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à travers mille compositions et décompositions chimiques, serait à peine possible dans une pareille hypothèse. Nous devons voir dans ces propriétés des qualités intérieures et distinctives des substances, qui, sans être des mouvements elles-mêmes, exercent cependant une influence sur la production et la distribution des mouvements, et qui, à la suite d'impulsions identiques, donnent cependant naissance à des effets de formes différentes. Nous devons également supposer, pour ce qui nous concerne, que la nature de l'âme offre des propriétés intérieures particulières, grâce auxquelles les mouvements dans l'espace et dans le temps de la matière peuvent se transformer en des états spirituels.

Nous ne connaissons pas ces propriétés ni la manière dont se fait cette transformation, nous l'accordons. Nous regardons même comme un devoir de proclamer que cette ignorance est ce qu'il y a de plus certain, parce que, si nous en avions une conscience claire, nous serions sur la voie d'une méthode scientifique, tandis que toute espérance de rendre sensibles de tels intermédiaires ne peut que nous pousser à des recherches infructueuses. Si nous ne connaissons pas tous ces éléments intermédiaires en particulier, nous n'en sommes pas pour cela réduits à abandonner toute recherche scientifique; il nous sera seulement interdit d'essayer par rapport aux premiers éléments de la psychologie, la forme déductive de la science; nous serons obligés d'accepter comme base formelle une théorie des occasions et de ne revenir que pour les combinaisons plus éloignées de ces éléments en eux-mêmes inexplicables à ce genre de recherche qui procède en déduisant, en reconstruisant l'ensemble par les détails. Nous ne pouvons pas expliquer comment une impulsion, imprimée à notre corps, peut donner lieu à un état psychologique; mais nous avons le droit d'espérer que cette question sera résolue, à savoir quelles excitations simples, produites à l'extérieur, et quels états intérieurs sont en réalité liés d'une manière générale et régulière, et comment procède par l'association répétée de ces couples de phénomènes la réaction entre l'âme et le corps dans son

ensemble, c'est-à-dire la vie physiologique de l'âme. Si nous empruntons à l'expérience ce fait qu'à un état du corps a, produit par une excitation extérieure, est toujours ou généralement lié un état de l'âme A, ou que à un état de l'âme b correspond toujours, comme sa conséquence, un état du corps B, nous regardons a et b comme les occasions auxquelles le cours de la nature a lié d'une manière constante et générale la production de A et de B. Mais nous refusons de rechercher par une analyse que est le lien que nous devons supposer entre ces deux ordres de phénomènes, et en employant ce terme qui ne préjuge rien et qui est très-clair d'occasion, nous reconnaissons que notre connaissance est limitée, autant parce que nous préférons un aveu d'ignorance à une illusion volontaire, que parce que nous désirons laisser cette question entière aux progrès que la science pourra faire dans la suite. Telle est la vraie signification de cette théorie des occasions du mécanisme physico-psychique, que j'ai déjà établie dans un autre ouvrage et que j'ai vue en butte à de nombreuses attaques. On se trompe complétement si l'on croit que c'est une théorie positive sur la nature de l'objet de nos études; elle montre au contraire que nous ne connaissons pas cet objet, et elle n'est qu'une théorie méthodologique dont l'effet doit être d'indiquer comment, malgré cette ignorance, on peut tirer parti de principes essentiels pour rendre possible une recherche au moins sur la manière dont sont unis des éléments qu'il faut admettre saus les comprendre en eux-mêmes et séparément.

Nous aurons assez occasion de montrer, dans la suite de cet ouvrage, que si l'on adopte cette manière de voir, on ne rencontre pas d'obstacle sérieux pour le succès de ces recherches, dont nous devons, plus que tout autre, souhaiter l'heureux achèvement. Cependant nous allons ajouter encore une indication à notre aperçu positif sur la nature propre des rapports de l'âme et du corps, bien que cette indication ne puisse avoir en pratique aucune utilité. Notre théorie des occasions repose sur la différence de la matière et de l'âme, différence qui ne permet pas de cons

LOTZE.

