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de toutes les qualités physiques d'un phénomène, par idéalité cet autre attribut auquel il faut rapporter les modifications multiples de toute vie spirituelle. Mais les attributs supposent des substances auxquelles ils se rapportent. Or la première interprétation, donnée plus haut, à savoir que l'idéal et le réel, toujours unis l'un à l'autre, mais n'étant cependant pas identiques, seraient l'âme et le corps, est en horreur dans cette école; ce sont, pour elle, deux termes qui désignent des attributs, mais elle ne fait pas mention du troisième terme, de l'être substantiel, auquel ces attributs appartiennent. Demandons-nous une définition du corps? c'est le côté réel; de l'âme? c'est le côté idéal, nous répond-elle; mais le côté, l'aspect de quoi? de ce sujet resté indéterminé, ou, si l'on insiste, de l'organisme. Mais cette dernière réponse n'apprend rien, car l'organisme lui-même ne peut être défini par d'autres concepts et sans faire ce cercle vicieux de dire qu'il est à son tour l'unité d'un réel et d'un idéa!.

C'est pour avoir oublié de déterminer ce qui sert de sujet à ses énoncés, que cette école a rencontré une foule de difficultés particulières et n'a pas su éviter des obscurités qu'il suffit de rappeler ici comme les plus tristes entraves imposées à l'intelligence de beaucoup d'écrivains. L'organisme est à la fois d'une part, matière, de l'autre, esprit; il se <<manifeste » tantôt par une série de phénomènes chimiques, tantôt par des phénomènes de conscience; les expressions favorites de ces auteurs et à la fois vides de sens, d'intérieur et d'extérieur, de forme et de fond, d'intensif et d'extensif, jouent dans ces théories un rôle incompréhensible; partout « se confond » ce que nous devrions nécessairement séparer pour la clarté ; dans les étranges expressions par lesquelles ils désignent la vie, est contenu et se révèle on ne sait quoi, si ce n'est cette psyché, dont le nom grec employé à dessein convient mieux à cet obscur principe que notre expression allemande Seele, trop précise et trop noble pour cet usage. Mais tout en proclamant un rapport constant entre les deux aspects d'un être inconnu lui-même, ces psychologues,

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nous l'avons vu, n'arrivent jamais à des solutions nettes et satisfaisantes sur les questions de savoir comment telle ou telle série de faits spirituels peut être produite par le concours de certaines facultés psychiques d'une part et des fonctions corporelles, des impressions extérieures, de l'autre, ou comment elle sera déterminée dans sa forme, sa grandeur et sa durée. Laissons ces théories, jusqu'à ce que, par la suite de nos propres raisonnements, nous soyons ramenés plus tard à examiner les raisons sur lesquelles elles s'appuient.

V

THEORIES SPIRITUALISTES.

Nous avons commencé les considérations précédentes par une courte énumération des raisons pour lesquelles, dans son vivant développement, le langage a consacré dans le concept de l'âme l'idée d'un principe propre et substantiel de la vie spirituelle. En face de ce préjugé naturel à l'esprit humain, se dresse un doute qui revêt des formes diverses, mais qui est toujours le fruit d'un désir d'unité excessif, contraire à ce partage du monde ou de tout organisme particulier entre deux domaines distincts, le corporel et le spirituel. Ces théories, contraires à notre hypothèse, sont de deux sortes. Les unes ont leur point de départ dans une croyance absolue à la réalité exclusive de la matière, objet d'intuition sensible, et cherchent à établir l'unité en ne considérant tout phénomène spirituel que comme secondaire et résultant des réactions physiques entre les éléments. Les autres sont mieux disposées pour la vie de l'âme et voient la même unité dans l'union de l'idéal et du réel en un même être, dont ils représentent deux attributs différents mais également primitifs. On peut concevoir un troisième systèine, qui ne laisse pas subsister cet équilibre, qui transporte le centre de gravité dans le domaine spirituel, et ne considère que comme secondaire

et dépendante la matière, dont les deux autres écoles laissaient intacte la primitive réalité. Cette doctrine spiritualiste a presque toujours été adoptée par les philosophes dans leurs différents systèmes contre les conclusions ordinaires des sciences physiques et naturelles, et nous devons entrer ici dans quelques considérations sur cette doctrine qui seule nous paraît conforme à la vérité. Jusqu'ici nous avons accordé à la matière une existence propre; nous nous sommes contentés de lui opposer l'existence de l'âme, conime une réalité également indépendante, mais de nature différente, et qui, dans son développement, n'est soumise aux mêmes lois que pour les lois les plus générales. Quoique, pour les recherches particulières de la psychologie, nous devions nous en tenir à cette théorie comme seule claire et pratique, nous allons ici, pour un moment, descendre au fond des choses, de manière à faire connaître comment les notions pratiques d'un mécanisme physico-psychique, que nous aurons à développer dans un prochain chapitre, peuvent être justifiées comme l'expression abrégée de ce qui se passe réellement.

