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voulons expliquer; toute sa nature au contraire est d'être précisément telle que ces propriétés l'ont faite. Nous avons vu plus haut qu'il est en outre impossible d'expliquer avec cette idée de matière la vie spirituelle; les rapports extérieurs que les corps ont entre eux, et pour l'explication desquels cette idée a été formée, ne contiennent rien d'où puisse sortir, sans un remaniement complet de ce concept auquel il faudrait ajouter des notions entièrement nouvelles, quoi que ce soit d'analogue à l'être spirituel. Au contraire toutes les propriétés de la matière, en tant qu'elles ne sont que des formes de la manière d'être extérieure de divers sujets les uns par rapport aux autres, peuvent trèsbien se déduire des relations d'êtres en général, alors même que ces êtres ne montrent pas la moindre ressemblance avec l'image qu'on se fera ensuite d'une substance matérielle et de son activité. L'attraction et la répulsion sont deux modes d'action qui peuvent résulter des états intérieurs, de l'affinité ou de l'opposition de deux êtres quelconques et qui ne sont pas plus difficiles à comprendre. de la nature des substances spirituelles, que de la nature hypothétique et inintelligible d'une matière. L'étendue, l'impénétrabilité, les caractères manifestes de la matière, ne sont que des réactions de forces répulsives, dont tout être, qui peut occuper un point de l'espace, est le sujet, sans qu'il soit nécessaire qu'il possède déjà en soi de l'étendue dans l'espace. Enfin les propriétés qualitatives des choses sensibles, la science elle-même les a déjà reconnues pour des phénomènes subjectifs de notre esprit, et par suite il ne reste rien des caractères essentiels de la matière qui ne puisse apparaître comme une conséquence nécessaire de rapports donnés entre des substances immatérielles.

Quoique, en principe, la possibilité et la nécessité de cette théorie spiritualiste de la nature soient faciles à prouver, il n'est pas en réalité aussi aisé de la mener à bonne fin à travers la diversité des phénomènes. Quel que soit l'accord des différents systèmes de philosophie, qui considèrent la matière comme une forme phénoménale

d'une réalité en soi suprasensible, les dernières tentatives cependant pour déterminer les conditions sous lesquelles ces phénomènes se présentent à nous, sont encore assez peu semblables. On a encore moins bien réussi jusqu'ici à ramener les lois positives de la nature, que l'expérience nous a révélées, à des conséquences nécessaires d'états intérieurs, d'états spirituels des êtres. Il nous faut sans doute, si nous voulons présenter à notre manière un idéal de la science, considérer la psychologie comme la science des principes essentiels de tout être et de toute action, la physique au contraire comme celle des formes particulières seulement, auxquelles donne lieu, en se développant, dans le domaine des rapports de temps et d'espace, la vie spirituelle. Mais si nous voulons réellement contribuer au progrès de la science, nous devons nous contenter, comme l'exigent trop souvent les lacunes de la connaissance humaine, d'une part de posséder ce principe, d'autre part de soumettre la grande diversité des phénomènes empiriques d'abord aux lois les plus rapprochées que peut donner l'abstraction, pour préparer peu à peu le moment où l'on pourra déduire ces phénomènes du vrai principe, du principe le plus élevé de leur existence. Si nous essayons maintenant de résumer nos considérations précédentes, voici les résultats auxquels nous sommes parvenus.

Nous avons trouvé que l'idée de matière, dont on voudrait partir pour les recherches sur la vie de l'âme, comme de la plus claire et de la plus sûre, est tout au contraire le produit le plus obscur et le plus incertain de la réflexion humaine, et que, sans une transformation complète, le concept de matière ne contient aucune notion qui puisse servir de principe pour expliquer la vie spirituelle. Nous avons ensuite remarqué qu'il n'y avait aucun avantage pour les explications particulières, à réunir dans une même substance, comme deux sources primitives de tout phénomène, un attribut idéal et un attribut réel, et que ce procédé, si nous nous plaçons au point de vue de l'ensemble, ne peut donner une théorie satisfaisante; cette dualité en effet d'attributs si dissemblables, et entièrement indépen