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truire les états psychologiques avec des mouvements, mais seulement de montrer comment ces états sont en fait et proportionnellement liés à des mouvements. Nous avons déjà opposé à cette manière ordinaire de considérer les choses, cette idée que la matière, par opposition à l'esprit, ne possède absolument pas en propre cette réalité primitive qu'on lui attribue. Nous avons considéré la matérialité comme une forme phénoménale, que revêt, pour l'esprit humain, dans certaines circonstances, une réalité suprasensible, en soi semblable à celle de l'âme. S'il en est ainsi, le corps n'est plus une substance d'une autre espèce que celle de l'âme, et l'abîme, qui semblait rendre impossible une réaction directe, est par là comblé; car il n'est plus nécessaire, pour cette réaction, que l'âme agisse sur la matière en tant que matière; elle agit au contraire comme être suprasensible sur cette autre réalité suprasensible, directement, et cette dernière, tout en étant au fond de même nature que l'âme, se présente à nous, à cause des conditions particulières où elle se trouve, sous la forme de la matière. D'autre part la matière n'agit pas sur l'âme au moyen de ces forces motrices dont elle semble douée, comme matière, pour notre manière de voir, mais bien en vertu de cette activité interne qui lui appartient, et qui ne prend, pour l'esprit humain, la forme de forces se manifestant dans l'étendue par le mouvement, que quand elle s'exerce d'élément à élément. Nous pouvons regarder la matière, telle que nous croyons d'abord la comprendre, comme une ombre seulement; mais cette ombre est projetée par une réalité suprasensible, qui est le fond substantiel de la matière elle-même. Ce serait sans doute un problème insoluble que de rechercher comment l'ombre d'un corps peut directement exercer sur un autre corps une action motrice, ou comment ce dernier peut trouver dans l'ombre d'un corps assez de résistance pour lui imprimer à son tour un mouvement; mais rien n'est plus clair que de concevoir un corps qui à la fois projette une ombre et en mette un autre en mouvement, ou qui à la fois mette un autre corps en mouvement et modifie l'ombre

qu'il projetait d'abord. D'après cela les phénomènes psychologiques sont le résultat des phénomènes physiques, non qu'ils soient produits par ces phénomènes eux-mêmes, mais bien par les modifications internes de la réalité, dont ces phénomènes physiques ne sont que les ombres changeantes. Et réciproquement, si des influences psychologiques changent le cours des phénomènes physiques, ce n'est pas qu'elles agissent directement sur les forces, sur les états physiques; mais elles s'exercent sur les états de la réalité, dont les forces et les manières d'être physiques ne sont que les manifestations apparentes. Nous sommes ainsi ramenés à un mécanisme physico-psychique, dans lequel en réalité toute réaction s'exerce entre des éléments semblables, non pas certes parce que nous faisons de l'âme, comme les matérialistes, un élément matériel, mais au contraire parce que, en vrais spiritualistes, nous faisons de la matière une âme, ou une substance essentiellement de même nature.

II

DE LA VALEUR PSYCHOLOGIQUE DU CORPS

L'expérience de chaque jour nous apprend que toute réaction entre l'âme et le monde extérieur a lieu par l'intermédiaire d'un phénomène physique. Nous ne pouvons rien connaître de ce qui nous entoure sans une impression des forces physiques sur nos organes des sens; nous ne pouvons rien changer autour de nous que par une transmission de mouvements que l'âme ne détermine directeinent d'abord que dans les membres de notre propre corps. A côté de cette expérience constante de la vie ordinaire, on a parlé de tout temps d'une union immédiate des âmes, ou d'une puissance qui leur permettrait d'agir à distance les unes sur les autres, sans aucun intermédiaire physique. Nées de l'observation fort incomplète de phénoinènes inaccoutumés et très-rares en comparaison des faits

habituels, ces idées sur une prétendue sympathie immédiate des êtres ont jeté de si profondes racines dans l'esprit de beaucoup d'individus, elles ont même été si souvent sur le point d'être admises dans la science, que nous devons, au moins en quelques mots, définir notre position à leur égard.

Si l'on affirme que l'âme peut concevoir immédiatement des phénomènes qui sont tout à fait en dehors de la portée des organes des sens, et sans qu'aucun autre intermédiaire physique remplace nos organes devenus ici insuffisants; si l'on affirme en outre que l'âme est capable d'agir sur d'autres âmes, ou sur des objets inanimés, sans l'intermédiaire d'aucune de ces forces mécaniques mises une fois pour toutes à sa disposition par l'organisme, ces opinions ne font en aucune manière partie de l'objet que nous nous proposons d'étudier. Notre tâche est seulement en effet de décrire ces phénomènes de la vie qui résultent précisément d'une réaction constante entre l'âme et le corps : tout ce que l'âme peut sans le secours du corps, doit donc rester en dehors du domaine d'une psychologie physiologique. Si cependant cette raison nous suffit pour nous dispenser d'étudier ici en détail ces on-dit sur les rapports sympathiques des choses, il importe à notre but de savoir jusqu'à quel point on pourrait justifier ces prétentions. Car une psychologie physiologique, pour laquelle toute la vie des êtres animés se ramènerait exclusivement à des phénomènes de réaction entre l'âme et le corps, offrirait évidemment une singulière incertitude s'il était reconnu qu'à côté de toutes ces liaisons réglées qu'elle enseigne, dans des cas particuliers et tels, il est vrai, que leurs conditions intimes ne se laissent pas pénétrer, les plus importants phénomènes de cette même vie peuvent se produire en dehors de tout ce mécanisme physico-psychique.

Eh bien, nous avouerons maintenant qu'il n'est pas aussi facile de refuser toute possibilité à ces rapports immédiats, dont on a si souvent parlé, que l'on pourrait le croire quand on se fie sans réserve aux résultats obtenus jusqu'ici par les sciences physiques. Sans doute ce qui

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