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de nouveaux corps; ils donnent simplement une forme nouvelle à des corps que la nature a produits.

On a donc eu raison de ne regarder comme spécialement productifs que les travaux appliqués à l'agriculture et à l'entretien des bestiaux, et non ceux de l'artisan. Donner à un corps une forme nouvelle ne peut s'appeler produire. Produire signifie créer. La nature seule crée, et elle ne crée que les corps organiques. Donc, produire ne signifie strictement que créer des corps organiques. Il y a, d'ailleurs, une grande différence entre produire des corps, et leur donner une forme ou une valeur nouvelle. Les hommes qui aiment à ne donner aux choses d'autres fondements que des mots, peuvent seuls faire une semblable confusion d'idées; et ceux qui ne veulent que faire la guerre aux mots, sont aussi les seuls qui puissent se livrer complaisamment à de pareilles logomachies.

2° Utilité, valeur d'usage. Tant que l'homme ne vit pas en société, ses travaux productifs ou industriels n'ont pour but que sa propre utilité. Le pâtre, le chasseur sauvages, le planteur solitaire qui, dans un désert, a labouré un coin de terre, mais qui ne peut voir son voisin qu'à une journée de chemin, ne connaissent pas le luxe,

et ne cherchent qu'à satisfaire par eux-mêmes à leurs besoins. Dans cet état, l'homme n'apprécie donc une chose que d'après le rapport d'utilité qu'elle peut avoir avec ses besoins; et la valeur de cette chose n'est que l'importance de cette chose, déterminée et d'après le nombre de besoins auxquels elle peut satisfaire, et d'après la manière dont elle y subvient. Ainsi, le bœuf subvient à plus de besoins que le cheval; mais, dans beaucoup de cas et par exemple pour le charriage, le cheval a un degré de plus d'utilité.

L'homme isolé ne connaît pas le luxe; il n'a que peu de besoins, et il n'apprécie la valeur des choses que relativement à ses besoins. L'eau est pour lui d'un plus grand prix que le diamant. Et, comme il ne recherche les choses qu'autant qu'elles peuvent lui être utiles sous ce rapport, comme il se donnera beaucoup de peine pour découvrir une source et qu'il ne regardera pas le diamant comme digne de son attention, on peut aussi en induire qu'il déterminera la valeur des choses d'après le travail plus ou moins long, plus ou moins pénible, qu'elles lui auront coûté.

Le luxe, au contraire, faisant naître des besoins de délicatesse et d'amour-propre, stimule l'esprit d'invention, développe l'industrie et les facultés les plus nobles de l'intelligence; il con

tribue à rapprocher les hommes et à introduire parmi eux les vertus sociales. Et dès qu'une fois il a pris l'existence, il fait de jour en jour de plus grands progrès: car la nature de l'homme est telle que, lorsqu'il a la certitude de subvenir à son nécessaire, les besoins de luxe se font aussitôt sentir, et lui inspirent le desir de surpasser ses semblables par le nombre et la combinaison de ses plaisirs. C'est ainsi que, des besoins du Huron, il est passé à l'opulence de Lucullus.

V. ÉCHANGES AUXQUELS LE LUXE DONNE NAISSANCE. D'après cette disposition du luxe à se répandre, et lorsqu'il a déja pris un certain développement, l'homme ne peut bientôt plus se procurer, de sa propre main, les choses de première nécessité, ni même les préparer pour son usage. Pour habiller, loger, nourrir, désaltérer le plus indigent d'entre nous, plus de cent personnes ont été mises en œuvre.

Mais, comme elles ne travaillent pas gratuitement; comme l'une d'elles ne peut contraindre la volonté de toutes les autres, ni compter sur leur constante bienveillance, elle doit, pour être assistée dans ses besoins, se soumettre à rendre, de son côté, quelque service. Cette réciprocité de bons offices est ce qu'on appelle trafic d'échanges, relations de commerce, négoce.

Ce trafic est un échange de choses ou de

travaux.

1° Échanges de choses, Valeur vénale ou d'échange, Valeur d'usage. A l'égard de l'échange des choses, il faut remarquer qu'il se présentera des circonstances où deux personnes ne seront pas d'accord sur le prix des objets qu'elles s'offrent respectivement. Pour donner un exemple plus sensible de ce qui doit alors arriver, placons-nous hors de l'état actuel de la civilisation, supposons l'ordre de choses existant lorsque le premier degré de luxe s'établit dans un pays nouvellement habité, dans lequel il n'existe point de monnaie, où l'argent même est inconnu. Dans cette position, de deux hommes qui voudraient faire un échange, l'un demanderait qu'en retour d'un objet qui lui aurait coûté huit jours de travail, l'autre lui donnât autant de choses qu'il en faudrait pour correspondre à la valeur d'un travail de huit jours. Mais le besoin que celui-ci éprouve de se procurer l'objet offert, peut n'être pas assez grand pour qu'il veuille consacrer huit jours de travail à se le procurer; et le premier, au contraire, peut éprouver un besoin assez pressant pour qu'il se voie contraint d'abandonner l'objet qui lui aura coûté huit jours de travail contre une chose qui n'en

aura peut-être pas coûté deux à son copermutant. Cela prouve que la valeur d'échange est souvent fort différente de la valeur d'usage. Le rapport qui existe entre une chose et les besoins de l'homme qui veut s'en servir, détermine seul la valeur d'usage; mais la valeur vénale ou d'échange est déterminée par le rapport des besoins réciproques des parties contractantes. Par une conséquence naturelle, la valeur d'échange dépend aussi du nombre des objets que l'on peut obtenir en retour de la chose offerte, quelle que soit d'ailleurs la valeur d'usage de cette chose. L'eau, par exemple, a une grande valeur d'usage, et elle n'a point de valeur d'échange; car, même à Paris où l'eau paraît se vendre, on ne paie réellement que la peine de la porter. Au contraire, le diamant n'a presque aucune valeur d'usage; il ne sert qu'à mettre en évidence la richesse de l'homme qui le possède. Mais il a une grande valeur d'échange: car il faut donner beaucoup, pour l'obtenir par cette voie.

2° Échange de travaux, travaux d'apprêt, travaux de pur service. Les travaux sont échangeables autant qu'ils peuvent être exécutés pour le compte d'autrui, et qu'ils forment un objet de commerce. On peut les réduire à deux classes, savoir : les travaux d'apprêt ou de fabrication,

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