se produisen spontanément, et d'une si grande variété de phénomènes créés artificiellement, qu'il peut sans peine, par la comparaison de ses expériences, conclure à la possibilité d'u principe d'explication, à l'impossibilité d'un autre et, par une élimination successive, n'en admettre qu'un seul. A contraire, nos observations sur les états de l'âme ne son jamais assez délicates ni assez sûres pour fournir un ar gument décisif en faveur d'une opinion ou de l'autre, e les traits de la vie de l'âme, auxquels on devra toujour revenir à la fin des recherches pour le choix d'un princip d'explication, nous semblent dès l'abord assez clairs pou, faire de la réponse à cette question le premier objet d nos réflexions. Or ce sont trois traits, qui paraissent avoi

autorisé, dans la formation vivante d'une langue, la création de cette idée d'âme. C'est d'abord le fait observé du concevoir, du sentir, du désirer, trois formes de phénomènes, dans lesquelles, outre le changement qui survient, se montre une perception de ce changement, le phénomène de la conscience dans son sens le plus large. C'est ensuite l'unité de la conscience, qui ne permet pas de rapporter l'activité intellectuelle à un agrégat d'éléments unis entre eux; enfin c'est le fait, non observé, mais déduit de l'observation, que, tandis que les autres êtres se comportent dans toutes leurs relations seulement comme des causes efficientes, qui produisent nécessairement une succession déterminée d'avance de phénomènes, seul l'être animé, comme un sujet autonome, manifeste librement, de lui-même et avec un nouveau commencement, des mouvements, des changements, en un mot des actes. Si nous cherchons maintenant dans quelle mesure ces caractères rendent indispensable pour leur explication l'hypothèse d'un principe particulier, de l'âme, nous trouverons que la psychologie ne s'appuie pas sur tous les trois avec un droit égal.

Une expérience générale et continuellement répétée nous montre que les modifications de notre état spirituel dépendent des impressions extérieures et de leurs effets sur les éléments matériels de notre corps. Notre œil voit d'autres couleurs et nous percevons d'autres sons, lorsque le nombre des oscillations du milieu oscillant qui baigne nos organes des sens vient à changer. Nous éprouvons des sensations différentes quand la forme, la densité et la vitesse des mobiles qui sont en contact avec la surface de notre corps, se modifient, et tous ces changements se succèdent d'une manière réglée, se répètent toujours dans les mêmes conditions et de la même manière. Rien n'est donc plus assuré que cette première proposition : les états physiques de nos éléments corporels constituent un ensemble de conditions, auxquelles sont nécessairement liées l'existence et la forme de nos états intérieurs. Mais tout ce qui peut se produire dans ces éléments matériels de la nature,

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comme tels, ou dans un corps particulier, considéré comme ensemble d'un grand nombre d'entre eux, toutes ces déterminations d'étendue, de mélange, de densité et de mouvement, n'offrent rien qui ressemble au caractère propre de ces états intérieurs qui s'y rattachent. Aucune analyse ne pourrait trouver dans une onde sonore une explication suffisante de sa transformation en son, et encore en un son déterminé; d'autre part, on a observé les couleurs pendant des milliers d'années sans y remarquer aucun indice du nombre des vibrations d'un éther en mouvement. Cette seconde proposition paraît donc tout aussi certaine les agents physiques, qui font impression sur nous, ne sont jamais à eux seuls la cause du phénomène psychique qui accompagne leur action; mais nous devons chercher un autre principe, qui donne par son concours cette forme à leurs effets.

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Expliquons en deux mots seulement, d'une manière générale, comment on arrive à cette conséquence. Tant que nous négligeons la nature qualitative des corps, pour les considérer simplement comme des masses indifférentes, il est facile de montrer comment la vitesse et la direction du mouvement dont ils sont animés, étaient déjà analytiquement contenues dans les mouvements d'autres corps, dont l'impulsion leur a communiqué leur propre mouvement. Voyons-nous au contraire la chaleur, en augmentant peu à peu, n'amener d'abord que la dilatation ordinaire d'une substance et tout à coup, à un point fixe, déterminer l'explosion de cette substance, au premier coup d'œil, le rapport analytique de ces deux effets nous échappe. Il est cependant certain que ce rapport existe, et en y réfléchissant nous arrivons bientôt à cette idée qu'il peut être précisément dans cette force expansive de la chaleur qui a agi sur les différents éléments de cette substance composée, non pas d'une manière uniforme, mais diversement: elle n'a pas agi en effet sur une masse indifférente, mais sur des éléments spécifiques, dont les affinités propres ont ainsi trouvé l'occasion de donner naissance, suivant leurs lois, à la dernière forme du résultat. Nous procédons