dants l'un de l'autre, dans ce qui doit être le dernier principe des choses, porterait l'atteinte la plus sensible à notre passion d'unité. Nous avons rencontré dans l'idée d'âme, au contraire, un principe dont la signification essentielle, malgré l'obscurité de son expression formelle, est pour nous très-compréhensible et très-certaine, et dont les rapports avec des êtres de même nature semblent expliquer non-seulement toute la vie spirituelle, mais aussi toutes ces formes physiques de l'être et de l'agir, que nous embrassons sous le nom de matérialité. Nous ne sommes donc pas obligés d'abandonner la croyance à une similitude. de l'être dans tout ce qui est, croyance soutenue par ces deux systèmes que nous avons condamnés, et nous pouvons donner satisfaction à notre désir d'unité. Mais nous devons le faire de manière à laisser intact le fond de notre polémique contre ces doctrines. Contre le matérialisme, nous affirmerons que les propriétés et les réactions des choses que nous appelons matérielles, ne peuvent jamais expliquer directement le spirituel et que par suite la psychologie ne saurait se transformer en une science naturelle. Contre la théorie de l'identité de l'âme et du corps, nous rappellerons que, malgré l'analogie possible de leurs qualités essentielles, ce sont là cependant des éléments distincts, qui peuvent tout au plus être semblables au fond, mais ne sont point identiques. Enfin nous avons vu que tout phénomène psychique, qui peut s'être par hasard rencontré isolément dans les parties constitutives du corps, est sans valeur pour l'explication de notre vie spirituelle, que, par suite, le corps ne compte pour nous qu'en sa qualité de système de parties matérielles; reste alors, pour tout développement pratique de la science, après comme avant, cette rigoureuse distinction de l'âme et du corps dont nous sommes partis, et qui rend nécessaire, pour expliquer les réactions de l'un et de l'autre, l'exposition d'un mécanisme physico-psychique.

CHAPITRE II

DU MÉCANISME PHYSICO-PSYCHIQUE.

I

DE L'UNION DE L'AME ET DU CORPS.

Les attaques dirigées contre l'hypothèse d'un être spirituel distinct n'ont pas été seulement la conséquence des assertions logiques, dont nous croyons avoir assez montré le peu de valeur, elles ont encore pour principe une série de réflexions métaphysiques, provoquées par la difficulté d'employer avec profit cette idée de l'âme à l'explication des phénomènes. Que ce soit là le côté le moins clair de notre théorie, nous l'avons déjà accordé, et comme, avant de s'engager dans une recherche, il est nécessaire de distinguer les questions que la science peut vraiment se proposer et qu'elle peut résoudre, de celles qu'elle doit écarter et qui sont insolubles, il nous faut encore une fois revenir sur la distinction, que nous avons déjà faite, des deux manières de connaître, qui, cherchant toutes les deux à connaître l'essence des choses, désignent par ce nom commun deux objets d'étude tout à fait différents. L'une s'efforce de pénétrer l'idée qui pour elle est l'essence même de son objet; l'autre se propose simplement de déterminer les relations que cet objet soutient, ses rapports

avec d'autres éléments. Il y a entre ces deux procédés la même différence qu'entre une comparaison poétique et l'expression scientifique d'un fait. Dans le cours ordinaire de la vie, en respirant le parfum d'une fleur, en savourant un fruit, nous croyons pénétrer, en grande partie du moins, l'essence intime de ces productions naturelles, et nous ne nous inquiétons ni de la forme, ni de la structure physiologique des molécules, sur l'activité desquelles cependant repose la possibilité de ces qualités, sans nous demander non plus si cette saveur, cette odeur appartiennent vraiment, objectivement, aux substances dont il s'agit, ou si elles ne nous paraissent pas seulement leur appartenir, tandis qu'elles ne seraient que des phénomènes subjectifs de notre sensibilité. Cette force créatrice, directrice et conservatrice de l'univers, qui soutient et pénètre tous les phénomènes, la poésie, aussi bien que la foi religieuse, croit pouvoir la saisir en soi, dans toute sa profon deur, dans toute sa sainteté; la poésie et la religion n'attendent de la science aucun éclaircissement sur ce qu'elles conçoivent par une intuition intellectuelle dans toute sa plénitude; mais l'une et l'autre se trouvent embarrassées de mille difficultés, si elles cherchent à déterminer la forme qui correspond à cette conception, si elles se demandent si la Divinité doit être considérée comme une substance, une personne, une unité, si ce n'est pas plutôt le principe immanent de toutes choses, s'il est susceptible de changements intérieurs ou immuable. L'embarras redouble si l'on veut déterminer quels sont les rapports entre le principe de l'univers et ces phénomènes particuliers, innombrables et si divers qui ne cessent de se produire dans le monde. De même aussi, ce que nous cherchons dans le concept de l'âme est pour nous parfaitement clair, à ne considérer que l'idée en eile-même, et nous ne croyons pas que jamais sous ce rapport une psychologie puisse nous rendre plus savants; mais si nous entreprenons au contraire de substituer à cette intuition par laquelle nous croyons à l'existence de l'âme, une idée formelle qui nous permette d'expliquer le mécanisme des rapports de l'àme

LOTZE.

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