Nous sommes si habitués, dans le cours de la vie, aux intuitions sensibles, que ce qu'il y a de plus obscur, ce qui est simplement passif et inerte, nous apparaît comme ce qu'il y a de plus clair; les théories mêmes, qui partent de la réflexion et du raisonnement le plus méthodique, redoutent comme un acheminement à des rêveries antiscientifiques, le premier pas qui leur ferait perdre de vue l'idée de la matière, et les amènerait à parler de vérités supra-sensibles. Dans les doctrines mêmes, qui opposent le plus formellement l'idée de l'âme à toute idée sensible, on cherche cependant le plus souvent, dans la suite des explications, à rapprocher cet être, qui ne tombe pas sous les sens, de la matière comme de la source de toute clarté, pour le rendre intelligible en le matérialisant adroitement. Cette croyance exclusive à ce qui est connu par les sens, cette foi à la réalité des objets sensibles seujement, dont nous trouvons le témoignage partout dans le domaine scientifique, a produit, de notre temps, des er

reurs si nombreuses, si invétérées et sorties de sources si diverses, que la brièveté, avec laquelle il nous est permis de remonter ici aux principes, ne nous permettra pas de les réfuter et d'en arrêter le cours. Aussi bien n'est-ce point ici notre tâche de développer les raisons théoriques pour lesquelles la philosophie, presque unanime sur ce point, ne peut admettre la réalité absolue et primitive d'une matière étendue et divisible. Ces considérations appartiennent plutôt à la métaphysique, et nous ne pouvons ici examiner que quelques points; la suite prouvera que

cet examen nous suffit.

Lorsque, plus haut, nous disions que la matière est la plus obscure des choses à connaître, en faisant par là supposer que l'esprit est la plus claire pour nous, nous ne faisions pas allusion aux contradictions trop oubliées, que renferme l'idée de matière. Même en ne tenant pas compte de ces contradictions, il est très-facile de remarquer combien la matière, à proprement parler, est malaisée à comprendre. En effet nous avons deux manières de connaître scientifiquement les choses: nous connaissons tantôt la nature, l'essence de l'objet que nous étudions, tantôt seulement les relations qu'il peut avoir extérieurement avec d'autres objets. Dans la première manière de connaître, il ne peut être question d'une cognitio rei que lorsque notre intelligence se représente un objet, non pas simplement dans sa manière d'être extérieure, mais dans une intuition si immédiate que nous puissions, par notre sensibilité aussi bien que par nos idées, en pénétrer la nature propre, nous transporter en lui, et savoir par suite quelles doivent être, d'après son essence intime, d'après son essence spécifique, les dispositions d'un tel être. Au contraire, l'autre manière scientifique de connaître, extérieure, qui ne pénètre pas l'essence des choses, cognitio circa rem, consiste surtout dans une connaissance claire et précise des conditions sous lesquelles l'objet se manifeste à nous, et sous lesquelles, par suite de ses rapports variables avec d'autres objets, il se transforme d'une façon régulière. Ces deux manières de connaître ne se présentent pas partout

ensemble; elles se partagent les deux objets dont nous nous occupons ici, la matière et l'esprit.

Les sciences naturelles ont accumulé sur les phénomènes qu'offre la matière un nombre extraordinaire d'observations tout extérieures, et nous connaissons avec la plus grande précision une foule de relations, dont les changements amènent les changements des qualités visibles de la matière, de ses états, de son mode d'action. C'est pourquoi l'idée de matière est devenue si familière; on l'emploie tous les jours, et dans le cercle ordinaire des recherches scientifiques elle conduit à des résultats assez exacts pour qu'il n'y ait pas lieu de s'étonner de la confiance irréfléchie avec laquelle tout le monde s'en sert partout. Mais de même que, dans la vie de tous les jours, personne ne met en doute la valeur et l'utilité de l'argent qui sert aux transactions, et que cependant une observation plus attentive fait découvrir beaucoup d'idées fausses sur le principe et le siége de cette valeur, de même l'idée de matière devient plus obscure pour nous, si, faisant abstraction de sa valeur conventionnelle dans la physique mécanique, nous nous demandons ce qu'elle peut bien être en elle-même. Nous nous apercevons bientôt que l'idée d'un être inerte, passif, dont les caractères sont l'impénétrabilité et l'étendue, doué, dans son inertie, de forces soumises à des lois constantes, est, pour notre intelligence, une idée tout à fait incompréhensible nous ne pouvons concevoir en quoi consiste l'être d'un élément ainsi défini, ni comment l'existence peut bien lui appartenir sous cette forme. Notre intelligence ne se fait absolument aucune idée de cet être mort, immobile, qui au premier abord nous semblait si facile à concevoir, car il s'offre à nous, au-dehors, comme un point de liaison très-commode pour les différents rapports qui sont l'objet de la science; nous n'avons une intuition positive et immédiate que de ce qui est vivant et actif'; c'est cela seul que nous comprenons, avec cela seulement nous pouvons sympathiser parce que nous en pénétrons l'essence la matière est toujours pour nous une figure étrangère. Quoiqu'elle soit très-bien et très-rigoureusement

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