dans les sciences naturelles partout de la même manière. Dans l'action continue et dans l'accroissement uniforme d'une force simple, on ne trouvera jamais le principe en vertu duquel elle a dû produire des effets inconstants, d'une éclatante diversité, ni jamais dans la nature de la même force le principe en vertu duquel elle a donné lieu, ici et là, à des effets qualitatifs différents. Lorsqu'il n'est pas possible d'expliquer analytiquement, par la nature d'un phénomène antérieur et occasionnel, la forme qualitative de la conséquence qui s'y rattache, cet effet doit s'expliquer synthétiquement en d'autres termes, il n'y a, dans ce que nous appelons ordinairement la cause d'un phénomène, qu'une partie seulement de son explication complète, l'autre se trouve dans la nature spécifique de l'objet sur lequel la cause agit. Si nous voyons des groupes d effets différents naître sous l'influence d'agents semblables, nous devons admettre des substances différentes dont la nature propre donne lieu à cette diversité d'effets. La psychologie a les mêmes hypothèses à faire. Toutes les excitations physiques ressemblent si peu aux états de l'âme, que ceux-ci, qui en dépendent, il est vrai, n'ont pas en elles seules leur explication complète : il faut y joindre les qualités propres d'une seconde prémisse, n'importe laquelle, mais avec laquelle ces impressions agiront de

concert.

Si cependant, avec ces données, la psychologie se risquait à affirmer immédiatement qu'un principe substantiel particulier, l'âme, peut seul constituer cette seconde prémisse spécifique, elle avancerait prématurément une opinion juste. Car voici la seule conclusion que ces considérations générales autorisent rigoureusement l'explication complète des faits intérieurs ne saurait se trouver ni dans la série des excitations physiques, ni dans la série, d'ailleurs semblable à la précédente, des excitations organiques. Elles font supposer qu'il y a encore, n'importe où, d'autres attributs, sur lesquels agissent les excitations, mais elles ne permettent pas de nommer le sujet dans lequel se trouvent ces attributs. On peut donc se demander

s'il est nécessaire de rapporter ces attributs spéciaux à un sujet spécial lui-même et distinct, ou s'ils ne devraient pas plutôt appartenir à la matière elle-même qui a reçu l'impulsion occasionnelle des excitations extérieures. Chaque élément matériel, dira-t-on, à côté de son existence extérieure, mécanique, a en soi une vie intérieure, et, par suite, des agents physiques différents non-seulement déterminent en lui des états physiques divers, mais encore lui fournissent une occasion de donner naissance, grâce à ce côté de sa nature essentiellement différent, à ces éléments simples de l'activité spirituelle.

Nous pouvons accorder dès maintenant aux partisans de ces théories que dans cette complète dissemblance entre les phénomènes physiologiques et les phénomènes psycho. logiques, il n'y a absolument pas une raison suffisante de les ramener à deux genres différents de substance, matière et l'âme. Mais en admettant que d'autres raisons ne rendent pas cette division nécessaire, cette unité du sujet, dans lequel doivent se développer deux ordres de phénomènes, n'offrirait pas un avantage sérieux pour l progrès de la psychologie. Car on ne comblerait pas pa là, pour l'analyse scientifique des faits, l'abîme ouver entre ces deux ordres de phénomènes au-dedans du même être, ils resteraient toujours parallèles, absolument sans aucun lien, et sans qu'il fût possible de déduire de la connaissance des changements matériels les états de l'âme, qui doivent en résulter. Nous devrions affirmer, il est vrai, que les choses se passent ainsi, qu'à certaines modifications de l'état physique correspondent certains: changements dans l'activité spirituelle, mais jamais nous ne pourrions donner la raison intérieure pour laquelle de certains mouvements physiques naissent des phénomènes psychologiques entièrement dissemblables. Ce serait une question analogue à celle qui se présente à propos de la plupart des réactions entre les forces physiques, dans le sens propre du mot, et les affinités chimiques. Nous savons que l'efficacité de ces dernières peut être modifiée par l'influence des premières; mais il a été impossible jus

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